Entretien avec Kabiné Komara, Ancien premier ministre de Guinée, ancien Haut-Commissaire de l'Organisation pour la mise en valeur par Sabine Renault-Sablonière, Présidente d'ActuPresseCom, un cabinet de conseil en communication qu'elle a créé en 1995
Sabine Renault-Sablonière - Peut-on résumer votre pensée en disant que, à l'échelle de la planète, il y a une abondance d'eau mais des pénuries locales croissantes ?
Kabiné Komara - En apparence, les ressources en eau sont suffisantes pour satisfaire tous les besoins mais, à y regarder de plus près, il existe une forte disparité entre la masse d'eau globalement disponible et le volume réellement comestible. Notre planète est couverte à près de 70 % par de l'eau, pour un volume estimé à 1 400 millions de milliards de m3 dont seuls 2,8 % sont propres à la consommation humaine, le reste étant de l'eau salée. Ces 2,8 % comprennent les glaciers, la neige et l'eau proprement dite (cours d'eau, réserves naturelles, artificielles et nappes souterraines) qui ne représente qu'un quart de l'eau douce, soit 0,7 % du total. La moitié de cette quantité est constituée d'eaux souterraines.
S. R.-S. - Le problème n'est donc pas tant la quantité que l'inégale répartition de cette ressource...
K. K. - Effectivement, il se trouve que ce volume d'eau est très inégalement réparti sur la planète. Certains pays en sont très largement dotés. Ces « puissances de l'eau » - la Russie, les États-Unis, la Chine, le Pérou, l'Inde, le Brésil, l'Indonésie, la Colombie et le Canada - cumulent jusqu'à 60 % des réserves d'eau douce présentes à la surface de la Terre.
D'autres sont insuffisamment ou pas du tout pourvus. Les régions les plus défavorisées sont la péninsule arabique, le Proche-Orient, l'Afrique du Nord, le Sahel et la zone désertique d'Afrique australe.
On observe des périodes de carences même là où les ressources sont habituellement abondantes. La mégalopole brésilienne, Sao Paulo, par exemple, a connu en 2015 une pénurie d'eau sans précédent qui faisait suite à la plus grande sécheresse enregistrée depuis 80 ans. Plus récemment, le nord de l'Inde, pourtant irrigué par les eaux de l'Himalaya, a connu un été 2018 très aride après de faibles pluies hivernales. Certains bassins d'eau connaissent des baisses significatives de leurs réserves - à l'instar du Gange, déjà fortement pollué (16,5 %). Dans mon pays, la Guinée, la région du Fouta-Djalon, considérée comme le château d'eau de l'Afrique de l'Ouest, a enduré cette année une sécheresse terrible qui a partiellement décimé le bétail et tari de nombreux cours d'eau.
S. R.-S. - Quelles sont les régions du monde où la situation est la plus préoccupante ?
K. K. - On distingue trois niveaux de dépendance par rapport aux ressources en eau. Le premier niveau est celui de pénurie hydrique, c'est-à-dire lorsque les ressources sont inférieures à 1 000 m3 par habitant et par an. Le deuxième est celui de stress hydrique qui est caractérisé par des ressources comprises entre 1 000 et 1 500 m3 par habitant et par an. Le dernier est celui de la vulnérabilité hydrique, quand le niveau de la ressource est compris entre 1 500 et 2 500 m3 par habitant et par an.
D'après les Nations unies, les pays arabes font face à une pénurie. L'Égypte et la Libye se trouvent dans une situation extrême, avec moins de 500 m3 d'eau par an. D'une manière générale, le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord sont parmi les zones les plus touchées. Ces deux blocs, qui totalisent 4,3 % de la population mondiale, ont à disposition moins de 1 % des ressources en eau douce renouvelable de la planète.
Cette rareté se trouve aggravée par les sécheresses, les pollutions et l'augmentation des besoins liés à la croissance urbaine. De plus, dans cette région, les facteurs sociaux et politiques viennent exacerber les problèmes d'accès à l'eau. Les différends peuvent prendre des dimensions tragiques entre deux pays, voire à l'intérieur d'un même espace national, entraînant des difficultés d'arbitrage insolubles.
La situation est encore plus poignante au Proche-Orient où les maigres ressources font l'objet d'appropriations très inégales entre Israël, les Territoires autonomes palestiniens, la Jordanie et la Syrie. Dix-sept pays - dont le Koweït, les Émirats arabes unis, le Bahreïn, Malte, la Libye, Singapour, la Jordanie, Israël et Chypre - prélèvent chaque année plus d'eau que le cycle naturel leur en fournit. Pour soutenir leur mode de vie, ils ont besoin de 100 à 230 litres par habitant et par jour alors que l'Afrique subsaharienne se contente de 10 litres. À comparer avec les 250 litres que consomment quotidiennement les Nord-Américains...
S. R.-S. - À qui incombe la responsabilité de la mauvaise gestion de l'eau ?
K. K. - Les principaux problèmes se situent au niveau de la gestion des eaux souterraines, qui représentent 50 % des ressources. Selon une étude récente, 8 des 37 plus grandes réserves aquifères du globe ne reçoivent pas suffisamment d'eau pour se renouveler, tandis que 5 autres affichent des niveaux dramatiquement bas. La surexploitation de ces réserves aquifères est encore plus marquée dans la péninsule arabique, dans le bassin indien (entre l'Inde et le Pakistan) et en Afrique du Nord.
Les projections n'ont rien de rassurant : la population mondiale, qui était de 2,5 milliards en 1950, disposait de ressources en eau estimées à 17 000 m3 par personne et par an. En 1995, ce chiffre a chuté à 7 500 m3 par personne et par an et il est estimé à l'horizon 2030 à seulement 5 000 m3 par habitant et par an pour une population qui avoisinera alors les 9 milliards d'individus. Autrement dit, les réserves d'eau baissent partout à un rythme soutenu alors que la population ne fait que croître. Si l'on ajoute à cela l'augmentation du cheptel dans les zones d'élevage et la diminution du débit des cours d'eau causée par la déforestation, l'industrialisation et l'urbanisation galopante, on est saisi d'une immense inquiétude.
S. R.-S. - Je me permets de vous reposer la question : à qui la faute ?
K. K. - À toute une série de mauvaises pratiques et de décisions hasardeuses. Si l'Inde est exposée au stress hydrique, c'est à cause du captage non contrôlé des nappes phréatiques et de l'agriculture intensive qui …
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