Réélu le 24 juin 2018 pour un nouveau mandat, le président Recep Tayyip Erdogan a désormais toutes les cartes en main pour achever la révolution qu'il promet à la Turquie. Grâce à la réforme constitutionnelle adoptée par référendum en avril 2017, ses prérogatives sont aujourd'hui sans commune mesure avec celles dont jouissait Mustafa Kemal dit Atatürk (1881-1938), le fondateur de la Turquie moderne et républicaine, avec lequel il rivalise tout en foulant aux pieds son héritage.
Sa révolution a un parfum de revanche. Élu avec 52,5 % des voix, M. Erdogan se flatte de porter les aspirations des masses conservatrices et pieuses, « mon peuple », comme il dit, qui l'adulent parce qu'il les a sauvées du joug imposé jadis par une élite en « col blanc », laïque, pro-occidentale et kémaliste. « Je suis comme vous », répète-t-il à l'envi à ses supporters. C'est en cultivant sa proximité avec le Turc ordinaire que « Tayyip », le gamin issu d'une famille croyante et anti-laïque de Kasimpasa, un quartier populaire d'Istanbul, a gravi un à un les échelons du pouvoir.
Après seize ans passés aux manettes de l'État (1), le Reïs (le Chef, l'un de ses surnoms) est parvenu au faîte de sa fulgurante carrière politique. Sa longévité est assurée. Élu pour cinq ans, il peut désormais envisager un troisième mandat et espérer se maintenir à la fonction suprême jusqu'en 2028, un horizon assez lointain pour lui permettre de redessiner le pays à sa guise. Son but ? Édifier la « Deuxième République », qui sera plus marquée religieusement, plus autocratique, plus distanciée de l'Occident que celle d'Atatürk.
Le « Grand Turc »
En 2002, l'arrivée au pouvoir de son parti de la Justice et du Développement (AKP, islamo-conservateur) avait été accueillie avec enthousiasme par de larges pans de la société civile. L'AKP se définissait alors non pas comme une émanation de l'islam politique mais comme un parti démocrate conservateur dont le projet était avant tout réformateur.
Réformateur, Recep Tayyip Erdogan l'était assurément, et la perspective de l'adhésion de son pays à l'Union européenne lui tenait à coeur, du moins en apparence. Mais, peu à peu, l'orientation idéologique a pris le pas sur son pragmatisme et son désir d'ouverture. Rétrospectivement, sa volonté d'ancrage au Vieux Continent, proclamée haut et fort lors de son avènement, apparaît comme une tactique destinée à mieux se débarrasser de l'armée qui entravait sa marche vers l'absolutisme.
Doté de tous les pouvoirs, celui que ses détracteurs qualifient de « Sultan » nomme le gouvernement, décide de la politique monétaire, désigne les hauts magistrats, peut déclarer la guerre ou l'état d'urgence en passant outre l'avis d'un Parlement réduit à un rôle purement décoratif. Décimée par les purges qui ont suivi le coup d'État manqué du 15 juillet, l'armée est à sa botte, l'appareil sécuritaire a été placé sous son étroit contrôle, les médias ont été mis au pas tandis que l'opposition assiste, impuissante, à son propre naufrage.
Les pleins pouvoirs ont été célébrés dans le palais de …
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