Océans : un trésor énergétique

Dossiers spéciaux : n°156 : La croissance bleue

La mer est essentielle au développement de l'énergie. Aujourd'hui, 30 % des ressources en hydrocarbures proviennent du fond des mers et des océans ; demain les énergies marines renouvelables prendront une place primordiale dans le mix énergétique.

L'énergie est étroitement liée au monde marin. La production de pétrole et de gaz en mer ou offshore est fondamentale pour l'approvisionnement énergétique mondial. Cette production a débuté dans les années 1950 avec l'installation de plateformes dans des eaux peu profondes - autour de 200 mètres puis 500 mètres dans les années 1990. Aujourd'hui, les profondeurs d'eau atteignent 3 000 mètres.

À cette production s'ajoute le transport maritime. Dès sa découverte au XIXe siècle, le pétrole a été transporté par des navires à voiles, principalement entre l'Amérique et l'Europe. Il voyageait dans des barriques, d'où le fameux barrel. Dans la seconde moitié du XXe siècle, le rôle des navires pétroliers est devenu un élément stratégique pour les États qui les contrôlaient. De nos jours, plus de 60 % du transport mondial de brut reste assuré par mer.

La mer offre aussi de merveilleuses perspectives en matière d'énergies renouvelables, qu'il s'agisse des éoliennes offshore, de l'énergie des courants, de l'énergie thermique des mers ou d'une autre de ses ressources précieuses : les algues.

L'exploitation offshore du pétrole ou du gaz a nécessité des technologies toujours plus avancées pour aller chercher de la ressource en profondeur tout en assurant la préservation de l'environnement et la sécurité. L'innovation et la R&D de l'industrie pétrolière et parapétrolière française ont joué un rôle essentiel dans l'évolution des technologies en offshore dans le monde ; c'est cette expertise française qui a conduit à la renommée internationale de notre industrie.

La R&D française dans l'offshore pétrolier n'est pas récente ; elle a été soutenue par la mise en place du FSH (Fonds de soutien aux hydrocarbures) et du CEP&M (Comité d'études pétrolières et marines) dans les années 1980. Après la disparition du CEP&M, EVOLEN a créé avec les soutiens financiers de grandes entreprises le programme CITEPH (1) - un programme qui facilite l'accès à des financements privés de projets innovants dans les énergies : hydrocarbures, énergies marines, stockage de l'énergie...

Ces soutiens ont efficacement permis et permettent encore de donner à notre industrie une puissante capacité d'innovation.

Énergies en mer : une expertise française

La France a vu se développer de véritables fleurons de l'industrie parapétrolière offshore comme Technip (aujourd'hui TechnipFMC), CGG, Bourbon, GTT ou des entreprises très innovantes comme ECA, Ixblue, Doris Engineering, Vallourec, Courbis, Principia, Bardot group, etc. Mais aussi des instituts de recherche comme l'Ifremer ou l'IFPEN. De grandes sociétés étrangères leaders dans l'offshore comme Saipem SA ou Subsea7 ont choisi de s'établir en France.

C'est ainsi que CGG et son imagerie sismique 3D à grandes déviations a permis de trouver au large du Brésil et sous une épaisse couche de sel très corrosive d'importantes réserves pétrolières. Toujours au Brésil, une autre entreprise française,Vallourec, a su adapter ses tubes à l'univers corrosif du sel en en augmentant l'épaisseur.

D'autres grandes découvertes ont été faites dans le golfe du Mexique ou encore dans le très riche bassin de l'Afrique de l'Ouest.

Depuis l'installation de son premier FPSO (Floating Production Storage and Offloading) sur les eaux angolaises et la mise au jour de champs géants dans le bassin de l'Afrique de l'Ouest, le groupe français Total a réalisé d'importants investissements en R&D. De vastes installations sous-marines ont été déployées par plus de 1 000 mètres de profondeur d'eau.

En 2011, Total réalise une première mondiale en descendant les équipements de pompage directement sur le sous-sol sous-marin du champ Pazflor, au large de l'Angola. Trois unités sous-marines de séparation du pétrole et du gaz, dites SSU (Subsea Separation Unit) sont mises en place. Aussi hautes que l'Arc de triomphe, elles pèsent 800 tonnes chacune. Grâce à elles, le gaz sous pression remonte naturellement vers le FPSO tandis que le pétrole doit être pompé vers la surface.

Pour ces profondeurs il faut concevoir de nouveaux risers car, à une telle distance, les techniques d'isolation thermique dites passives sont insuffisantes. Subsea7 et TechnipFMC vont alors réaliser des câbles électriques chauffants directement intégrés dans les couches dont sont formées les conduites. La distance qui sépare les têtes de puits des équipements du bateau constitue une autre prouesse technologique.

La société Coflexip, qui appartient maintenant à Technip, a été l'initiateur de la technologie de la conduite flexible au début des années 1970. Sa R&D a permis de concevoir, entre autres, l'Integrated Production Bundle (IPB) (ligne de production intégrée multifonctions). Cette technologie assure la bonne circulation des hydrocarbures en conditions difficiles (huile visqueuse, eau profonde et contraintes de pression, etc.) depuis les têtes de puits jusqu'aux unités de traitement en surface.

Le groupe Bourbon a lancé en 2004 l'activité susbsea ; ses navires disposent d'équipements particuliers, notamment des grues, qui permettent de déposer des colis au fond de la mer par 3 000 mètres de profondeur d'eau. En 2014, Bourbon installait en Afrique de l'Ouest 276 têtes de puits et réalisait 396 raccordements de puits sous-marins, représentant respectivement 23 % et 33 % des raccordements sous-marins de cette région.

