Les Grands de ce monde s'expriment dans

Israël : le combat de la « dame de fer »

Ayelet Shaked ne laisse personne indifférent. Elle attire en premier lieu les regards par sa jeunesse et ses beaux yeux verts, mais ce sont son franc-parler et la virulence de ses multiples combats qui lui permettent de captiver l'attention. Si bien que de nombreux observateurs lui promettent un destin national... À seulement 42 ans, l'actuelle ministre de la Justice est une femme en guerre. En guerre contre le terrorisme palestinien, contre la Cour suprême israélienne qu'elle juge trop intrusive dans les décisions du gouvernement, contre les ONG de gauche, contre l'immigration illégale venue d'Afrique...

La politique n'est pas son métier depuis longtemps, mais sa passion depuis toujours. Sa mère, une enseignante ashkénaze, vote à gauche ; son père, un immigré irakien, vote à droite. Elle-même ne tarde pas à choisir son camp. Instructeur d'infanterie dans la brigade Golani pendant son service militaire (1) et ingénieur en électronique diplômée de l'Université de Tel-Aviv, c'est au Likoud qu'elle pose les jalons de sa carrière politique et forge ses idées avant de quitter cette formation en 2012 et de devenir députée l'année suivante sous l'étiquette du Foyer juif, tout à droite de l'échiquier politique israélien. Élue à la Knesset l'année suivante, elle est nommée en 2015 ministre de la Justice.

Son profil atypique séduit aujourd'hui bien au-delà de l'étroit électorat de son parti sioniste religieux (2). Mme Shaked incarne une droite décomplexée, un judaïsme dissocié de la pratique religieuse. Elle est d'ailleurs la seule élue laïque de sa formation.

Forbes l'a désignée « femme israélienne de l'année » en 2017 ; certains la surnomment « la femme de fer » ; beaucoup l'imaginent sur les traces de Golda Meir. Une ambition qu'elle ne dément pas bien que son âge et sa fulgurante ascension politique lui donnent logiquement le temps de voir s'achever l'ère Netanyahou (dont le mandat court jusqu'en novembre 2019) avant de prétendre ouvertement au poste de premier ministre.

Bien consciente que sa parole est écoutée voire attendue, Ayelet Shaked cherche à moderniser l'image passéiste d'un sionisme religieux aux accents messianiques. Elle reste toutefois fermement opposée à la moindre concession territoriale et à l'éventualité de la création d'un État palestinien.

M. D.

Myriam Danan - Madame la Ministre, êtes-vous pour ou contre la création d'un État palestinien dans le cadre d'un accord de paix ?

Ayelet Shaked - Je vais être très claire : un État palestinien dans les frontières de 1967 n'est pas une option acceptable pour Israël. N'oublions pas le « test » de Gaza : nous y avions des villages, des infrastructures, des champs agricoles et nous nous en sommes retirés jusqu'au dernier centimètre. Et qu'avons-nous reçu en échange ? Des attentats, des tunnels, des roquettes et même, dernièrement, des ballons et des cerfs-volants incendiaires. Du terrorisme sous toutes ses formes ! C'est pourquoi nous n'avons pas l'intention de réitérer une telle expérience en plein coeur de l'État d'Israël. Quiconque vit ici sait que ce pays a un « tour de taille » trop étroit sans la Judée-Samarie (Cisjordanie) : moins de 15 km à certains endroits.

M. D. - Si je vous comprends bien, vous ne vous opposez pas seulement à un État palestinien dans les frontières de 1967, mais à un État palestinien en tant que tel...

A. S. - Un État palestinien en Judée-Samarie n'est effectivement pas une solution à mes yeux. Alors, quelle solution envisager ? Comme chacun sait, depuis les accords d'Oslo (3), la Judée-Samarie est divisée en trois zones dites A, B et C. Sur les territoires A et B, l'Autorité palestinienne exerce une pleine souveraineté civile et administrative, tandis que la zone C est gérée directement par Israël. Je pense qu'Israël doit totalement appliquer la loi israélienne sur la zone C, tandis que les zones A et B formeront une sorte de confédération avec la Jordanie pour partenaire, sachant qu'il y a aujourd'hui en Jordanie une majorité de Palestiniens. Cela se ferait, bien sûr, dans le cadre d'un accord de paix qui inclurait aussi Gaza - même si c'est une organisation terroriste (le Hamas) qui a aujourd'hui la main sur ce territoire et livre à Abou Mazen (Mahmoud Abbas) un conflit permanent. Je pense également que l'Égypte devra être impliquée. En fin de compte, le problème palestinien ne doit pas être mis uniquement sur le dos des Israéliens. Il est nécessaire de trouver une forme d'accord régional.

M. D. - Cette hypothétique confédération que vous évoquez est bien loin de l'État souverain que souhaitent les Palestiniens ! Imaginons que, demain, l'Autorité palestinienne s'effondre et que le Hamas prenne le pouvoir : il n'y aura probablement plus de coopération civile ou militaire avec les Palestiniens. Ne se dirigerait-on pas tout droit vers un État binational ?

A. S. - En aucune façon nous n'accepterons un État binational. Vous évoquez le scénario d'une prise de pouvoir par le Hamas ; selon moi, le fait même qu'une telle éventualité soit envisageable montre que la création d'un État palestinien en Judée-Samarie serait une très mauvaise idée. Voilà des années qu'il n'y a plus d'élections chez les Palestiniens, précisément à cause de cette peur de voir le Hamas les remporter en Cisjordanie. Le risque est réel, et …