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L'ONU maritime s'appelle l'OMI

« Liberté des mers » et réglementation

L'Organisation maritime internationale est une institution spécialisée des Nations unies. Elle se définit elle-même comme « l'autorité mondiale chargée d'établir des normes pour la sécurité, la sûreté et la performance environnementale des transports maritimes internationaux ». Mais la « norme » peut être vite assimilée à la « contrainte », dans le contexte du milieu maritime, qui se prévaut de ce qui est désormais universellement présenté comme l'« ancestrale liberté des mers ».

Petit rappel historique : si le droit romain qualifiait déjà la mer de « commune à tous », et si l'idée a été développée dès 1609 par le juriste néerlandais Grotius dans son célèbre ouvrage Mare Liberum, ce n'est qu'au XIXe siècle, à l'ère de la toute-puissance maritime et navale du Royaume-Uni, que la « liberté des mers » est devenue un principe communément admis du droit maritime.

Qu'une organisation soit créée uniquement dans le but de réglementer - même si elle n'avait pas pour fonction de réguler - un domaine aussi jaloux de ses prérogatives n'allait donc pas forcément de soi. Si la globalisation n'a pu se réaliser que grâce au transport maritime international, de loin le moins coûteux à la tonne transportée, le « shipping » se nourrit, réciproquement, du développement du commerce international. On pourrait donc craindre à juste titre qu'une concurrence internationale aiguisée par des crises successives amène les armateurs, et les États où sont situées leurs entreprises ou immatriculés leurs navires, à refuser toute contrainte réglementaire. Néanmoins, c'est cette même concurrence exacerbée qui induit la course au gigantisme. Or, avec la croissance des navires, tout accident, inexorablement, est susceptible d'avoir des conséquences plus importantes, voire spectaculaires, tant en termes d'investissement ou de cargaison (détérioration, voire disparition) que de perte de vies humaines ou de pollution.

La nécessité même d'une réglementation extensive a donc été progressivement admise par tous - et cela, à un niveau international, non seulement car le domaine de la haute mer est soustrait, par définition, à la norme purement nationale, mais encore plus afin de maintenir le fameux « level playing field » (1) cher à tout acteur d'un secteur aussi globalisé que celui de la marine marchande.

Plusieurs pays avaient proposé de mettre en place un organisme international permanent pour promouvoir la sécurité maritime de manière plus efficace, mais il a fallu attendre la création de l'ONU elle-même pour que cet objectif soit réalisé. En 1948, une conférence internationale convoquée à Genève a adopté une convention portant officiellement création de l'OMI (dont le premier nom était Organisation intergouvernementale consultative de la navigation maritime, ou OMCI, devenue l'OMI en 1982). Mais il a fallu encore attendre que cette convention entre en vigueur en 1958 pour que la nouvelle Organisation se réunisse pour la première fois l'année suivante.

Certes, des conférences internationales avaient, précédemment, abouti à l'adoption de quelques conventions. Mais la création d'une organisation dédiée à la sécurité maritime allait complètement changer le rythme d'adoption des normes et leur portée puisque l'OMI a élaboré à ce jour 53 conventions (la France en a ratifié 46) accompagnées d'une multitude de codes et de lignes directrices, et que ces textes continuent d'être adaptés régulièrement.

Sans pouvoir établir ici un inventaire exhaustif des textes grâce auxquels l'OMI remplit sa tâche, l'examen des plus importants montre bien l'ampleur du chemin parcouru.

La sécurité des hommes et des navires d'abord...

Véritable pilier de la sécurité en mer, la plus importante convention est incontestablement la SOLAS (« Safety of Life at Sea », c'est-à-dire sauvegarde de la vie en mer). Sa première version a été adoptée par une conférence diplomatique en 1914, en réponse à la tragédie du Titanic (1912). Elle a dû être remplacée, notamment au gré des évolutions techniques, par cinq versions successives. La dernière, qui date de 1974, fait désormais l'objet d'amendements réguliers, grâce au mécanisme de négociations instauré à l'OMI qui permet une entrée en vigueur accélérée et donc une adaptation beaucoup plus rapide aux nouveaux défis.

Cette convention réglemente non seulement les engins de sauvetage et les services de recherche et de sauvetage mais surtout, bien en amont, les normes en matière de compartimentage (qui ne rend pas un navire insubmersible mais allonge le temps disponible pour évacuer) et de stabilité, de lutte contre l'incendie (premier danger à bord, avant même les risques d'abordage ou d'échouement) ou de radio-télécommunications. Elle a trait, également, au service de recherche des glaces (cf. le Titanic), aux aides à la navigation ou bien au transport des matières dangereuses, pour ne citer que quelques-uns de ses chapitres. Des améliorations constantes ont ainsi conduit, entre autres, au développement de la redondance des systèmes vitaux dans les domaines de production électrique et de l'appareil à gouverner et à l'introduction des doubles coques pour les pétroliers.

