Politique Internationale - Qu'est-ce qu'Akuo Energy ?
Jean Ballandras - Akuo Energy est une société française spécialisée dans le développement des projets d'énergie renouvelable. C'est ce qu'on appelle un producteur indépendant d'énergie renouvelable. La société est récente - elle a été créée en 2007 - et est aujourd'hui le premier producteur indépendant d'énergie renouvelable en France.
P. I. - Qu'englobe la notion d'« énergie renouvelable » ?
J. B. - Il s'agit de l'électricité produite sans dégagement ou émission de carbone, avec les ressources qu'offre la nature. Ces ressources, ce sont principalement le vent et le soleil ; mais c'est aussi l'eau - la production d'hydroélectricité est très ancienne - ou encore la biomasse, avec la combustion neutre en carbone de déchets d'arbres qui se régénèrent par le simple phénomène de la nature. Et, bien évidemment, au-delà des ressources renouvelables terrestres, on trouve les énergies marines, c'est-à-dire l'ensemble des énergies tirées de la mer et de ses composantes.
P. I. - Le principal inconvénient de ces sources d'électricité, c'est qu'il demeure difficile de stocker l'électricité ainsi produite...
J. B. - C'est de moins en moins le cas. L'avenir des énergies renouvelables passe, entre autres, par la multiplication, l'intensification, l'expansion sans limite du stockage qui peut leur être associé. La vraie révolution énergétique est l'association entre, d'une part, les innovations en matière de production et, d'autre part, les différentes formes de stockage qui seront déployées dans les prochaines années, assurant à la fois le transport, la diffusion et la pénétration du renouvelable dans toutes les situations.
P. I. - Mais le stockage, on n'y est pas encore...
J. B. - Détrompez-vous : on y est déjà ! Certains modes de stockage très anciens ont depuis longtemps fait leurs preuves : les barrages en sont une forme, et ils sont sans doute ce qui se fait de mieux. Il n'y a guère plus renouvelable que l'eau des rivières - une eau qu'on garde dans le barrage. On peut alors piloter la production.
P. I. - De cette manière, on ajuste la production à la consommation ; mais lorsqu'on ne choisit pas le moment de production de l'électricité, peut-on la stocker comme dans une pile ?
J. B. - Oui. Quand le marché du renouvelable a pris de l'ampleur, la question de son intermittence s'est très rapidement posée. La plupart des énergies renouvelables sont en effet « fatales », c'est-à-dire qu'elles doivent être consommées à l'endroit et, surtout, au moment où elles sont produites. Cette production est parfois parfaitement synchrone avec la consommation ; mais, la plupart du temps, ce n'est pas le cas, ou pas exactement. D'où la nécessité de pouvoir stocker cette électricité lorsqu'elle est produite afin de pouvoir la restituer selon un schéma de consommation qu'on peut parfaitement connaître à l'avance. Vous évoquez la pile, et c'est exactement ce principe - ou celui des batteries automobiles - qui est en jeu. Si ce n'est qu'on parle là de systèmes beaucoup plus complexes et plus puissants qui permettent de stocker 1, 2, voire 5 MWh.
Akuo Energy a déployé quatre centrales solaires qui sont raccordées à des systèmes de stockage. Deux en Corse, l'une d'une capacité de production de 4 MWh et l'autre de 7 MWh, ce qui est conséquent, et deux à la Réunion, plus importantes encore (9 MWh chacune). Cette énergie ou cette puissance peut être complètement pilotée en liaison avec le gestionnaire de réseau, en l'occurrence EDF, pour injecter de l'électricité sous une certaine forme afin de jouer sur cet équilibre entre consommation et production.
P. I. - Quelles sont les principales énergies renouvelables exploitées à l'heure actuelle dans le milieu marin ?
J. B. - Aujourd'hui, l'énergie renouvelable marine se compose schématiquement de quatre familles assez distinctes. La plus avancée est celle de l'éolien en mer, avec deux sous-familles : l'éolien posé et l'éolien flottant. Le posé est d'un point de vue technologique tout à fait à maturité. Nous parlons là de régimes de puissance considérables - pas encore en France, même si nous en prenons le chemin, mais aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni notamment -, de plusieurs centaines de MW, avec toute une infrastructure, des moyens nautiques et des moyens de raccordement qui permettent d'atteindre des tarifs presque comparables à l'éolien terrestre, avec des progrès très rapides et une marge de progression qui est encore bien plus grande. Les prix devraient encore baisser dans les toutes prochaines années.
