Entretien avec Wolfgang Schäuble, ministre allemand des Finances depuis 2009, par Jean-Paul Picaper, responsable du bureau allemand de Politique Internationale.
Jean-Paul Picaper - L'Allemagne fait face à un important flux de réfugiés. Comment gérez-vous cette situation ?
Wolfgang Schäuble - Face à cette situation exceptionnelle, l'argent ne saurait être un frein à l'accueil des réfugiés : ceux-ci, quel qu'en soit le coût, doivent être traités avec humanité. D'ailleurs, notre situation économique est bonne. L'Allemagne, pour ce qui la concerne, est en mesure d'absorber ce choc. Pour aider les communes et les régions (Länder) à faire face à ces besoins croissants, nous mettons en place un système flexible qui leur permet d'assurer les prestations essentielles aux demandeurs d'asile durant la durée de l'examen de leur demande.
J.-P. P. - Financièrement, comment résolvez-vous l'équation?
W. S. - Tout en maintenant l'équilibre de notre budget fédéral, nous mettons de côté, cette année, via un collectif budgétaire, 5 milliards d'euros de notre excédent budgétaire, provenant de recettes fiscales supplémentaires ; et cela, pour financer durant l'exercice 2016 et les suivants les coûts liés à l'afflux de réfugiés - que ces dépenses soient honorées par l'État fédéral ou qu'elles soient supportées par les communes et les Länder.
J.-P. P. - Comment répartissez-vous les dépenses liées à la présence de réfugiés entre l'État fédéral, les Länder et les communes ?
W. S. - Tous les acteurs publics - l'État fédéral, les Länder et les communes - participent à cet effort. L'État fédéral entend bien évidemment aider les Länder. Mais il doit faire face à ses propres dépenses. Il n'est pas question que l'État fédéral règle seul la note. Des Länder et des communes ont, eux aussi, dégagé des excédents budgétaires et perçoivent une bonne part des recettes fiscales. Le système de compensation mis en place entre l'État fédéral et les Länder prévoit que, à partir de 2016, l'État fédéral prendra à sa charge durant cinq mois les 670 euros mensuels nécessaires pour financer l'« examen de passage » et la présence d'un demandeur d'asile. Cinq mois, c'est, en effet, la durée moyenne actuelle d'examen des demandes d'asile. Mais nous allons nous efforcer de vérifier plus rapidement ces demandes, ce qui diminuera la durée de la prise en charge.
J.-P. P. - Selon le ministre fédéral de l'Économie, Sigmar Gabriel, la République fédérale est en mesure d'accueillir 500 000 réfugiés par an. Un million, en revanche, est un chiffre qui dépasserait les capacités d'accueil...
W. S. - Ce qui est sûr, en tout cas, c'est que le défi des réfugiés ne peut être relevé par la seule République fédérale. Nous avons en Europe des frontières ouvertes dans le cadre de l'espace Schengen. L'Allemagne, il est vrai, a dû réintroduire provisoirement des contrôles à ses frontières - comme les accords de Schengen le permettent pour des cas exceptionnels. Mais, je le répète, la solution ne peut être que collective et à l'échelle de l'Europe. Les Vingt-Huit doivent agir en concertation.
J.-P. P. - Comment faire comprendre à certains pays européens que l'heure est à la solidarité ?
W. S. - On s'est mobilisé, des journées durant, pour venir en aide à quelques milliers de réfugiés à Calais. La moitié de la Commission européenne s'est rendue sur place. Or, en un seul week-end, il est arrivé à Munich trois fois plus de réfugiés qu'il n'y en a à Calais ! Comment voulez-vous que nous nous en sortions seuls ? Jean-Claude Juncker a prononcé un grand discours à ce sujet (1). Il a esquissé une solution. Je crois, comme lui, que nous devons demander davantage à l'Europe.
Il nous faut par ailleurs endiguer cet afflux massif. Nous sommes d'accord pour trouver une solution au problème actuel, mais nous ne pouvons pas faire plus. L'an dernier, nous avons aidé l'Italie. L'opération « Mare Nostrum » visait à secourir les réfugiés qui tentent de rallier les côtes européennes en traversant la Méditerranée. La Turquie, qui abrite deux millions de réfugiés dans ses camps, nous dit qu'elle ne peut pas les retenir s'ils veulent aller ailleurs. Nous devons nous occuper des pays limitrophes de la Syrie. Ce sont là des tâches immenses qu'aucun pays européen, pas même l'Allemagne, n'est capable d'accomplir seul. C'est aux Européens - et, plus largement, à la communauté internationale - de relever ce défi.
J.-P. P. - L'Allemagne voit venir à elle les réfugiés les plus qualifiés, originaires de Syrie, alors que d'autres États accueillent des migrants de la zone subsaharienne qui ne savent ni lire ni écrire. N'est-ce pas plus facile pour elle ?
W. S. - On ne choisit pas ses réfugiés. Et vous devez savoir qu'il n'arrive pas de Syrie uniquement des ingénieurs. Le pourcentage d'analphabètes est élevé. Sans compter que tous prétendent venir de Syrie, mais que certains parlent albanais... Il y a de nombreux abus. Les réfugiés utilisent des téléphones portables, des smartphones, et cela a des conséquences inconcevables. Ils peuvent s'informer réciproquement en temps réel des possibilités de passage de frontières, des filières, des approvisionnements, et créer ainsi des mouvements de foule. L'Allemagne fait tout ce qu'elle peut. Nous sommes fermement décidés à apporter notre contribution à l'idée d'humanité qui est le fondement de la construction européenne, mais il faut que le reste de l'Europe nous suive. Il me semble l'avoir déjà dit à plusieurs reprises.
J.-P. P. - Pourquoi l'Allemagne est-elle si attractive ?
W. S. - Parce qu'elle est au centre de l'Europe. L'Allemagne est la destination naturelle de ceux qui arrivent par voie terrestre en traversant les Balkans.
J.-P. P. - Comptez-vous sur l'immigration pour combler le déficit démographique allemand ? À long terme, est-ce un atout pour l'Allemagne ?
W. S. - Il nous faut tout d'abord veiller à ce que notre population ne se laisse pas gagner par l'extrémisme. Il n'y a pas, en Allemagne, de mouvements d'extrême droite aussi puissants que dans d'autres pays, mais nous devons être prudents. L'intégration des nouveaux venus ne sera couronnée de succès que si nous accueillons les gens qui ont réellement besoin d'aide.
J.-P. P. - D'après les sondages, 40 % de la population allemande seraient contre l'accueil des réfugiés...
W. …
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