Entretien avec Peter Altmaier, Ministre allemand de l'Économie, par Thomas Wieder, correspondant du Monde à Berlin.
Thomas Wieder - Le 7 décembre 2018, après dix-huit années à la tête de l'Union chrétienne-démocrate (CDU), Angela Merkel a passé la main à Annegret Kramp-Karrenbauer, l'ancienne ministre-présidente de la Sarre (2011-2018), qu'elle avait nommée quelques mois auparavant secrétaire générale du parti. Son élection a toutefois été serrée, Mme Kramp-Karrenbauer n'ayant obtenu que 51,7 % des suffrages (35 voix d'avance) face à Friedrich Merz, un ancien président du groupe CDU-CSU au Bundestag (2000-2002) qui s'était retiré de la vie politique depuis une dizaine d'années. Comment analysez-vous la victoire de Mme Kramp-Karrenbauer ?
Peter Altmaier - Je dois dire que cette victoire a été un soulagement pour moi. Je pense que c'est une bonne chose à la fois pour la CDU et pour Angela Merkel. Pour la CDU, les premiers sondages réalisés après l'élection d'Annegret Kramp-Karrenbauer sont positifs : ils montrent déjà un rebond de quelques points dans les intentions de vote. Il faudra, bien sûr, que cette tendance se confirme, mais c'est très encourageant. Pour la chancelière, cette victoire est également un signe important : le soutien de la CDU à Angela Merkel pour qu'elle puisse terminer son mandat est clarifié. Mme Merkel dispose de l'autorité indispensable pour gérer la politique de l'Allemagne.
T. W. - Même si elle a légèrement remonté dans les sondages récemment, la CDU n'est toutefois créditée que d'environ 30 % des intentions de vote. C'est à peu près le score qu'elle a obtenu aux législatives de 2017 (32,6 %). On est loin du score de 2013 (41,5 %), pour ne pas parler de l'époque plus lointaine, celle des années 1960-1990, où la CDU-CSU dépassait toujours les 40 %...
P. A. - Vous avez raison. Mais, de ce point de vue, ce qui se passe en Allemagne est à l'image de ce qui se passe partout ailleurs en Europe où le système partisan traditionnel traverse une phase de profonde transition. La géographie politique des années 1960-1970, dominée dans de nombreux pays par une forme de bipartition droite/gauche, a éclaté. De grands partis qui ont dominé la vie politique de leur pays se sont effondrés. C'est le cas, par exemple, en Belgique, aux Pays-Bas ou en France. La crise est particulièrement sévère pour les partis sociaux-démocrates, comme le PS en France ou le SPD en Allemagne, qui a perdu la moitié de son électorat en vingt ans.
Or je reste convaincu que le système des grands partis - ce que nous appelons les Volksparteien en Allemagne - est le meilleur des systèmes car il contribue à la stabilité politique de nos démocraties. C'est pourquoi je pense que l'avenir de la CDU est un enjeu capital. Il nous faut donc tout faire pour que le parti se renforce dans les prochains mois et les prochaines années. Nous pouvons à nouveau obtenir entre 35 % et 40 % des voix aux élections législatives.
J'ajouterai que je souhaite une situation similaire pour la France où le PS s'est écroulé, où Les Républicains traversent une période difficile et où l'on ne voit pas très bien quel est l'avenir de La République en Marche : ce mouvement tout neuf va-t-il se structurer et devenir un parti durable ou va-t-il s'effondrer ? Dans un tel contexte, ce serait une bonne chose que Les Républicains trouvent la force nécessaire pour se reconstruire.
T. W. - Revenons sur Annegret Kramp-Karrenbauer, une personnalité que vous connaissez bien ne serait-ce que parce que, comme elle, vous êtes élu dans la Sarre. La nouvelle présidente de la CDU a souvent été présentée comme une « mini-Merkel » ou une « Merkel bis »... Êtes-vous d'accord ? Qu'est-ce qui différencie les deux femmes ?
P. A. - La différence, c'est d'abord le style. Le comportement d'Angela Merkel a été très souvent décrit comme protestant ; celui d'Annegret Kramp-Karrenbauer est, disons, plus catholique...
T. W. - Quelle est la différence ?
P. A. - Annegret Kramp-Karrenbauer est particulièrement douée pour nouer le contact avec les gens ; c'est une personne extrêmement accessible. Et puis il lui arrive de surprendre son monde : lors des derniers carnavals, elle n'a pas hésité à se déguiser en femme de ménage pour faire rire l'assistance. Ce n'est pas tout à fait le style d'Angela Merkel...
Par ailleurs, il y a des différences d'expérience. De par ses responsabilités dans la Sarre, à la fois comme ministre-présidente et, auparavant, comme simple ministre (elle a été chargée de différents portefeuilles), « AKK », ces dernières années, s'est concentrée sur les problèmes intérieurs. Ce sera l'un des enjeux des prochains mois pour Mme Kramp-Karrenbauer : elle devra réussir à se faire connaître sur la scène européenne et internationale.
Je suis en tout cas convaincu qu'elle pourra être, le temps venu, une très bonne candidate de la CDU. En particulier parce qu'elle a déjà remporté des campagnes électorales difficiles comme lors des élections régionales dans la Sarre, en mars 2017, où elle a obtenu 40,7 % des suffrages alors que les sondages, quelques semaines avant le vote, lui promettaient un score nettement inférieur.
T. W. - Est-elle plus à droite ou plus à gauche qu'Angela Merkel ?
P. A. - Je ne pense pas que la question se pose en ces termes. Ce qui est sûr, c'est qu'il n'est pas possible d'y répondre de façon tranchée. Sur certaines questions, les convictions de Mme Kramp-Karrenbauer sont assurément plus conservatrices que celles de la chancelière : je pense aux questions de sécurité ou aux questions sociétales en général. Sur d'autres, par exemple sur les droits à accorder aux salariés, elle a un positionnement plus social.
Mais, d'une façon générale, les deux femmes ont un profil politique assez proche. Elles sont d'accord sur l'essentiel. Toutes les deux sont convaincues que les élections se gagnent au centre et qu'il est essentiel de résister au populisme.
T. W. - Abordons justement cette question du populisme. La montée de ce courant politique a marqué l'Europe entière au cours de ces dernières années. L'Allemagne, qui semblait plus épargnée que d'autres pays, a été à son tour …
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