Entretien avec Jens Stoltenberg, Secrétaire général de l'OTAN depuis 2014 par Isabelle Lasserre, rédactrice en chef adjointe au service étranger du Figaro.
Isabelle Lasserre - Depuis son élection, Donald Trump a laissé planer un doute sur sa détermination à activer l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord - celui qui oblige les membres de l'Alliance à se porter au secours d'un des leurs en cas d'agression extérieure. Si la Russie envahissait demain l'un des trois États baltes, pensez-vous que les États-Unis réagiraient ?
Jens Stoltenberg - Oui. Absolument. D'abord, parce que nous touchons là à l'essence même de l'Otan, à sa mission principale. À savoir : tous les pays membres de l'Alliance sont obligés de venir en aide à celui qui serait attaqué. Il ne s'agit pas d'une option mais d'une contrainte imposée par le traité. Ensuite, parce que Donald Trump, son secrétaire à la Défense le général James Mattis et son secrétaire d'État Rex Tillerson ont tous réaffirmé leur attachement à l'Otan et à ses garanties de sécurité. Le président américain me l'a personnellement confirmé lorsque je l'ai rencontré à Washington. Il l'a répété pendant une conférence de presse commune que nous avons tenue en avril 2017 à la Maison-Blanche. Plus important sans doute : l'engagement américain dans l'Otan ne se traduit pas seulement par des mots, mais aussi par des actes. Depuis la fin de la guerre froide, les États-Unis avaient graduellement allégé leur présence militaire en Europe. Pour la première fois depuis de longues années, la tendance s'inverse : ils déploient des troupes supplémentaires à l'est de l'Europe. Juste avant le dernier sommet de Bruxelles, Donald Trump a proposé d'augmenter de 40 %, en 2018, le budget consacré au renforcement des moyens militaires de l'Otan à l'Est. Concrètement, cette initiative a déjà permis de créer une nouvelle brigade en Europe centrale et orientale, de pré-positionner des équipements militaires, d'investir dans des infrastructures et des exercices. Depuis l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014, nous assistons à un renforcement significatif de la présence américaine en Europe et plus particulièrement dans les pays baltes ! Les États-Unis dirigent un des quatre « groupes de combat » (battle group) que l'Otan est en train de déployer dans la partie est de l'Alliance, dans les pays baltes et en Pologne. L'attachement américain à l'Otan a donc été confirmé à la fois en paroles et dans les faits.
I. L. - L'ambiguïté de Donald Trump sur certaines questions et son incapacité à définir une stratégie claire vis-à-vis des grands défis internationaux ne risquent-elles pas d'affecter l'Otan ? Comment comptez-vous gérer l'imprévisibilité du président américain ?
J. S. - Nous devons nous souvenir que l'Otan est une alliance de démocraties et que, dans les sociétés démocratiques, différents types de responsables sont élus ! Ils ont des personnalités, des façons de communiquer, des cultures qui diffèrent... Nous sommes 29 nations des deux côtés de l'Atlantique - depuis l'entrée du Monténégro en juin -, chacune étant dotée d'une histoire, d'une géographie et de perspectives politiques bien à elle. Pourtant, nous avons toujours réussi à nous accorder sur l'essentiel : la défense collective. Pourquoi ? Parce que c'est le meilleur moyen d'obtenir la paix et d'empêcher que surgissent des conflits. Un fort lien transatlantique est dans l'intérêt de l'Europe, bien sûr. Mais aussi dans celui des États-Unis. Aucune autre superpuissance dans le monde ne peut compter sur un si grand nombre d'amis pour la défendre en cas d'agression ! La Russie et la Chine n'ont pas cette chance...
Pour revenir à la personnalité de Donald Trump, le fonctionnement de l'Otan ne dépend pas seulement des personnes, mais également des institutions, de l'Histoire, des engagements pris par les gouvernements et les Parlements depuis des décennies. En outre, l'Alliance atlantique est fortement soutenue par les populations. La popularité de l'Otan est même en hausse aux États-Unis. Comme en France, d'ailleurs.
I. L. - Mais la personnalité de Donald Trump n'est-elle pas problématique ?
J. S. - Il parle de manière directe. Il s'est montré brusque sur certains sujets, comme le partage du fardeau entre les alliés. Le mode d'expression est différent mais, globalement, le message est le même. Comme ses prédécesseurs, Donald Trump considère que la situation actuelle est injuste, que les États-Unis contribuent beaucoup plus financièrement à l'Otan que leurs alliés européens et qu'il faut instaurer une répartition plus équitable. C'était déjà le discours de Barack Obama. Nous avons tous accepté, au sommet du pays de Galles en 2014, de mieux partager les dépenses au sein de l'Alliance. Nous avons décidé de stopper la baisse des budgets et de les porter progressivement à 2 % du PIB - ce qui est la règle de l'Otan. Et c'est exactement ce que nous faisons. Le Canada et de nombreux pays européens ont interrompu la chute de leurs dépenses militaires et inversé la tendance en commençant à les augmenter. Ce mouvement a été amorcé en 2015 et il s'est confirmé de manière plus nette en 2016. La France se rapproche désormais des 2 %. Emmanuel Macron a affirmé son soutien total à l'Otan et son intention de respecter ce seuil.
I. L. - Justement, le nouveau président français représente-t-il une chance pour l'Otan ? Qu'attendez-vous de lui ?
J. S. - J'ai hâte de travailler avec lui. C'est un homme imposant. C'est en tout cas l'image qu'il a donnée au sommet de l'Otan, où il a été accueilli à bras ouverts et au son de la Marseillaise ! Il est difficile de recevoir un accueil plus chaleureux que celui que les dirigeants de l'Alliance lui ont réservé... J'apprécie son dynamisme, sa volonté de réformer son pays et son soutien déterminé à l'Otan. Je salue également son engagement en faveur d'une véritable défense européenne et sa volonté de consolider le pilier européen de l'Otan - une conviction qu'il partage avec Angela Merkel. Je souscris pleinement à leur vision. La défense européenne ne se conçoit pas comme une alternative à l'Otan mais comme un complément qui la renforce. Je fais partie de ceux qui considèrent qu'il n'y a pas de contradiction entre une défense européenne forte et une Alliance forte. Les deux …
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