La sécurité des navires à passagers fait l'objet d'une attention particulière. Suite au naufrage du Herald of Free Enterprise en 1987 (193 morts), une série de mesures a été rendue obligatoire pour les navires à passagers. Mesures physiques, comme le renforcement de la stabilité après avarie, mais aussi organisationnelles comme le code ISM (International Safety Management). Ce dernier, obligatoire à partir de 1998, a permis le passage d'une tradition de bonnes pratiques pas uniformément appliquées à une véritable culture de sécurité industrielle qui impose des procédures de sécurité tout au long de la chaîne (et pas seulement sur le navire).

Les accidents maritimes sont attribués principalement à une erreur humaine : le pourcentage oscille, suivant les sources, entre 60 et 75 %. Ils ont, bien sûr, des conséquentes directes pour la sécurité des équipages, des passagers et des cargaisons des navires concernés. Mais ils peuvent aussi avoir un impact à grande échelle pour un État côtier comme la France, dont la position au bord de mers parmi les plus fréquentées au monde (Atlantique Nord, Manche, Pas-de-Calais) et les courants dominants rendent les côtes particulièrement vulnérables. La compétence des équipages des navires, quels qu'ils soient, et donc leur formation, revêt par conséquent une importance cruciale. Un premier effort a consisté à fixer des critères minimaux de compétence par la convention STCW (« Standards of Training, Certification and Watchkeeping for Seafarers », c'est-à-dire normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille) adoptée en 1978. On relèvera cependant que les questions de dimensionnement des équipages et de prévention de la fatigue, cause majeure d'erreurs, restent difficiles à faire progresser dans un contexte de concurrence exacerbée par la crise.

Longtemps un appendice de la SOLAS, le Règlement pour prévenir les abordages en mer (Convention COLREG) a été révisé et adopté comme un instrument indépendant en 1972. Sorte de code de la route maritime, il a par exemple introduit les dispositifs de séparation du trafic, dont le premier fut mis en place dans le Pas-de-Calais (1967), détroit le plus fréquenté au monde.

Enfin, dans le domaine, en aval, de la recherche et du sauvetage, le SMDSM (Système mondial de détresse et de sécurité en mer, GMDSS en anglais) a été graduellement mis en place entre 1988 et 1999, si bien qu'un navire qui est en détresse n'importe où dans le monde peut recevoir une assistance, même si l'équipage du navire n'a pas le temps de lancer un appel à l'aide par radio, le message étant transmis automatiquement.

... mais la protection de l'environnement marin est également devenue incontournable

Les risques encourus par l'environnement en raison, notamment, de l'augmentation du volume d'hydrocarbures transportés par voie maritime et des dimensions des pétroliers ont trouvé une illustration magistrale dans la catastrophe du Torrey Canyon, en 1967, avec le déversement de 120 000 tonnes de pétrole.

Pour éviter ce type d'accidents et réduire leurs conséquences, l'OMI a alors pris une série de mesures concernant les navires citernes, non seulement pour la pollution accidentelle mais aussi pour la pollution par les hydrocarbures liée à l'exploitation. La plus importante a été l'adoption en 1973 de la Convention MARPOL (Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires), second « pilier » de l'architecture normative de l'OMI. Elle porte également sur la pollution par les produits chimiques, les substances transportées en colis, les eaux usées, les ordures, ainsi que la pollution de l'atmosphère.

Parallèlement, l'OMI a mis en place un système prévoyant une indemnisation pour ceux qui avaient subi des pertes financières résultant d'une marée noire. Il repose sur deux conventions complémentaires : la CLC (Civil Liability Convention, sur la responsabilité civile, adoptée en 1969 et remplacée par une autre, plus performante en 1992) qui instaure une assurance-responsabilité obligatoire tout en limitant la responsabilité à un montant en fonction de la jauge du navire ; et la convention de 1971 (puis de 1992) créant le FIPOL (Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures), qui entre en jeu lorsque l'indemnisation prévue par l'assurance au titre de la précédente convention est insuffisante. De manière remarquable, le FIPOL est financé par des contributions versées par les importateurs d'hydrocarbures des États parties. Une dernière convention, dite « BUNKER » (Convention internationale sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures de soute), datant de 2001, calquée sur la CLC, complète depuis 2008 le dispositif en s'appliquant aux hydrocarbures de soute.

Indispensables à la gestion de la stabilité d'un navire, les opérations de ballastage et de déballastage ont pour effet de transporter des eaux de ballast sur parfois de longues distances et peuvent avoir comme conséquence accidentelle l'implantation d'espèces invasives. La convention BWM (Ballast Water Management), adoptée en 2004, vise à prévenir, voire à supprimer ce risque, grâce à des systèmes de gestion (par exemple par filtration, rayonnements UV ou traitement chimique). Elle entrera en vigueur en septembre 2017.

