L'Europe face à la crise du système d'alliances américain

n° 161 - Automne 2018

Depuis 1941 (1), la sécurité et la défense de l'Europe occidentale ont été garanties et structurées autour d'un pivot américain. C'est ce pivot qui a permis de vaincre les puissances de l'Axe de concert avec l'URSS, puis de contenir cette dernière. À partir de la fin des années 1940 et jusqu'à nos jours, le système d'alliances américano-centré embrasse deux zones distinctes : l'Europe, dans le cadre d'une organisation politique et militaire multilatérale (l'OTAN) ; et l'Asie-Pacifique, avec une série de pactes bilatéraux dont les États-Unis constituent le moyeu. S'y ajoute l'espace latino-américain couvert, depuis 1947, par le Traité interaméricain d'assistance réciproque.

Un système à toute épreuve

Cet ensemble s'est avéré remarquablement robuste au cours des sept dernières décennies. Il a survécu non seulement à la disparition de l'Organisation du traité de l'Asie du Sud-Est (Pacte de Manille) au lendemain de la défaite américaine en Indochine, mais aussi à l'effondrement du pacte de Bagdad (CENTO) qui regroupait les alliés des États-Unis au Moyen-Orient (Iran, Irak, Jordanie, Pakistan, Turquie, Royaume-Uni) (2). Et il a résisté à des désaccords parfois profonds : l'opposition américaine à l'expédition franco-britannique de Suez ; le refus européen de soutenir la guerre américaine au Vietnam ; le retrait français des commandements militaires de l'Otan ; l'opposition franco-allemande à l'invasion américano-britannique de l'Irak... En Asie, les difficultés liées à la débâcle vietnamienne ont été surmontées tout comme les conséquences, pour l'allié taïwanais, de la reconnaissance de Pékin par Washington.

Contre toute attente, le système d'alliances n'a pas été victime, non plus, de son propre succès. En 1988, Guéorgui Arbatov, alors conseiller de Mikhaïl Gorbatchev, déclarait aux Américains : « Notre principale arme secrète est de vous priver d'un ennemi » (3). L'Otan, créée pour contrer l'empire soviétique, aurait pu disparaître faute d'adversaire. Elle est cependant revenue au centre du jeu du fait de l'impuissance européenne face aux guerres de succession en ex-Yougoslavie et des attentats du 11 Septembre qui conduisent les États-Unis à invoquer l'article V du traité de Washington (4). La mise en cause militaire par la Russie des frontières de la Géorgie en 2008 puis de l'Ukraine en 2014 fera le reste. Apparemment, le président Poutine ne croit pas à l'arme secrète de Guéorgui Arbatov...

Même processus en Asie, où la fin de l'URSS et la faiblesse à la fois économique et stratégique d'une Chine par ailleurs peu portée aux aventures militaires extérieures auraient pu provoquer le délitement du système d'alliances américain pendant les années 1990. On a tendance à oublier qu'à l'époque c'est le Japon qui passe aux yeux de Washington pour le grand rival (5). En décideront autrement les débuts du programme nucléaire nord-coréen et l'agressivité chinoise vis-à-vis de Taïwan - que Pékin considère comme un problème intérieur. Maintenant que la Chine dispose de tous les atouts de la puissance et tient à le faire savoir (6), le réseau d'alliances américain a retrouvé une raison d'être en Asie-Pacifique.

This time, it's different

Pour les États-Unis, le bilan de ce système d'alliances est largement positif. L'Otan …