P. I. - Pour ce type d'installations, il faut être en accord avec ceux qui naviguent, ce qui n'est pas toujours évident : c'est tout un monde, le monde des marins...
J. B. - L'intérêt de l'éolien posé est que c'est facile à faire, relativement à la complexité d'autres technologies, car les profondeurs dont il est question sont plus facilement accessibles : entre 15 et 30 mètres au maximum. Mais vous avez raison, la difficulté de l'éolien posé est qu'il s'installe sur un terrain convoité : un terrain à enjeu environnemental et à enjeu halieutique. Les pêcheurs sont là. Ce qui fait l'intérêt du posé en termes de facilité en fait également la limite. C'est ce qui ouvre la porte à l'éolien offshore flottant, qui s'affranchit en grande partie de cette contrainte à la fois écologique et halieutique. Il se situe plus loin, plus au large, là où les enjeux sont moins forts à la fois en termes de perception visuelle, d'impact écologique et d'appropriation de zone halieutique. L'installation n'est pas conditionnée par le lien avec le sol, du fait de la flottaison : le parc peut donc légèrement bouger, dans la limite de ses ancrages. L'éolien flottant est de ce point de vue plus facile à organiser, beaucoup moins contraignant.
P. I. - Il faut quand même le relier à la terre...
J. B. - Effectivement, le câble est plus long ; et, du point de vue technique, il est complexe d'installer des machines de plus de 100 mètres de haut, soumises à des vents qui sont encore plus forts qu'à proximité de la côte, le tout sur une structure flottante ancrée ! Le savoir-faire n'en est pour l'heure qu'au stade du prototype. Autant l'offshore posé est mûr et se situe dans la courbe d'apprentissage qui va l'amener à une forte compétitivité-prix, autant l'offshore flottant n'en est qu'à ses débuts. Et en termes de prix, il demeure encore éloigné de la réalité du marché.
P. I. - La technologie des plateformes pétrolières flottantes a-t-elle contribué au développement de l'offshore flottant ?
J. B. - Elle a servi de référence : il s'agit d'objets certes lourds et imposants, mais qui ne sont néanmoins pas comparables à des plateformes pétrolières en termes de densité. Évidemment, de nombreuses techniques utilisées dans l'offshore flottant - la flottabilité des plateformes, les ancrages, les modes de mise en place... - font appel à des usages, à des outils et à des savoir-faire que les grands groupes familiers de l'offshore pétrolier maîtrisent parfaitement.
Avec ses deux sous-familles, l'éolien est la première grande famille du renouvelable marin. L'autre grande famille est celle des hydroliennes qui utilisent l'énergie des courants et des marées. Cette dernière dispose d'une caractéristique intéressante : ce n'est pas un profil de production météorologique mais astronomique. C'est lunaire - on parle d'ailleurs parfois de l'« énergie de la Lune ». L'intérêt se trouve surtout en termes de prévisibilité : nous évoquions le problème du stockage... Pour une énergie du type courant de marée, il suffit de placer une sonde pendant un mois pour planifier quasiment à la minute près, pour les quinze années à venir, ce que sera la production à cet endroit. Cette précision s'associe très bien avec le stockage : la batterie est remplie dans les périodes de hautes eaux et vidée pendant les basses eaux.
P. I. - Il s'agit donc d'un va-et-vient, mais à quelle distance de la côte ?
J. B. - Autant avec l'éolien il existe un nombre très important de sites énergétiques, autant sur les courants de marées les choix sont beaucoup plus restreints à l'échelle mondiale. En France, par exemple, trois grands sites sont répertoriés : un au large de Cherbourg, à l'ouest, le raz Blanchard, bien connu des navigateurs ; un deuxième à l'est du Cotentin, le raz Barfleur ; et le passage du Fromveur entre Molène et Ouessant. Il sera difficile d'avoir d'autres sites intéressants pour l'hydrolien en France.
Au-delà de l'intérêt lié à son caractère astronomique, l'hydrolien présente un avantage en termes de perception paysagère puisqu'il ne se voit pas : il est sous la surface. Par ailleurs, étant donné qu'il s'installe dans des zones de forts courants, la pêche est limitée, et les frictions avec les pêcheurs, moindres. Mais les zones utiles sont limitées, comme je viens de l'évoquer. La puissance installée potentielle est donc relativement faible par rapport à l'éolien.
