Palestine : le credo du Hamas

n° 161 - Automne 2018

Depuis mai 2017, il est à la tête du Hamas, le Mouvement de résistance islamique qui a pris le contrôle de la bande de Gaza par la force en 2007, après de violents affrontements contre l'appareil de sécurité de l'Autorité palestinienne. La direction de celle-ci refusait de reconnaître la victoire des islamistes aux élections législatives tenues l'année précédente. Un premier cessez-le-feu est signé à La Mecque, le 8 février 2007, sous l'égide de l'Arabie saoudite, qui prévoit la mise sur pied d'un gouvernement d'union nationale entre le Fatah nationaliste du président Mahmoud Abbas et le Hamas. Ismaïl Haniyeh, dirigeant de l'organisation islamiste dans la bande de Gaza et chef de file de son courant pragmatique, devient le premier ministre de ce gouvernement le 15 mars 2007. Mais les combats reprennent et, le 14 juin 2007, Mahmoud Abbas déclare l'état d'urgence et dissout le gouvernement d'union nationale. Les diverses entremises, égyptiennes ou qataries, permettent la signature de nouvelles trêves entre les deux factions palestiniennes, au Caire le 4 mai 2011 ou à Doha le 6 février 2012, mais qui ne durent jamais bien longtemps.

Aujourd'hui âgé de 55 ans, Ismaïl Haniyeh s'est donné pour objectif de sortir son organisation de l'isolement sur la scène mondiale. La tâche ne sera pas aisée : la majeure partie de la communauté internationale, à commencer par les États-Unis, voit dans le Hamas un groupe « terroriste ».

Décrit comme un pragmatique, M. Haniyeh cherche, depuis son entrée en fonctions, à s'imposer à l'étranger et, surtout, en Europe, comme un interlocuteur crédible au détriment du président Mahmoud Abbas. Pour y parvenir, il n'a pas hésité à assouplir les positions de son mouvement. C'est ainsi qu'il a amendé la charte du Hamas, dont la version précédente était marquée par un violent antisémitisme ; affirmé que son combat contre Israël était strictement « politique » et non « religieux » ; et brisé le lien organique qui rattachait son mouvement aux Frères musulmans en supprimant de sa charte l'article 2 qui faisait du Hamas l'« aile des Frères musulmans en Palestine ». Au nom de la nécessaire réconciliation entre factions palestiniennes, il s'est également dit prêt à accepter le principe d'un État palestinien en Cisjordanie et à Gaza - alors que la version précédente de la charte de son mouvement installait cet État sur l'ensemble de la Palestine historique, qui comprend Israël. Autre changement : contrairement à son prédécesseur Khaled Mechaal qui vivait en exil au Qatar, Ismaïl Haniyeh a fait, lui, le choix de rester à Gaza, ce qui le rend plus sensible aux besoins des Palestiniens de l'intérieur qu'aux revendications des réfugiés de l'extérieur.

Le Hamas, affaibli par le « Dôme de fer » israélien - un système de défense antimissile qui protège l'État hébreu contre les attaques de roquettes -, par la destruction des tunnels secrets utilisés pour mener des raids sur le sol israélien et par les changements géopolitiques survenus dans la région, particulièrement le renversement du gouvernement des Frères musulmans en Égypte, avait de toute évidence besoin d'une nouvelle stratégie. Son approche moins ostensiblement belliqueuse n'a pour l'instant payé ni dans ses relations avec Israël qui dispose d'une supériorité militaire écrasante et d'un levier économico-politique extrêmement puissant avec le blocus de la bande de Gaza, ni avec le Fatah rival de Mahmoud Abbas, qui règne toujours sur la Cisjordanie et bénéficie de la reconnaissance exclusive de la communauté internationale. La réconciliation inter-palestinienne demeure une perspective lointaine. Et l'arrivée à la Maison-Blanche de Donald Trump, soutien affirmé d'Israël, a encore compliqué la tâche d'Ismaïl Haniyeh...

I. L.

Isabelle Lasserre - Monsieur Haniyeh, le Hamas se trouvait déjà depuis 1997 sur la liste américaine des organisations terroristes. En janvier dernier, les États-Unis vous ont personnellement inscrit sur la liste des « terroristes mondiaux spécialement désignés ». Selon l'ex-secrétaire d'État Rex Tillerson, vous êtes une « menace pour la stabilité du Moyen-Orient » et vous « sapez le processus de paix » avec Israël. Comment répondez-vous à ces accusations ?

Ismaïl Haniyeh - Je veux d'abord souligner la constante hypocrisie des États-Unis : ils ont toujours essayé de se présenter comme un médiateur impartial déterminé à faire progresser le prétendu processus de paix mais, en réalité, ils ont de tout temps systématiquement soutenu l'occupation israélienne. La seule différence entre l'administration actuelle et celle qui l'a précédée, c'est que Barack Obama avait cherché à dissimuler son parti pris en prenant quelques décisions cosmétiques. Donald Trump, lui, a renoncé à tout effort diplomatique, à tout projet de négociation avec les Palestiniens. Désormais, Washington appuie l'occupation israélienne au grand jour. Dois-je rappeler que M. Trump a transféré l'ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem et dénié aux Palestiniens le droit de revenir sur leurs terres ?

Pour ce qui me concerne, sachez qu'aucune punition, aucune sanction américaine n'affectera jamais le cours de ma vie. Être placé sur la liste que vous évoquez équivaut plutôt, pour moi, à recevoir une médaille d'honneur ! C'est la preuve que je vais dans la bonne direction. L'administration américaine veut nous imposer ses diktats. Elle n'y parviendra jamais aussi longtemps que je serai en poste. Je ne suis pas de ceux qui marchandent les droits de mon peuple pour complaire aux États-Unis.

J'ajoute qu'en me prenant pour cible en ma qualité de chef du Hamas les Américains visent un responsable qui a été élu démocratiquement au sein du mouvement et qui a, aussi, gagné les élections en 2006 à Gaza. Il s'agit donc d'une sanction directe vis-à-vis du peuple palestinien et de son choix politique. Cette décision irrationnelle de l'administration américaine est totalement contre-productive : elle ne fait que renforcer la popularité du Hamas auprès des Palestiniens.

Enfin, n'est-il pas ironique d'entendre l'ex-secrétaire d'État américain affirmer que le Hamas et moi-même constituons une menace pour la stabilité de la région... alors que la principale cause de déstabilisation régionale est l'occupation israélienne ? Seule la fin de l'occupation peut ramener la stabilité et la sécurité dans la région.

I. L. - Vous venez de le dire : les dernières décisions de la Maison-Blanche dans le dossier israélo-palestinien - le transfert de l'ambassade des États-Unis à Jérusalem, mais aussi le gel de la contribution américaine à l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) - traduisent une attitude bien plus favorable à l'égard du premier ministre israélien Benyamin Netanyahou que celle qui prévalait du temps de Barack Obama. Concrètement, quel impact ce changement de ligne diplomatique a-t-il sur le Hamas ?

I. H. - Ces décisions ont prouvé la justesse de nos analyses. Tous ceux qui croyaient encore que les …