À l'heure où l'actualité internationale se focalise sur la guerre contre le terrorisme, spécialement dans son fief moyen-oriental, en Syrie et en Irak, une autre région du monde subit une pression djihadiste. Il s'agit de l'Asie centrale et, plus précisément, des cinq républiques qui ont vu le jour en 1991 quand l'Union soviétique s'est disloquée. Des citoyens fanatisés de ces pays - Kazakhstan, Tadjikistan, Turkménistan et, surtout, Ouzbékistan et Kirghizstan - font régulièrement la une de l'actualité pour leur implication dans des opérations terroristes commises hors de leur zone d'origine. L'attaque au camion fou à Stockholm du 7 avril 2017 ; l'explosion dans le métro de Saint-Pétersbourg trois jours auparavant ; la fusillade de la discothèque Reina à Istanbul le 1er janvier 2017... Autant d'attentats imputés à des ressortissants centrasiatiques. Par surcroît, nombre de recherches sur le phénomène djihadiste en Syrie et en Irak attestent de la forte présence, sur ce terrain, de combattants issus d'Asie centrale.
Cet état de fait relève pour beaucoup du paradoxe au vu de la sécularisation réussie de ces populations depuis plusieurs générations, sous la longue domination de Moscou. Malgré la réislamisation en cours depuis le début des années 1990, ces sociétés fraîchement affranchies du joug idéologique soviétique demeurent empreintes de sécularisme. Dès lors, comment expliquer le phénomène djihadiste centrasiatique ? Quelles sont ses principales caractéristiques ? Les organisations, groupuscules et individus qui se réclament de cette idéologie sont-ils en mesure de déstabiliser les régimes des « cinq stan » ?
Repères historiques sur l'islam en Asie centrale
L'islamisation de la région centrasiatique date des premières conquêtes arabes, moins d'un siècle après la mort du prophète Mahomet en 632. En 751, les armées arabes atteignent la frontière chinoise où elles sont stoppées par les Chinois lors de la bataille de Talas. À cette date, la plus grande partie de l'Asie centrale est déjà islamisée, même s'il s'agit d'une islamisation superficielle puisque des pratiques préislamiques se maintiennent dans l'islam local. Au Moyen Âge, la région voit le développement de plusieurs foyers intellectuels et scientifiques. D'illustres savants natifs d'Asie centrale - comme Avicenne, le père de la médecine moderne, Al Fârâbî, théoricien de la philosophie politique ou Al Khorezmi, l'inventeur de l'algèbre et du point décimal - participent au rayonnement de la civilisation islamique au-delà de ses frontières et restent, aujourd'hui encore, célébrés pour leur contribution au progrès universel. Tout le long de la Route de la soie, les grands centres urbains et cosmopolites de Samarkand, Boukhara et Khiva sont autant de foyers intellectuels et artistiques bouillonnants, jusqu'à la fondation par les Timourides (les descendants de Tamerlan) de la prestigieuse dynastie des Moghols qui a doté l'Inde d'une brillante civilisation syncrétique et l'a dominée jusqu'à sa conquête par les Britanniques au XIXe siècle.
Le transport maritime et la découverte du Nouveau Monde amorcent le déclin de l'islam et de sa civilisation. Ce phénomène se traduit, en Asie centrale, par la progressive disparition des khanats et émirats, notamment de celui de Boukhara. Au XIXe siècle, la Russie part …
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