Entretien avec Sebastian Pinera, Président du Chili depuis le 11 mars 2010. par Patrick Wajsman, Directeur de Politique Internationale
Politique Internationale - Monsieur le Président, avec le recul, quel bilan faites-vous de votre premier mandat ?
Sebastian Piñera - Ce premier mandat m'a beaucoup appris. La meilleure recette pour apprendre à devenir un bon président, c'est d'avoir déjà été un bon président ; et la meilleure université pour apprendre à devenir un bon président, c'est la Moneda, le siège de la présidence du Chili !
N'oubliez pas que je suis entré en fonctions dix jours seulement après qu'un séisme épouvantable, le cinquième plus puissant de toute l'histoire de l'humanité, a frappé mon pays. Le premier avait déjà eu lieu au Chili, le deuxième en Alaska, le troisième à Sumatra et le quatrième au Kamtchatka. Ma première mission fut donc de reconstruire. La dévastation était partout. D'innombrables écoles, hôpitaux et ponts étaient en ruine. Et, dans le même temps, mon équipe et moi-même devions honorer nos promesses de campagne et mettre en oeuvre notre programme de gouvernement - un programme extrêmement ambitieux. La tâche était donc très compliquée. Et pourtant, nous avons réussi : nous sommes parvenus à rebâtir le pays tout en relançant l'économie. La croissance est revenue (elle a été de 5,6 % par an en moyenne pendant mon mandat), les investissements et la productivité ont augmenté, et la pauvreté a été réduite de moitié. Au moment où j'ai quitté la Moneda, en 2014, le pays avait retrouvé un dynamisme qu'il allait rapidement perdre sous le gouvernement suivant. À présent que nous sommes revenus aux affaires, nous devons, une fois de plus, remettre le Chili sur les bons rails.
P. I. - De quelle décision prise pendant votre premier mandat êtes-vous le plus fier ?
S. P. - La première chose qui me vient à l'esprit, c'est le sauvetage des 33 mineurs bloqués sous terre (1). Ce fut un moment incroyablement émouvant. L'ensemble du pays s'était mobilisé. Comme si, au-delà même de la vie des 33 mineurs, la vie de chaque Chilien était en jeu...
P. I. - Un moment de grande solidarité...
S. P. - De solidarité, de foi, de travail en équipe... Et, au final, ce qui avait commencé comme une tragédie s'est terminé comme une bénédiction !
P. I. - Si vous pouviez revenir en arrière, y a-t-il des choses que vous feriez différemment ?
S. P. - Bien sûr. Vous savez, j'aime beaucoup la chanson d'Édith Piaf « Je ne regrette rien » ; pour autant, je n'en ferais pas ma devise ! Tout être humain commet des erreurs, mais seules les personnes intelligentes sont capables de s'en rendre compte et d'en tirer les leçons.
P. I. - Concrètement, quel enseignement essentiel tirez-vous de votre premier mandat ?
S. P. - J'ai pris conscience que, lorsqu'on est à la barre, on ne peut pas perdre la moindre seconde. Ainsi, c'est en grande partie grâce à notre rapidité de réaction que nous avons réussi à retrouver et à secourir les mineurs pris au piège. Dès que nous avons eu connaissance de l'effondrement de la mine, nous avons immédiatement demandé de l'aide à la communauté internationale, sans tergiverser. J'ai personnellement téléphoné aux dirigeants de nombreux pays miniers comme les États-Unis, le Canada, l'Australie ou encore le Pérou pour les presser de partager avec nous leur technologie, leurs connaissances, leur savoir-faire. Chaque seconde comptait. J'avais en tête ce qui s'était passé avec le Koursk : quand ce sous-marin russe a disparu des radars, les autorités de Moscou ont mis dix jours à se résoudre à demander de l'aide. Lorsqu'elles l'ont enfin fait et que les Britanniques sont arrivés sur zone, il était trop tard, tout l'équipage était mort.
C'est un enseignement essentiel : en situation d'urgence, il faut agir sans perdre une seconde. C'est ce que nous avons fait à l'époque, et c'est ce que nous faisons de nouveau aujourd'hui.
P. I. - Quelles sont les principales erreurs que Michelle Bachelet a commises pendant son mandat (2014-2018) ?
S. P. - Le grand problème de Mme Bachelet, c'est qu'elle a une vision socialiste du monde, de notre pays, du développement... Or le socialisme est un système inefficace. Le socialisme du XXIe siècle est encore plus inefficace que celui du siècle précédent. Si vous voulez vous en convaincre, il vous suffit de regarder ce qui se passe dans des pays comme le Venezuela, Cuba ou le Nicaragua, qui se trouvent tous en grande difficulté.
Je pense que Mme Bachelet et son gouvernement ont eu l'immense tort de lancer de nombreuses réformes qui visaient toutes à accroître le rôle de l'État, ce qui a bloqué le pays. Il ne faut pas confondre, d'une part, ce qui relève de l'intérêt commun et, d'autre part, ce qui appartient à l'État. Par exemple, l'éducation, c'est quelque chose de public, mais cela ne signifie pas pour autant que le secteur public doit avoir le monopole en la matière ! Pourtant, c'est ce que Mme Bachelet a décidé. Ensuite, elle a mis en oeuvre une réforme fiscale si complexe que les investissements n'ont cessé de baisser, d'année en année, tout au long de son mandat. De la même façon, elle a lancé une réforme du marché du travail qui, au lieu d'offrir plus de flexibilité et plus de liberté aux acteurs économiques, a considérablement augmenté la bureaucratie et la rigidité du système.
Conséquence de toutes ces erreurs : notre taux de croissance, qui avait été en moyenne de 5,3 % pendant mon premier mandat, n'est plus que de 1,7 %. La croissance a donc baissé de deux tiers - ce qui signifie que nous avons perdu les deux tiers de notre capacité à créer des emplois, à accroître les salaires et à créer des opportunités professionnelles pour nos concitoyens.
En plus de cette stagnation économique provoquée par ses réformes, je reproche à Mme Bachelet d'avoir divisé les Chiliens en « bons » et en « mauvais ». Il y avait les « bons Chiliens » et les « mauvais Chiliens ». Or ma conviction, c'est que, chaque fois que nous avons été divisés, …
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