Les Grands de ce monde s'expriment dans

Palestine : le credo du Hamas

Entretien avec Ismaïl Haniyeh, Chef du bureau politique du Hamas depuis 2017, par Isabelle Lasserre, Rédactrice en chef adjointe au service étranger du Figaro

n° 161 - Automne 2018

Ismaïl Haniyeh

Isabelle Lasserre - Monsieur Haniyeh, le Hamas se trouvait déjà depuis 1997 sur la liste américaine des organisations terroristes. En janvier dernier, les États-Unis vous ont personnellement inscrit sur la liste des « terroristes mondiaux spécialement désignés ». Selon l'ex-secrétaire d'État Rex Tillerson, vous êtes une « menace pour la stabilité du Moyen-Orient » et vous « sapez le processus de paix » avec Israël. Comment répondez-vous à ces accusations ?

Ismaïl Haniyeh - Je veux d'abord souligner la constante hypocrisie des États-Unis : ils ont toujours essayé de se présenter comme un médiateur impartial déterminé à faire progresser le prétendu processus de paix mais, en réalité, ils ont de tout temps systématiquement soutenu l'occupation israélienne. La seule différence entre l'administration actuelle et celle qui l'a précédée, c'est que Barack Obama avait cherché à dissimuler son parti pris en prenant quelques décisions cosmétiques. Donald Trump, lui, a renoncé à tout effort diplomatique, à tout projet de négociation avec les Palestiniens. Désormais, Washington appuie l'occupation israélienne au grand jour. Dois-je rappeler que M. Trump a transféré l'ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem et dénié aux Palestiniens le droit de revenir sur leurs terres ?

Pour ce qui me concerne, sachez qu'aucune punition, aucune sanction américaine n'affectera jamais le cours de ma vie. Être placé sur la liste que vous évoquez équivaut plutôt, pour moi, à recevoir une médaille d'honneur ! C'est la preuve que je vais dans la bonne direction. L'administration américaine veut nous imposer ses diktats. Elle n'y parviendra jamais aussi longtemps que je serai en poste. Je ne suis pas de ceux qui marchandent les droits de mon peuple pour complaire aux États-Unis.

J'ajoute qu'en me prenant pour cible en ma qualité de chef du Hamas les Américains visent un responsable qui a été élu démocratiquement au sein du mouvement et qui a, aussi, gagné les élections en 2006 à Gaza. Il s'agit donc d'une sanction directe vis-à-vis du peuple palestinien et de son choix politique. Cette décision irrationnelle de l'administration américaine est totalement contre-productive : elle ne fait que renforcer la popularité du Hamas auprès des Palestiniens.

Enfin, n'est-il pas ironique d'entendre l'ex-secrétaire d'État américain affirmer que le Hamas et moi-même constituons une menace pour la stabilité de la région... alors que la principale cause de déstabilisation régionale est l'occupation israélienne ? Seule la fin de l'occupation peut ramener la stabilité et la sécurité dans la région.

I. L. - Vous venez de le dire : les dernières décisions de la Maison-Blanche dans le dossier israélo-palestinien - le transfert de l'ambassade des États-Unis à Jérusalem, mais aussi le gel de la contribution américaine à l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) - traduisent une attitude bien plus favorable à l'égard du premier ministre israélien Benyamin Netanyahou que celle qui prévalait du temps de Barack Obama. Concrètement, quel impact ce changement de ligne diplomatique a-t-il sur le Hamas ?

I. H. - Ces décisions ont prouvé la justesse de nos analyses. Tous ceux qui croyaient encore que les États-Unis désiraient réellement contribuer à la paix ont vu leurs illusions voler en éclats. Nous n'attendons pas de changements particuliers de la part de cette administration. Ses dernières mesures n'ont fait que conforter notre volonté de poursuivre nos actions politiques, diplomatiques et médiatiques visant à montrer aux Palestiniens et à la communauté internationale à quel point l'attitude américaine au Moyen-Orient est biaisée.

I. L. - Quel regard portez-vous aujourd'hui sur le processus de paix israélo-palestinien ?

I. H. - Quel processus de paix ? Au moment où nous parlons, il n'y a pas de processus de paix. Même ceux, du côté palestinien, qui ont signé les accords d'Oslo reconnaissent à présent qu'il n'y a aucune possibilité, dans l'état actuel des choses, d'aboutir à la paix. Pourquoi ? Parce que la puissance d'occupation n'a respecté aucune de ses promesses. Dès lors, les choses sont claires : puisqu'il n'y a aucune volonté de la part des dirigeants israéliens de s'engager dans le processus de paix, celui-ci n'existe pas. Washington m'accuse d'être celui qui bloque ce processus, mais ce ne sont que des mensonges destinés à blanchir l'occupation et à soustraire Israël à ses responsabilités ! Une fois de plus, l'actuelle administration tente, pour justifier l'occupation israélienne, de rejeter la faute sur d'autres. Cela étant dit, je voudrais préciser que si nous nous opposons à l'administration Trump, nous n'avons rien contre le peuple de ce pays, que nous respectons et avec lequel nous essayons de bâtir des ponts.

I. L. - Depuis 2006, la bande de Gaza et la Cisjordanie sont pratiquement isolées l'une de l'autre et suivent des trajectoires totalement divergentes, la première sous le contrôle du Hamas et la seconde sous la direction de l'Autorité palestinienne et du Fatah. Cette division n'est-elle pas la principale raison de l'extrême faiblesse des Palestiniens face à Israël ?

I. H. - La faiblesse des Palestiniens réside avant tout dans le fait qu'un petit groupe a décidé de prendre seul toutes les décisions concernant l'avenir de notre peuple, sans rechercher de consensus national. Ce petit groupe, qui est à la direction de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), veut tout régir au mépris des principes de la démocratie, sans consulter les autres mouvements, sans reprendre leurs projets. C'est l'origine du schisme qui marque la scène palestinienne. En 2006, ce groupe s'est élevé contre la victoire du Hamas aux élections. Bien que nous représentions la majorité de la population, il a refusé de respecter les règles démocratiques et a saboté nos décisions concernant le projet national palestinien. Il n'a jamais voulu reconnaître que notre victoire traduisait la volonté de la majorité des Palestiniens, que nous avions gagné la confiance du peuple. Il a rejeté notre appel à former un gouvernement d'unité, foulant aux pieds les principes démocratiques sur lesquels nous nous étions pourtant accordés. Ce groupe est directement responsable du retard pris par le projet de réconciliation nationale. Aujourd'hui encore, il continue de saboter le projet national.

Ce différend fondamental entre nous n'a pas seulement …