P. I. - Au-delà de l'éolien et de l'hydrolien, quelles sont les autres familles du renouvelable en milieu marin ?
J. B. - Il existe deux autres technologies, dont l'une est dans le droit fil des deux premières : l'énergie houlomotrice qui s'appuie sur la force des vagues. Là aussi, il s'agit de capturer une force, celle de la mer. Dans un cas il s'agit du vent, au-dessus de la surface ; dans l'autre c'est le courant, en dessous. L'énergie des vagues, c'est la puissance de la déferlante, de l'onde, qui est intéressante car le potentiel de valorisation de ces puissances-là est phénoménal. Les sites concernés sont innombrables. Mais il existe un problème de taille : c'est une énergie beaucoup plus difficile à capter que celle du vent ou des courants car les vagues changent d'orientation et, surtout, de puissance. Il est en effet compliqué, comme souvent pour capturer une force, d'être dimensionné pour le petit temps tout en étant capable d'absorber le plus puissant. Il faut savoir qu'on ne peut pas faire varier le format de la machine entre le moment où elle est soumise à de très fortes vagues et celui où il faudrait au contraire lui donner la dimension maximale pour aller capter l'énergie la plus faible.
P. I. - Des expériences ont-elles déjà été menées ?
J. B. - Il y a effectivement eu des expériences, mais elles restent encore balbutiantes. Par analogie, je trouve intéressant de comparer les différentes familles à l'évolution humaine. L'éolien offshore, qu'il soit posé ou flottant, est, comme l'Homo sapiens, au bout de l'évolution. Les nouveautés consistent désormais en de l'optimisation. Un peu comme l'avion après 1915, les composantes sont établies : les ailerons, le manche à balai et le palonnier.
Pour l'énergie hydrolienne, celle des courants, nous sommes plus face à une tribu de néanderthaliens dans laquelle se cache un Homo sapiens. Il existe une multitude de solutions variées et astucieuses mais, à ce stade, il est impossible de déterminer dans cette tribu quel individu va ressortir vainqueur, sur le plan darwinien. En revanche, il est à peu près certain que cet individu se trouve au sein de la tribu actuelle, telle que nous la voyons.
Quant à l'houlomoteur, c'est plus compliqué : nous en sommes encore au pithécanthrope, ou à l'homme de Java ! Il doit encore connaître un processus de « dégrossissage » qui va aboutir à une solution qui s'imposera non pas comme une solution universelle, mais comme celle qui sera la plus adaptée à l'ensemble des caractéristiques des sites. Nous sommes dans l'espoir. Il existe de nombreuses solutions, toutes très tentantes lorsqu'on échange avec leurs concepteurs, qui ont chacun une approche intéressante. Mais si l'on se positionne sur la durée, sur la complexité technique, la maintenance, l'exposition aux risques de fatigue, d'usure, d'usage, etc., la difficulté est immense. Dans le cas du courant, sous l'eau, on arrive à s'orienter un peu à la manière d'une éolienne, et à encaisser le minimum de chocs en optimisant le maximum de force valorisée. Avec la vague, il est difficile de prendre toute la force sans prendre tous les coups. Là est la difficulté de l'houlomoteur.
P. I. - Il reste encore une énergie marine...
J. B. - Effectivement. C'est celle qui utilise l'énergie thermique des mers (ETM), qui s'appuie sur la différence de température, en milieu tropical, entre l'eau de surface, chaude, et l'eau de profondeur, froide et stable à environ 1 000 mètres de profondeur. Elle est un peu à part, pour plusieurs raisons. La première est qu'il ne s'agit pas d'une énergie qui cherche à capter la force, ce en quoi elle se distingue des trois autres. Elle cherche à maîtriser un flux, qui est certes très important compte tenu des volumes d'eau en jeu, mais la problématique n'est plus celle d'une résistance et d'une optimisation d'un système qui doit faire face à des variations de force. Le principe est de pomper des eaux froides - environ 4 °C - en profondeur et de les faire remonter en gros volumes à la surface pour provoquer des échanges de chaleur.
