Entretien avec Sandro Gozi, Secrétaire d'État chargé des Affaires européennes par Richard Heuzé, correspondant de Politique Internationale en Italie
Richard Heuzé - Depuis plus de trois ans, vous êtes le « Monsieur Europe » du gouvernement italien. En septembre 2011, l'image de votre pays s'était tellement dégradée que Silvio Berlusconi avait dû se démettre de ses fonctions (1). L'Italie a-t-elle, selon vous, retrouvé une crédibilité internationale ?
Sandro Gozi - L'image de l'Italie est aujourd'hui très différente de ce qu'elle était en 2011. À l'époque, elle était le maillon faible de la zone euro. L'inertie du gouvernement Berlusconi, la sous-évaluation des risques financiers qui menaçaient notre pays avaient atteint des niveaux tels que l'Europe entière était très inquiète. Le pays risquait à tout moment un dépôt de bilan. Il y a échappé grâce à la thérapie de choc administrée par le gouvernement Monti. Il n'y avait pas d'autre choix, mais je reconnais que cette expérience aurait dû être plus courte car, si ce sauvetage a réussi, c'est au prix de lourdes conséquences économiques, sociales et politiques. La croissance est devenue négative et les classes moyennes ont payé l'austérité au prix fort. En se présentant aux élections de février 2013, Mario Monti a semé la confusion dans les rangs de ceux qui l'avaient soutenu (2). Le fait que son gouvernement ait duré dix-sept mois (3), ce qui est très long en Italie, a offert un boulevard au Mouvement 5 Étoiles (M5S) qui, pendant cette période, est passé de 15 à 25 % des voix.
Ces trois dernières années, l'Italie a montré sa détermination à se réformer après quinze années de paralysie totale du système économique et administratif. Le gouvernement Renzi a conduit des réformes fondamentales : marché du travail, éducation nationale et lycées en particulier, justice civile et commerciale avec toute une série de mesures visant à mieux gérer les contentieux. L'Italie est aussi entrée dans la modernité en matière de droits civiques : elle était le seul grand pays européen à ne pas s'être doté d'une législation sur les unions civiles. C'est désormais chose faite, ainsi qu'une loi qui simplifie et accélère les divorces. Ces questions étaient débattues depuis très longtemps, y compris lorsque la gauche était au pouvoir, sans aucun résultat. Matteo Renzi a parfois surpris, voire agacé ses partenaires européens, mais il a prouvé qu'il était crédible.
R. H. - Malgré ce bilan plutôt positif, la victoire du non au référendum constitutionnel du 4 décembre 2016 a conduit Matteo Renzi à présenter sa démission. Comment expliquez-vous ce revers ?
S. G. - La réforme soumise au vote des Italiens avait pour objectif d'améliorer le fonctionnement de l'État. On en parlait depuis trente ans. Le tort de Matteo Renzi est d'avoir lié son destin personnel au référendum. Il avait affirmé que cette réforme était indissociable du programme de son gouvernement. Il avait engagé sa confiance devant le Parlement et il a voulu en faire autant devant les électeurs. Malheureusement, le vote est intervenu dans un contexte économique et social européen très difficile. Matteo Renzi, en donnant une leçon à la vieille garde politique, a fait ce que personne avant lui n'avait fait : il a tenu sa promesse et a démissionné. Ce qui n'est pas si courant en Italie. Il aurait pu laisser le Parlement - qui avait planché pendant deux ans sur cette réforme - monter au créneau. Et dire aux électeurs : « Cette réforme est le fruit d'un travail collectif, à vous de juger. » Il a choisi de procéder autrement. Au final, cette personnalisation extrême des enjeux n'a été bénéfique ni pour Renzi ni pour la réforme.
R. H. - Paolo Gentiloni, qui lui a succédé en décembre 2016 au Palais Chigi (le Matignon italien), sera-t-il en mesure de mettre en oeuvre les réformes adoptées (4) ?
S. G. - S'agissant de la réforme de l'administration, c'est le gouvernement Gentiloni qui signe les décrets d'application. De même pour celles du marché du travail et de l'éducation nationale qui doivent subir quelques retouches. Au-delà des réformes, il est permis de s'interroger sur la majorité qui sortira des urnes en février 2018 si la législature va jusqu'à son terme, en particulier en l'absence d'une réforme de la loi électorale. Aujourd'hui, l'Italie n'est plus une préoccupation, mais elle est encore une interrogation. Après ces trois années de réformes, qui ont succédé à la période troublée du gouvernement Berlusconi, on peut légitimement se demander ce qu'elle va devenir.
R. H. - Et vous, que voudriez-vous qu'elle devienne ?
S. G. - Nous voulons bâtir une Italie qui ne cède pas à la tentation de l'ancien régime. Cette tentation est très forte parmi les membres de l'establishment financier, économique et médiatique qui rêvent de voir se refermer la parenthèse des réformes ouverte par Renzi. Nous voulons une Italie qui lutte contre le corporatisme, les rentes financières et le poids de l'administration. Trois ans n'ont pas suffi à la remettre sur les bons rails. Nous allons donc tout faire pour que les prochaines élections permettent de dégager une majorité de gouvernement fermement résolue à poursuivre le processus de modernisation du pays. On ne peut pas exclure un choc frontal entre réformateurs et conservateurs.
R. H. - Le plus grand danger ne réside-t-il pas dans l'affirmation d'un populisme virulent ?
S. G. - Il est clair que le M5S veut conquérir le pouvoir, mais il est tout aussi clair qu'il est absolument incapable d'exercer la moindre responsabilité. À Rome, dont la mairie a été remportée par Virginia Raggi (5) en juin 2016, on assiste jour après jour à l'étalage de son incompétence. C'est un véritable désastre. Le mépris qu'affiche le M5S pour l'expérience politique et le professionnalisme est délétère pour la chose publique. Virginia Raggi n'est pas une erreur de casting de la part du M5S. Virginia Raggi est le Mouvement 5 Étoiles. De ce point de vue, on ne peut pas dire qu'il y ait eu tromperie sur la marchandise. Le M5S vit en permanence dans le conflit. Il a besoin de catalyser les humeurs négatives, de ferrailler contre les institutions, contre les partis politiques, contre le pouvoir établi. Mais …
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