Il n'y a pas de protectionnisme heureux

n° 161 - Automne 2018

Président de la Commission de Bruxelles depuis presque quatre ans, président de l'Eurogroupe durant huit ans, premier ministre du Luxembourg pendant dix-huit ans et dix mois, Jean-Claude Juncker est l'un des acteurs et des témoins majeurs de la scène européenne et mondiale de ces quarante dernières années. À 64 ans, ce polyglotte avéré a rencontré la plupart des grands leaders de la planète - d'Helmut Kohl à Donald Trump, en passant par François Mitterrand, Margaret Thatcher, José Maria Aznar, Barack Obama, Vladimir Poutine, Emmanuel Macron ou Xi Jinping... Il a participé à des dizaines de réunions du G-7, du G-8, du G-20, du FMI ou de l'OMC où sa connaissance approfondie des rouages de l'Union européenne a fait sa réputation. Nul n'a plus d'expérience que lui dans ce domaine. Entré en politique en 1974, il a tout connu et tout vécu. Aujourd'hui, à un an de son départ annoncé de la Commission de Bruxelles, ce chrétien-social proche d'Angela Merkel défend son bilan, réaffirme son engagement européen et brandit sans complexes les valeurs de liberté, de justice et de solidarité qu'il a toujours prônées.

B. B.

Baudouin Bollaert - Politique Internationale fête ses quarante ans, et vous, Jean-Claude Juncker, voilà quarante ans ou presque que vous êtes un acteur majeur de la politique européenne. Quels sont les événements qui vous ont le plus marqué au cours de ces quatre décennies ?

Jean-Claude Juncker - Nous avons su ériger un marché intérieur et nous doter d'une monnaie unique, performance dont personne ne nous croyait capables. Nous avons su, aussi, apporter la bonne réponse aux bouleversements qui se sont produits en Europe centrale et orientale à la fin des années 1980. L'élargissement nous a permis, au prix de mille difficultés aujourd'hui oubliées, de réconcilier l'histoire et la géographie européennes sans avoir recours aux armes. Sans l'élargissement, sans le marché intérieur, sans la monnaie unique, nous ne serions que des sans-grade, des sans armes se débattant difficilement dans un monde de plus en plus compétitif.

B. B. - En prenant vos fonctions à la tête de la Commission de Bruxelles, en novembre 2014, vous aviez déclaré que c'était la « Commission de la dernière chance »... Le rediriez-vous ?

J.-C. J. - Cette formule peut paraître arrogante. Mais je ne l'ai pas prononcée par immodestie. Je l'ai utilisée pour souligner à quel point il était urgent de combler le fossé qui s'était creusé entre les peuples européens et l'action européenne. C'est pourquoi j'ai voulu que cette Commission se concentre sur l'essentiel et réponde aux véritables attentes et préoccupations des citoyens européens au lieu d'interférer avec tous les domaines de leur vie quotidienne. « To be big on big things » : tel a été notre leitmotiv. Raison pour laquelle, dès le début de notre mandat, alors que la croissance était en panne, nous avons lancé un grand plan d'investissement, le « plan Juncker ». En juillet dernier, nous avons dépassé notre objectif initial qui visait à mobiliser 315 milliards d'euros dans l'ensemble de l'Europe sur trois ans. Ce plan a permis de rattraper le retard d'investissement hérité de la crise économique et financière, de faire bénéficier 700 000 petites et moyennes entreprises d'un meilleur accès aux financements, de créer 750 000 emplois et d'accroître le PIB de l'UE de 0,6 %. Alors que les Commissions précédentes lançaient 130 initiatives par an, nous avons réduit leur nombre à une petite vingtaine, soigneusement ciblées sur les grandes priorités, en particulier le numérique, l'union de l'énergie, l'union des marchés de capitaux, la gestion des migrations... À ce jour, toutes nos propositions ont été présentées au Parlement et au Conseil européens afin que tout soit bouclé avant les élections de mai 2019. Et plus vite nous parviendrons à conclure ces travaux, plus vite nos concitoyens ressentiront les effets positifs de nos politiques.

B. B. - Le Brexit n'a pas eu l'effet boule de neige tant redouté par les pro-européens, mais la montée des partis populistes est patente dans la plupart des pays de l'UE. Craignez-vous de voir les eurosceptiques devenir majoritaires au Parlement européen ?

J.-C. J. - D'ici quelques mois, les Européens …