Deuxième différence avec les trois premières familles, cette technologie est presque dès l'origine un Homo sapiens sapiens, pour reprendre l'analogie précédente. Il n'y a pas d'interrogation sur la justesse et le caractère pertinent du concept technologique, qui a déjà été mis en oeuvre dans les années 1920 et 1930 par la France. Imaginé par un savant allemand, il a été popularisé par Jules Verne dans 20 000 Lieues sous les mers : le capitaine Nemo, à bord du Nautilus, rêvait de pouvoir produire un jour de l'énergie en utilisant la différence de température entre l'eau chaude et l'eau froide. Georges Claude, un industriel français inventeur de la lampe à néon, a expérimenté le principe en conditions réelles, investissant lourdement dans les années 1920 pour un premier modèle d'ETM à Cuba, puis un autre modèle flottant, dans un navire qu'il avait reconverti, La Tunisie, au large de Rio en 1934. Le schéma technique de l'époque est rigoureusement le même que celui qu'on utilise aujourd'hui, même si les progrès technologiques ont entre-temps permis une certaine optimisation, grâce notamment aux progrès du pompage issus de l'industrie pétrolière. Le principe de fonctionnement est celui d'une pompe à chaleur inversée. On capte l'eau chaude en surface, qui est suffisamment constante et supérieure à 25 °C, ce qui est le cas dans tous les milieux tropicaux. Cette eau chaude sert à réchauffer un liquide de travail, par exemple l'ammoniaque, qui est en circuit fermé. Ce liquide de travail circule dans des tubes en titane entre lesquels on fait passer l'eau chaude. À aucun moment l'eau n'entre en contact avec ce liquide, mais l'échauffement des tubes réchauffe le liquide de travail qui, à l'issue de ce processus, passe de l'état liquide à l'état gazeux. L'intérêt est de faire en sorte que ce gaz puisse se détendre dans une turbine et la faire tourner, pour qu'elle alimente un alternateur produisant de l'électricité. Pour que la boucle soit bouclée, il faut refroidir le gaz afin de le faire repasser à l'état liquide. D'où la nécessité de pomper l'eau froide en grande profondeur, à 1 000 mètres et à 4 °C. Après remontée à la surface, cette eau fait 6 ou 7 °C et, de la même manière que pour le réchauffement, le gaz qui circule dans des tubes en titane refroidis par cette eau revient à l'état liquide.
Troisième caractéristique de l'ETM : c'est une électricité de base, qui n'est pas intermittente. Pour peu que l'eau chaude soit disponible de nuit comme de jour, ce qui est le cas sous les tropiques, le système fonctionne en permanence. Dans des conditions d'extrême isolement, dans des îles éloignées de tout, où faire venir du pétrole, du gaz ou du charbon est compliqué et onéreux, on a là un système qui apporte une électricité renouvelable à 100 % et qui n'est pas du tout perturbateur pour le réseau électrique puisqu'il est stable et continu. C'est donc une très bonne solution dans certaines configurations.
P. I. - Pour ces quatre grandes familles d'énergies renouvelables marines, il faut de l'investissement et une volonté politique...
J. B. - L'investissement se mobilise à partir du moment où une certaine maturité technologique est atteinte. Pour l'heure, c'est massivement le cas pour ce qui concerne l'éolien posé : il est bien adapté au marché, et il va l'être de plus en plus car il peut apporter la puissance et le prix. Ses régimes de prix sont du même ordre que ceux de l'éolien terrestre, lorsqu'on compare deux sites similaires, à proximité l'un de l'autre. J'estime que la phase suivante sera l'investissement dans l'éolien flottant, à peu près de conserve avec l'hydrolien. Je mettrais l'houlomoteur plus loin car, comme je l'ai dit, cette technologie n'est pas mûre. Dans le cas de l'ETM, je pense que les projets en cours visent à démontrer qu'elle se trouve à un niveau de maturité qui suscitera de l'intérêt pour ce type de schéma.
P. I. - Les pouvoirs publics français ont-ils pris conscience de l'intérêt que les énergies marines renouvelables représentaient pour le pays ?
