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Europe : les travaux d'Hercule d'Emmanuel Macron

Entretien avec Nathalie Loiseau, Ministre chargée des Affaires européennes depuis juin 2017 par Baudouin Bollaert, ancien rédacteur en chef au Figaro, maître de conférences à l'Institut catholique de Paris

n° 158 - Hiver 2018

 

Baudouin Bollaert - Dans son discours de la Sorbonne, Emmanuel Macron a suggéré à ses collègues européens de faire preuve de plus d'« audace ». Ce souhait vous semble-t-il exaucé ?

Nathalie Loiseau - Nous constatons un net consensus pour ne pas en rester à la routine, au statu quo. C'est une bonne nouvelle. À l'anxiété et aux débats internes provoqués par la victoire du vote en faveur du Brexit a succédé le soulagement suscité par la victoire d'Emmanuel Macron à la présidentielle française. Il a été élu sur un programme clairement pro-européen. Le fait que le train européen n'ait pas déraillé ne doit pas nous inciter à revenir aux pratiques habituelles. Tous les États membres sont d'accord pour réformer l'UE. La Commission européenne aussi. L'action et les propositions de son président, Jean-Claude Juncker, le prouvent. Cette envie de faire plus, vite et mieux est largement partagée. Il y a de nombreux secteurs où l'Union doit peser davantage. On commence à bien avancer sur les questions de sécurité, par exemple. En matière sociale, une première avancée significative a été obtenue sur le détachement des travailleurs, mais davantage doit être accompli dans ce domaine trop peu traité jusqu'à présent...

B. B. - Comment améliorer le mode de fonctionnement de l'UE qui paraît d'une singulière complexité ?

N. L. - Personne n'idolâtre le fonctionnement de l'Union, à commencer par Emmanuel Macron. La Commission en est consciente. Elle a lancé une action afin de mieux légiférer. Cela signifie moins de dispositions législatives, un effort de simplification et plus de subsidiarité pour que l'UE n'intervienne que sur les sujets où elle apporte une réelle valeur ajoutée. Ce constat est partagé par les États membres, et les directions à suivre sont bien identifiées. De ce point de vue, la Commission Juncker est très différente de la Commission Barroso, car elle s'efforce de tirer les leçons des insatisfactions précédentes.

B. B. - Est-ce suffisant ?

N. L. - Non, nous demandons davantage. En matière commerciale, nous voulons une plus grande transparence dans les mandats de négociation confiés à la Commission. Nous voulons aussi plus d'ambition : dès lors que l'Europe est très attractive, très sollicitée par ses partenaires des pays tiers, elle doit se montrer plus exigeante sur le contenu des accords signés. Au-delà du simple libre-échange, ces accords doivent être élargis aux enjeux climatiques, sociaux et environnementaux. Il faut les tirer vers le haut. Nous n'avons pas encore gagné, mais c'est un combat nécessaire. D'autant que, en termes de fonctionnement des institutions, il faut aussi que ces accords très larges puissent être ratifiés par les parlements nationaux. Il est indispensable d'obtenir une bonne appropriation par chaque État membre de ce qui est décidé à 28 aujourd'hui et le sera à 27 demain.

B. B. - La France serait-elle favorable à l'extension du vote à la majorité qualifiée aux domaines où, aujourd'hui, l'unanimité reste de mise ?

N. L. - Nous y sommes favorables en ayant bien conscience que le vote à la majorité qualifiée est plus agréable lorsqu'on le remporte que lorsqu'on le perd !

B. B. - On l'a vu dans le dossier du glyphosate (1) où la France s'est retrouvée en minorité...

N. L. - Vous avez raison mais, sur le glyphosate, nous ne nous sommes pas battus pour rien : la Commission avait initialement proposé une prolongation de l'autorisation de mise sur le marché de dix ans. Au final, ce sera cinq ans : c'est déjà trop mais cela va dans le bon sens. Et, à l'inverse, lors de la révision de la directive sur les travailleurs détachés, nous avons obtenu satisfaction ! Les idées que nous portions avec les Allemands sur ce dossier ont convaincu une majorité de pays, là où beaucoup pensaient que ce n'était pas possible. Nous avons pu faire la démonstration qu'en exprimant nos priorités et nos contraintes, en écoutant et en parlant avec chacun, un texte ambitieux pouvait être adopté. La majorité qualifiée rappelle à tous qu'il faut savoir travailler avec tout le monde...

B. B. - Vous souhaitez impliquer davantage les parlements nationaux dans la marche de l'UE. Cela signifie-t-il qu'il ne faut pas étendre les pouvoirs du Parlement européen ?

N. L. - Nullement. Mais puisque les sujets traités dans les accords commerciaux, environnementaux ou de qualité des produits alimentaires ont une très forte résonance dans les opinions publiques, avec d'ailleurs des nuances selon les États membres, ils doivent donner lieu à de vrais débats au sein des représentations nationales. Le Parlement européen, lui, a vu ses pouvoirs s'étendre de façon notable ces dernières années et il joue pleinement son rôle. Il est actif sur des thématiques sensibles pour les citoyens, comme la protection des données personnelles où il a été un acteur clé dans l'adoption de la réglementation actuelle. C'est la preuve que les eurodéputés se spécialisent pour devenir des experts reconnus dans leurs domaines. Dans leur rôle de co-législateurs avec le Conseil des ministres de l'UE, ce sont des interlocuteurs essentiels.

B. B. - Le Brexit mobilise beaucoup d'énergie à Bruxelles et ailleurs. N'est-ce pas un frein à la marche en avant de l'Union ?

N. L. - Il est évident que le Brexit est un défi sans précédent à relever. Nous n'avons pas construit l'UE avec l'idée qu'un membre allait en sortir. D'où l'obligation d'inventer un processus à partir de presque rien. Nous sommes très engagés et très vigilants dans cette négociation. La première partie, qui était axée sur trois points très sensibles - le sort des citoyens européens britanniques en Europe et des citoyens européens au Royaume-Uni ; le règlement financier du retrait ; et la frontière entre le Royaume-Uni et la République d'Irlande - a progressé dans des conditions satisfaisantes. Nous allons maintenant passer à la deuxième phase des négociations et discuter des relations futures entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Ce sera certainement encore plus difficile. Pour autant, l'Europe n'est pas restée paralysée et ne doit pas l'être. Elle a au contraire avancé sur un grand nombre de …