Les Grands de ce monde s'expriment dans

Fidèle à l'Europe

Entretien avec Michael Fallon, Ministre britannique de la Défense depuis 2014. par Isabelle Lasserre, chef adjointe du service Étranger du Figaro

n° 155 - Printemps 2017


Isabelle Lasserre - Au moment où le Royaume-Uni s'apprête à quitter l'Union européenne, quel bilan tirez-vous de ces quarante et quelques années de cohabitation ? Quelles sont les réalisations de l'UE que vous appréciez le plus ? Quelles sont celles qui vous hérissent ?
Michael Fallon - La Grande-Bretagne en a, bien sûr, retiré des avantages. D'abord, l'Union nous a permis d'accéder à un grand marché unique, elle a facilité et simplifié les relations commerciales. Ensuite, elle nous a fourni l'occasion de jouer un rôle accru dans la sécurité du continent : coopération entre les forces de police, entre les agences de renseignement, entre les institutions judiciaires. Ce sont les deux grands effets positifs que je mettrais en avant. Mais il y avait beaucoup d'inconvénients, le premier d'entre eux étant l'arrivée de nombreux migrants sur le sol européen - tellement nombreux que nous en avons perdu le contrôle. Pour résumer le malaise en une phrase, disons qu'il était de plus en plus difficile de concilier le droit européen avec notre souveraineté.
Le temps est venu de forger entre l'Europe et nous une nouvelle relation. Cela ne veut pas dire que nous renonçons à notre appartenance européenne. Nous voulons continuer à commercer librement et amicalement avec le continent et poursuivre nos coopérations bilatérales en matière de sécurité et de défense. Nous déployons, par exemple, 800 militaires britanniques aux côtés de 300 Français en Estonie dans le cadre du nouveau bataillon multinational de l'Otan...
I. L. - Que pensez-vous du processus de sortie de l'Union engagé par la Grande-Bretagne ? S'il était possible de revenir en arrière, conseilleriez-vous au gouvernement d'agir de la même manière ?
M. F. - Le référendum sur le Brexit était inévitable. La demande émanait de la population, il fallait donc y répondre. Nous n'avions pas le choix. Les fondamentaux de l'Union européenne n'avaient pas été révisés depuis 1975... Aujourd'hui, c'est fait. Il ne sert à rien de regretter. Il ne faut jamais regarder en arrière mais toujours se projeter vers l'avenir.
I. L. - Le Brexit peut-il entraîner un effet domino en Europe ? Et si oui, quels sont selon vous les États qui sont les plus sensibles aux sirènes anti-européennes ?
M. F. - Non, je ne crois pas que le Brexit puisse avoir un tel effet d'entraînement. En tout cas, j'en serais très surpris. Et, surtout, ce n'est pas ce que nous voulons. Notre voeu le plus cher est que l'Union européenne se consolide et qu'elle réussisse. Nous ne souhaitons ni son échec, ni sa dislocation, ni sa disparition : les dégâts seraient considérables pour la Grande-Bretagne car un tel scénario remettrait en cause la cohésion du marché unique, de même que les coopérations en matière de sécurité.
I. L. - Aviez-vous anticipé le Brexit ?
M. F. - Absolument pas. Ce fut une énorme surprise. Mais je ne suis pas le seul à ne pas avoir vu les choses venir...
I. L. - Qu'est-ce que le Brexit va changer pour la sécurité de l'Europe ?
M. F. - Rien. Nous allons continuer à assumer notre part de la sécurité européenne. Le fait que nous déployions comme prévu nos troupes en Estonie, en Roumanie et en Pologne dans le cadre de l'Otan en est la preuve. Nous tiendrons nos promesses, nous honorerons nos engagements, notamment en ce qui concerne la lutte anti-terroriste et la coopération judiciaire, à la fois au sein de l'Otan et auprès des 27 pays membres de l'Union européenne. La seule différence, c'est que cette coopération sera basée sur une nouvelle relation.
I. L. - J'ai du mal à vous croire. Le départ du Royaume-Uni est un bouleversement d'une telle ampleur qu'il est impossible que rien ne change. Comment pouvez-vous être si sûr que la sécurité du continent ne sera pas affaiblie par le Brexit ?
M. F. - Pourquoi le serait-elle ? En matière de défense et de sécurité, les choses, je vous le répète, ne changeront pas. Prenez les accords de Lancaster House (1) signés en 2010 entre la France et la Grande-Bretagne. Eh bien, ils survivront au Brexit tout comme ils ont survécu aux changements de majorité ou de dirigeants chez vous et chez nous. Nous avons créé une force expéditionnaire commune interarmées, la coopération entre Londres et Paris progresse et se renforce dans le domaine des missiles et de la technologie. De tous mes collègues de l'Otan, Jean-Yves Le Drian est le ministre de la Défense avec lequel j'ai le plus d'affinités. Certes, nous quittons l'Union européenne et nous avons opté pour un Brexit dur, sur deux ans. Mais nous voulons plus que tout éviter les clivages. Il y aura donc des accords de transition afin que la sécurité de tous soit assurée.
I. L. - La relation avec les États-Unis sera-t-elle affectée par le Brexit ?
M. F. - Cette relation a toujours été très vivante. Elle le sera encore plus à l'avenir. Nous coopérons avec Washington dans le domaine de la dissuasion nucléaire, dans celui des missiles, des avions, des sous-marins nucléaires. Nous ne pourrions pas être plus proches l'un de l'autre. Cela ne veut pas dire que nous allons négliger nos autres partenaires, et tout spécialement la France qui est notre premier allié après les États-Unis. En quittant l'Union européenne, nous avons l'intention de redoubler d'efforts pour approfondir la relation bilatérale qui nous lie à la France, mais aussi pour nous rapprocher de nos autres partenaires européens, en particulier l'Allemagne.
I. L. - Quelles seront les conséquences du Brexit au sein de l'Otan ?
M. F. - Encore une fois, nous construisons avec nos alliés une relation nouvelle, mais les choses ne bougeront pas sur le fond. Lors du sommet de l'Otan qui s'est tenu à Varsovie, en 2016, nous avons identifié sept secteurs où nous voulons éviter les doublons entre l'Alliance et l'Union européenne. C'est pour nous une priorité. Concernant l'Otan, nous souhaitons que l'organisation s'adapte. Elle doit être plus souple et plus rapide, de manière à pouvoir répondre, au-delà des menaces traditionnelles, aux …