J. B. - En France, à l'heure actuelle, six parcs ont été autorisés en éolien posé. Ils prennent du temps à voir le jour car il faut d'abord résoudre un certain nombre de complexités, naturelles sur de tels projets. Ces parcs sont d'un format comparable à ceux qui existent chez nos voisins européens. Même si nous sommes partis un peu en retard par rapport à eux, nous devrions assez rapidement les rattraper. Nous sommes en revanche en avance en matière d'hydrolien, puisque la France dispose depuis 2014 de deux sites pilotes autorisés dans le raz Blanchard. Un autre projet doit voir le jour entre Ouessant et Molène. Nous sommes l'un des rares pays à avoir franchi ce cap de la « ferme pilote » pour l'énergie hydrolienne. Et nous disposons également, depuis fin 2016, de quatre « fermes pilotes » en éolien offshore flottant : trois ont été validées en Méditerranée et une au large de Groix, ainsi que d'autres démonstrateurs. Nous pourrions faire mieux, très certainement, mais la France a déjà déployé l'ensemble de la gamme technologique, si l'on tient compte pour l'ETM du projet NEMO en Martinique - de très loin le projet de classe industrielle le plus avancé à l'échelle mondiale en la matière.
P. I. - Quand la France aura-t-elle mis en place une vraie production ?
J. B. - C'est difficile à dire. La production réelle, si l'on prend en compte les six parcs déjà évoqués, peut atteindre 3 gigawatts. Il ne faut pas comparer ces niveaux avec ceux du nucléaire, car la production n'a pas lieu 8 500 heures par an, mais plutôt entre 2 500 et 3 000 heures par an, ce qui est déjà assez considérable pour du renouvelable. Cette puissance installée, lorsqu'elle sera opérationnelle, peut avoir un impact non négligeable sur le réseau électrique français. Mais il faudra faire franchir au pays une autre étape : une transition qui rendra possible l'augmentation de la part du renouvelable sur la base d'une diminution du parc électronucléaire français.
P. I. - L'avantage du renouvelable, c'est que cette énergie fédère...
J. B. - Il faut nuancer cette perception. En effet, malgré les démonstrations d'intérêt pour le milieu marin, le passage à l'acte reste délicat pour les Français. Comme le disait Éric Tabarly de manière imagée, « la mer est pour les Français ce qu'ils ont dans le dos quand ils regardent la plage ». Le développement de ces énergies demande une vraie croyance, une vraie volonté, un vrai engagement. Ce n'est pas aussi simple en France que dans d'autres contrées...
P. I. - Vous occupez le poste de fédérateur de la filière export des énergies renouvelables. À quoi cette fonction correspond-elle ?
J. B. - J'ai été nommé à ce poste en mai 2015 par le ministre des Affaires étrangères. À son arrivée à ce ministère, Laurent Fabius a souhaité mettre en oeuvre une véritable diplomatie économique et donner plus de force à la promotion des technologies, des innovations et du savoir-faire français à l'export. Il s'agissait à la fois d'organiser les différentes filières de manière plus dynamique mais aussi de rendre l'exercice plus concret pour l'ensemble des équipes en poste à l'étranger et qui viennent appuyer les entreprises françaises : ambassades, Business France, Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), etc.
Sept familles de produits ont été identifiées, chacune étant animée par un fédérateur - sorte de représentant permanent du secteur concerné, ayant pour but de promouvoir les entreprises de ces filières à l'étranger. Ce qui nécessite, la plupart du temps, d'abord de réunir les entreprises, puis de les unifier, de les mettre en cohérence sur le plan national avant de les projeter à l'export.
P. I. - Quels secteurs couvrez-vous exactement ?
J. B. - Ma fonction couvre l'ensemble des énergies renouvelables, au-delà des énergies renouvelables marines : les filières historiques que sont la géothermie, la biomasse et l'hydraulique, les plus récentes comme l'éolien terrestre et le solaire, et les filières plus prospectives que sont les énergies marines renouvelables que nous avons déjà évoquées.
P. I. - Disposez-vous d'un premier bilan des actions menées ?
J. B. - Il est positif : depuis deux ans, beaucoup de travail a été effectué. Une première étape a consisté à harmoniser l'ensemble des acteurs - à commencer par les différentes administrations qui concourent à promouvoir les énergies renouvelables à l'export. Le ministère des Affaires étrangères bien sûr, mais aussi Bercy, la Direction générale du Trésor et la Direction générale des entreprises qui suit, accompagne et soutient les efforts français à l'export. Ou encore la Direction de l'énergie et du climat qui dépend du ministère de la Transition écologique et solidaire. Toutes ces actions ont bien entendu été conduites en lien très fort avec les différents syndicats et associations qui intègrent toutes les sensibilités des entreprises du renouvelable. Il s'agissait, en résumé, d'organiser de façon conjointe les efforts de toutes ces entités, afin qu'elles puissent tirer dans la même direction.
