Entretien avec Frans Timmermans, Premier vice-président de la Commission européenne depuis novembre 2014 par Baudouin Bollaert, ancien rédacteur en chef au Figaro, maître de conférences à l'Institut catholique de Paris
Baudouin Bollaert - Après bien des querelles et atermoiements, l'UE semble être parvenue, lors du sommet du 23 septembre, à un accord sur la « crise des migrants ». Diriez-vous, comme Angela Merkel, que cette crise est, aujourd'hui, « le principal défi de l'Europe » ?
Frans Timmermans - Il s'agit en effet d'un défi majeur, l'un des plus sérieux auxquels l'Europe puisse être confrontée, et sans doute celui qu'il est le plus urgent de régler. Cette crise des réfugiés est exceptionnelle par son ampleur, c'est l'évidence ; mais, surtout, elle met à l'épreuve notre capacité à prendre de front nos problèmes communs et à y apporter des réponses collectives. Car les seules réponses efficaces et durables à cette crise sont européennes. L'actualité de ces derniers mois l'a confirmé : il n'y a pas de solutions nationales. La Commission a présenté en mai dernier un agenda qui aborde la question migratoire dans toutes ses dimensions. De nombreuses mesures ont pu être adoptées depuis.
B. B. - Lesquelles ?
F. T. - Ces mesures vont du renforcement de notre présence en Méditerranée - qui a permis de sauver plus de 120 000 vies - à l'intensification de la lutte contre les passeurs, sans oublier les décisions qui permettront de relocaliser (1) dans le reste de l'Union européenne 160 000 personnes arrivées en Grèce et en Italie et dont le moins qu'on puisse dire est qu'elles ont besoin d'une protection internationale. Tout cela démontre que la solidarité européenne avec les pays les plus touchés n'est pas un simple slogan. Je suis heureux que le sommet informel des chefs d'État et de gouvernement du 23 septembre ait accepté les propositions formulées par la Commission. Elles permettront, en particulier, de renforcer l'aide de l'UE aux réfugiés syriens qui se trouvent hors d'Europe, ce qui est crucial. Mais nous avons bien sûr encore du pain sur la planche et nous travaillons d'arrache-pied pour aider les États membres qui se trouvent en première ligne à mieux gérer les frontières extérieures de l'espace Schengen. Notre approche repose sur l'alliance de la solidarité et de la responsabilité : solidarité avec les personnes qui ont besoin d'être protégées et avec les pays les plus affectés ; et responsabilité car tous les États membres doivent appliquer les règles communes.
B. B. - Qu'en est-il de la protection des frontières extérieures de l'Union et du renforcement des contrôles ?
F. T. - Cette protection passe notamment par la mise en place sur le terrain de l'approche dite « hot spots » que nous avons proposée en mai dans le cadre de l'Agenda européen sur la migration. Des équipes de soutien sont en train d'être constituées afin d'aider concrètement les autorités des pays concernés à faire face à l'afflux de migrants. Les personnels et experts nationaux déployés par les agences de l'UE - Frontex, l'Office européen de l'asile et Europol - les aideront à immédiatement identifier et à enregistrer les nouveaux arrivants pour distinguer le plus rapidement possible ceux qui peuvent vraiment bénéficier de la protection internationale de ceux qui n'ont pas le droit de rester en Europe. Ces équipes aideront également à préparer et à organiser le retour de ces derniers. Nous venons de proposer le renforcement des moyens de ces agences. Au-delà, nous souhaitons aller vers un système européen de gardes-frontières et de garde-côtes qui fourniront un appui aux États membres. Une proposition législative pour avancer dans cette direction sera présentée dès cette année.
B. B. - En attendant, il faut assurer l'application des règles en matière d'asile...
F. T. - Effectivement, et la Commission agit avec force dans ce sens. Pour que le système fonctionne, tous les États membres doivent appliquer les mêmes règles de façon pleine et entière. Est-il acceptable que seuls cinq pays de l'Union européenne (2) les respectent en totalité ? Nous venons de lancer 40 nouvelles procédures d'infraction contre 19 États membres (3) qui s'ajoutent aux 35 procédures déjà en cours dans ce domaine. Nous entendons bien jouer pleinement notre rôle de gardiens du Traité - ce qui est d'ailleurs une obligation pour la Commission. Pour que nous puissions surmonter cette crise, il est essentiel qu'une distinction très claire soit faite entre, d'une part, les réfugiés, que nous avons le devoir de protéger, et d'autre part tous ceux qui entrent illégalement sur le territoire européen et dont il faut organiser le retour rapide. Notre tâche est de convaincre les citoyens, qui restent sceptiques à ce sujet, que nous pouvons réellement empêcher les abus du système et que nous sommes capables de contrôler ce qui se passe à nos frontières. Le contraire ne ferait que nourrir les peurs et alimenter le populisme. La relocalisation au bénéfice de la Grèce et de l'Italie est, je le répète, un élément important de la solution : la solidarité doit permettre à Athènes comme à Rome, avec notre appui, de jouer le jeu à fond. Il faut reconnaître que ces pays se sont sentis abandonnés par le reste de l'Europe sur ces sujets pendant des années.
B. B. - Les accords de Schengen sont-ils menacés ? Même l'Allemagne, le pays le plus accueillant, a dû fermer provisoirement ses frontières pour ne pas être submergée...
F. T. - Le « code frontière » Schengen permet le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures dans des situations de crise. Mais il est clair qu'il ne peut s'agir que d'une mesure de court terme dont la mise en oeuvre ne doit survenir que dans des situations exceptionnelles. Les décisions que nous prenons aujourd'hui ouvrent la voie à une normalisation : renforcer la confiance dans la gestion de nos frontières extérieures, c'est renforcer la confiance dans l'espace Schengen.
B. B. - La situation actuelle ne signe-t-elle pas la faillite du système dit « de Dublin », selon lequel les candidats à l'asile doivent demander le statut de réfugié dans le premier pays d'arrivée ?
F. T. - Le système de relocalisation des demandeurs d'asile que nous avons lancé constitue déjà un amendement au système de …
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