Graduellement, les questions de protection, d'abord centrées sur l'élément aquatique, se sont étendues à l'air.

La MARPOL a ainsi été progressivement amendée à partir de 1997 pour inclure des dispositions réduisant à l'échelle mondiale les émissions d'oxyde de soufre (SOx), d'oxyde d'azote (NOx) et de matières particulaires des navires, et pour permettre, en outre, l'introduction de zones de contrôle des émissions (ECA) afin de réduire les émissions de ces polluants atmosphériques dans des zones maritimes désignées. Ainsi, une SECA (SOx Emission Control Area) a été établie en Manche, Baltique et mer du Nord avec une limite de 1,5 %, progressivement réduite à 0,1 % en 2015. Hors des SECA, le taux maximum est passé de 4,5 % à 3,5 % en 2012 et il passera même à 0,5 % en 2020, soit une réduction considérable puisqu'elle représente une division par sept.

La prise en compte de la problématique du réchauffement climatique a par ailleurs débouché sur l'adoption de mesures fixant notamment un minimum d'efficience énergétique (Energy Efficiency Design Index, EEDI) pour certains segments de navires (par exemple, les navires citernes, vraquiers, rouliers, etc.) qui couvrent environ 85 % des émissions. L'EEDI est devenu obligatoire en 2013. À la suite de l'Accord de Paris, l'OMI a adopté un système de collecte de données destiné à établir plus précisément l'ampleur des émissions de gaz à effet de serre par le transport maritime international, qui donnera ses premiers résultats en 2019. Sous la pression de l'Europe, elle s'est également engagée à adopter une stratégie initiale de réduction des gaz à effet de serre au printemps 2018, qui sera révisée en 2023 pour y incorporer des mesures à court, moyen et long terme.

En guise de conclusion...

L'OMI est un créateur de normes mais pas un gendarme. Seuls les États peuvent assurer la mise en oeuvre de ses conventions, au titre du pavillon et/ou du port. En instituant la délivrance des certificats et les inspections en conséquence, les conventions organisent un système d'attestation de leur application. Dans le cas d'un navire sous un pavillon peu fiable (il en existe malheureusement encore quelques-uns), le contrôle au titre de l'État du port peut contribuer à redresser les choses.

De plus, beaucoup de conventions incluent une clause du « traitement pas plus favorable », qui permet d'imposer aux navires battant pavillon d'une partie non contractante faisant escale dans ce port les dispositions de ladite convention. Cette clause a significativement contribué à l'application des normes : la perspective, in fine, de voir son navire détenu dans un port lors d'un contrôle, est un facteur important pour convaincre un armateur. Afin de renforcer encore le respect par tous des règles, un système d'audits visant à déterminer la mesure dans laquelle les États s'acquittent pleinement et intégralement des obligations et responsabilités qui leur incombent en vertu d'un certain nombre d'instruments conventionnels de l'OMI s'est mis progressivement en place et est même devenu obligatoire depuis le 1er janvier 2016.

L'OMI, forte de ses 172 États membres, mais aussi des 76 ONG internationales ayant auprès d'elle un statut consultatif, à travers lesquelles les lobbies industriels au sens large ont une grande influence, sert bien la communauté internationale. Loin d'être une simple enceinte de négociations entre États, elle est un lieu de partage des connaissances. Elle réunit ainsi, de manière assez informelle, des experts de haute compétence technique venant d'horizons très différents - de la recherche scientifique aux industriels -, des praticiens (anciens navigants) aux administrations, qui cherchent ensemble des solutions, bien souvent au-delà de toute position nationale affirmée.

C'est grâce à l'instauration et à l'application croissante de normes exigeantes que, en dépit d'une explosion du trafic, les catastrophes maritimes se sont faites plus rares. Du moins dans les États où s'exerce un contrôle vigilant. Les statistiques des assureurs affichent une baisse considérable du taux de perte (de 1 % à 0,15 % entre 1910 et 2010). Cette progression n'est sans doute pas due à la seule existence de l'OMI, mais elle y a certainement beaucoup contribué.

L'OMI a appris à faire face aux développements technologiques continus dans son domaine propre et sa légitimité demeure inchangée. La thématique du changement climatique, d'une part ; et, d'autre part, l'introduction, voire, dans un avenir difficile à déterminer, la généralisation des navires autonomes figurent parmi les grands défis auxquels elle est confrontée. Gageons qu'elle saura trouver les moyens d'y répondre.

(1) Que l'on peut traduire par « uniformité des règles du jeu » ou « pied d'égalité ».