P. I. - Quelles actions ont été menées, concrètement ?
J. B. - Un premier exercice a été réalisé pour tester la solidité de la structure et la capacité à se fédérer à l'export. Ce fut un travail d'identification et d'appui des projets sur le point d'aboutir. Tous les postes à l'étranger ont été sollicités pour faire remonter vers Paris la liste des entreprises françaises qui étaient alors sur le point de signer un accord ou un contrat. Ils devaient se rapprocher d'interlocuteurs privés ou publics dans leurs pays respectifs afin d'identifier clairement le point de blocage qui séparait ces entreprises du franchissement de la ligne d'arrivée.
Tout cela nous a permis, dans un grand nombre de cas, de lever ce dernier obstacle et de faire la preuve de cette solidarité qui se jouait à partir de Paris avec le soutien des ambassades pour permettre à ces entreprises grandes, moyennes ou petites d'accéder à l'export avec succès.
Le deuxième chantier, qui s'inscrit plus dans le long terme, est la mise en place de clubs export énergie renouvelable à l'étranger. Il s'agit d'identifier les manques. La plupart du temps nous connaissons les marchés : certaines entreprises y sont présentes, d'autres n'osent pas, ne connaissent pas ou ne savent pas. Le plus simple est d'organiser le partage du savoir entre entreprises françaises sur une base géographique, et de faire en sorte que les échanges d'informations puissent être organisés et structurés. Le but est que la France se positionne sur un marché où un contrat précis pourrait être mis en oeuvre avec une, deux ou trois entreprises différentes, accompagnées par les ambassades, Business France ou les autres moyens d'appui et de soutien à l'export.
Nous avons ainsi créé trois clubs export à l'étranger. Le premier en mai 2016 à Nairobi au Kenya, qui couvre l'Afrique de l'Est et une partie de l'océan Indien. Le deuxième en février dernier à Abou Dhabi pour couvrir le Moyen-Orient au sens large - même si l'Irak et l'Iran restent en dehors. Le troisième a été ouvert, en présence du ministre des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault, lors de son passage à Jakarta, début mars 2017.
D'autres initiatives comparables ont été lancées sur des registres quelque peu différents, par exemple à Taipei pour l'éolien offshore flottant, ainsi qu'à Mexico où un club export Amérique du Sud devrait voir le jour.
P. I. - Quelles zones géographiques sont intéressées par les réalisations françaises ?
J. B. - Le marché des énergies renouvelables est en expansion généralisée à l'échelle mondiale. La transition énergétique est une réalité, ce n'est pas simplement une vue de l'esprit. Ça l'est déjà pour la France, mais c'est valable pour toutes les zones géographiques : aucune n'échappe à cette tendance. Les enjeux sont énormes. Sur le continent africain, ils dépassent d'ailleurs la seule question énergétique puisqu'il s'agit plus d'électrification de zones non couvertes aujourd'hui que de transition d'un modèle vers un autre.
En Indonésie, toutes les conditions sont réunies pour les énergies renouvelables : tous les principaux acteurs français sont donc présents sur place, que ce soit pour les technologies plus anciennes ou pour les plus modernes comme les énergies renouvelables marines. Nous y sommes clairement attendus.
De la même manière, on observe au Mexique une grande appétence pour les technologies françaises liées au renouvelable car les conditions de production sont idéales, notamment dans le solaire. Engie, EDF et d'autres sont déjà présentes et ont largement montré leur savoir-faire.
P. I. - Quel est le plus grand concurrent de la France dans ce domaine ?
J. B. - Dans l'absolu, c'est évidemment la Chine, car il s'agit du plus grand marché au monde : c'est là que se trouvent les plus grands producteurs dans le solaire et l'éolien. De plus, au-delà de sa puissance de frappe industrielle, Pékin appuie puissamment ses entreprises au niveau diplomatique, ce qui accroît encore leur compétitivité. Cette concurrence chinoise n'est pas insurmontable mais elle place la barre très haut pour les entreprises françaises. Les États-Unis, eux, sont relativement peu présents. Nous retrouvons, en revanche, de belles entreprises européennes, notamment allemandes, italiennes et anglo-saxonnes.