Iran : la fin de l'illusion réformiste

n° 161 - Automne 2018

Un président aux abois

Depuis la mort de l'imam Khomeiny, le 2 juin 1989, le second mandat des présidents iraniens a toujours été plus difficile que le premier. Pour une bonne raison : ne pouvant plus se présenter devant les électeurs, ils voient leur légitimité se diluer au profit des institutions théocratiques non élues (le Bureau du Guide suprême, le tout-puissant pouvoir judiciaire, l'Assemblée des experts, le Conseil des gardiens de la Constitution, le Conseil de discernement...) qui, n'ayant pas à se préoccuper du suffrage populaire, cherchent à contrôler tout l'espace public. C'est tout le problème d'une théocratie participative : le pouvoir donné par le peuple à travers des élections s'épuise rapidement alors que celui des « pieux jurisconsultes », qui le détiennent de Dieu, ne souffre jamais de ce déficit de légitimité. Ce fut le cas aussi bien pour Ali Akbar Hachémi-Rafsandjani (1989-1997) que pour Mohammad Khatami (1997-2005) ou pour Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013). Hassan Rohani, en poste depuis 2013 et réélu en juin 2017 avec plus de 57 % des voix, n'échappe pas à cette règle. Il se trouve même dans une situation autrement plus difficile que ses prédécesseurs : il est le premier président en exercice à avoir été convoqué, le 28 août, devant le Majlis (Parlement) où, pourtant, ses partisans - pragmatiques, réformateurs, conservateurs « modérés » - sont majoritaires. Les députés l'ont sommé de s'expliquer sur l'impuissance de son gouvernement à enrayer la débâcle de l'économie nationale. Peu avant, le ministre de l'Économie et des Finances, Massoud Karbassian, avait été convoqué et limogé à l'issue d'un vote de défiance du Majlis (1). Quelques semaines plus tôt, le 8 août, c'est le ministre du Travail, Ali Rabiie, qui avait été destitué lors d'une procédure identique. D'autres ministres, notamment ceux de l'Industrie et des Transports, seront également convoqués prochainement et pourraient connaître le même sort.

Pour l'hodjatoleslam (religieux d'un rang intermédiaire dans le clergé chiite) Hassan Rohani, ces convocations constituent de bien mauvaises nouvelles. D'une part, parce que ses adversaires - les oussoulgaryan (les principalistes ou fondamentalistes), la mouvance conservatrice et les ultra-radicaux - ont repris du poil de la bête et font feu de tout bois contre lui. D'autre part, parce qu'il perd les uns après les autres ses plus fidèles collaborateurs - leur limogeage prend effet immédiatement et ceux qui les remplaceront devront solliciter la confiance du Parlement, une procédure de longue durée. Enfin, parce que sa coalition s'effrite. Des voix réformatrices se sont jointes à celles de ses adversaires politiques pour critiquer sa gestion du pays. À cet égard, le cri du coeur d'une figure du camp réformateur, Elias Hazrati, a particulièrement retenu l'attention pendant les interventions des députés lors des séances au Majlis : « Qu'avons-nous fait à cette nation ? Nous l'avons rendue misérable et malheureuse (...). La classe moyenne s'approche de la pauvreté. » Ancien officier de la division Gilan du corps des Pasdaran (gardiens de la révolution) pendant la guerre Irak-Iran (1980-1988), rédacteur en chef du quotidien réformateur Etemaad et député …