Ces 40 ans qui ont changé Israël

n° 161 - Automne 2018

En 1978, année de la création de Politique Internationale, Israël était bien différent de l'État qu'il est aujourd'hui, et le Moyen-Orient avait un tout autre visage. Né en 1948, l'État d'Israël était depuis sa fondation gouverné par le mouvement travailliste qui avait oeuvré à la concrétisation du projet sioniste durant l'entre-deux-guerres. Ses leaders, à commencer par David Ben Gourion qui fut premier ministre presque sans interruption de 1948 à 1963, dirigeaient le pays de main de maître, s'alliant, au gré des coalitions, avec des petits partis d'appoint (le plus souvent le parti national religieux) nécessaires pour obtenir la majorité parlementaire. Levi Eshkol, Golda Meir puis Yitzhak Rabin, tous issus du parti travailliste, devaient se succéder à la tête du pays, manifestant ainsi l'hégémonie de la gauche sioniste à laquelle il ne fut mis fin qu'en mai 1977 lorsque la droite sioniste, emmenée par Menahem Begin, remporta les élections législatives. Cette première alternance fut un bouleversement majeur dans la vie politique israélienne.

Israël, en 1978, était aussi une économie bien particulière. Du fait à la fois de l'idéologie socialiste des pères fondateurs et du rôle éminent que les dirigeants assignaient à l'action publique pour mener à bien le projet national juif, la politique économique se déployait sous le contrôle étroit de l'État. La plus grande originalité de l'économie de l'État hébreu n'était pas tant l'existence d'entreprises publiques (comme la compagnie aérienne El Al jusqu'à sa privatisation dans les années 2000) que la puissance du secteur coopératif et du secteur para-public. Le premier est constitué par le réseau des légendaires kibboutzim, collectivistes à la base, et des moshavim (plus coopératifs). Le second a été établi progressivement par la Histadrout (la fédération générale des travailleurs d'Israël) après sa fondation en 1920. La Histadrout n'était pas, en effet, un simple syndicat destiné à défendre les salariés, mais une véritable institution au service de la consolidation d'un État juif souverain. Pour ce faire, elle avait elle-même créé des entreprises dans les secteurs les plus divers (industrie lourde, construction, banque, grands magasins...) qui pesaient 22 % du produit national brut en 1975 (le secteur d'État représentait un ordre de grandeur à peu près similaire). Soutenant des activités culturelles et des clubs de sport, elle assurait surtout l'assurance-maladie des trois quarts de la population israélienne.

Sur le plan régional, l'État d'Israël demeurait une île au milieu du Moyen-Orient. Il avait connu en l'espace de trente ans quatre guerres avec ses voisins arabes (1948, 1956, 1967, 1973) et rien ne laissait présager la fin de son isolement régional avant que la visite spectaculaire du président égyptien Anouar el-Sadate à Jérusalem en novembre 1977 n'ouvre une brèche inattendue qui devait, en mars 1979, aboutir au premier traité de paix entre Israël et un État arabe. Sur le plan international, la solitude d'Israël n'était pas moins grande : si le pays entretenait des relations diplomatiques avec la plupart des États d'Europe occidentale (1) et ceux des Amériques, ses contacts avec le reste du monde étaient fort limités. Les pays du …