C'est aussi en France, à Béziers, que sont conçus et fabriqués par la société américaine Cameron, reprise en 2016 par Schlumberger, la plupart des BOP (Blow Out Preventer) ou blocs obturateurs de puits. Ces BOP sont des valves de sécurité utilisées sur les appareils de forage de l'industrie pétrolière.

Deux entreprises françaises, Bardot et Courbis, sont à l'origine de nouvelles conceptions de mousse pour l'aide à la pose de pipes. Principia, entreprise basée à La Ciotat, va concevoir des logiciels pour analyser le comportement hydrodynamique du matériel offshore et subsea.

TechnipFMC, c'est aussi le FLNG (Floating Liquefied Natural Gas ou unité de liquéfaction en mer du gaz naturel), un projet gigantesque et la concrétisation de décennies de travail pour le groupe dans les unités de liquéfaction de gaz naturel, les installations offshore flottantes et les infrastructures sous-marines.

Dans les nombreuses zones où le FLNG est appelé à opérer pour refroidir le gaz naturel, il est nécessaire de pomper de l'eau de mer au rythme de 20 000 m3 à l'heure. Dans les prochaines années, ce sera de l'eau des grandes profondeurs dont la température est de 4° qui sera utilisée. Cela se traduira par une économie très importante d'énergies fossiles.

N'oublions pas non plus GTT (Gaztransport & Technigaz) qui conçoit des systèmes de confinement à membranes cryogéniques pour le transport par bateaux et le stockage sur terre et en mer du GNL et qui est aujourd'hui leader sur son secteur.

Cette expertise technologique de l'industrie dans l'exploitation des hydrocarbures en offshore est devenue très précieuse pour les énergies marines renouvelables. Citons ainsi, pour les éoliennes, la géotechnique sur le comportement des ancrages au fond de la mer, mais aussi le comportement hydrodynamique du flotteur où sera installée l'éolienne et les capteurs associés à celle-ci ; ou encore, pour les hydroliennes, les mesures de courant...

Un ADN maritime

Les entreprises expertes dans l'exploration et la production d'énergies en mer font partie du réseau EVOLEN (aujourd'hui 250 entreprises). La mission d'EVOLEN est de défendre et de promouvoir dans le monde l'excellence technologique et industrielle de notre pays et de ses entreprises dans le domaine des hydrocarbures et des énergies renouvelables. Cette industrie réalise 36 milliards de chiffre d'affaires généré depuis la France (chiffre 2015) dont près de 50 % pour des activités en offshore et plus de 60 % si l'on inclut les activités portuaires.

EVOLEN collabore avec plusieurs acteurs du monde maritime. Lors des Assises de l'économie de la mer de 2016, le président de la République François Hollande avait souligné le besoin de créer une véritable filière maritime et annonçait la constitution d'une plateforme regroupant les acteurs publics et privés sous l'égide du secrétariat général de la mer. Cette « task force » nommée le Comité France maritime et dont fait partie EVOLEN doit produire les diagnostics et formuler des propositions sur l'avenir des filières maritimes.

Dans la perspective du doublement de l'économie maritime mondiale annoncé par l'OCDE à l'horizon 2030, le Comité France maritime accompagnera ainsi les filières industrielles pour que la France double également le chiffre d'affaires sur l'ensemble du secteur ainsi que le nombre d'emplois directs.

De nombreux défis

Pour pouvoir exploiter par grands fonds et développer les énergies marines l'industrie devra résoudre différents défis technologiques. Les développements commencent à soulever de réelles difficultés au-delà de 2 500 mètres d'eau, en particulier pour les risers et les appareils de pose de canalisations et modules sous-marins. Le développement du champ Perdido, dans le golfe du Mexique, est le plus profond à ce jour (avec des puits forés par près de 3 000 mètres de fond). Les dernières générations de rigs de forage permettent de travailler jusqu'à 3 600 mètres. Deux puits d'exploration ont récemment été forés en Inde par 3 045 et 3 078 mètres d'eau. Mais passer par plus de 3 000 mètres à la phase d'exploitation est autrement plus difficile.

Des problèmes se poseront au niveau du design, de la pose, de l'installation et de l'exploitation. Quoi qu'il en soit, les projets n'auront sans doute d'intérêt économique que pour une production d'au moins 50 000 à 100 000 barils par jour.

Aujourd'hui, avec un prix du baril moindre, cette exploitation innovante et à haute technologie travaille sur ses coûts. Relever ces défis est une priorité pour notre industrie pétrolière et parapétrolière.

Les énergies marines, qu'elles soient dédiées au vent, au courant ou aux ressources maritimes, ont, elles aussi, de nombreux défis à relever. C'est là encore par les technologies, l'innovation, la maîtrise de projets et l'expérience de l'industrie parapétrolière qu'elles bâtissent leur expertise.

(1) Le programme CITEPH (Concertation technologique pour l'innovation dans le domaine des énergies) facilite l'accès à des financements privés de projets de recherche. Il contribue à une vision partagée de l'évolution des technologies dans ce domaine industriel porteur et à un partage du risque financier de la R&D. Il aide les PME et les sociétés innovantes dans la conduite de projets à finalité industrielle et favorise les relations entre porteurs de projets et sponsors. Ces sponsors sont Total, Tigf, TechnipFMC, Subsea 7, Schlumberger, Saipem SA, GTT, Engie, Entrepose, Doris Engineering, DCNS, avec la participation de l'IFPEN.

Depuis dix ans, 212 projets ont été financés à hauteur de 43 millions d'euros environ.

Information : www.citeph.fr