Entretien avec Ivan Duque, Président de la Colombie depuis juin 2018 par Patrick Wajsman, Directeur de Politique Internationale
Politique Internationale - Monsieur le Président, quelle a été votre première pensée en apprenant que vous aviez remporté l'élection ?
Ivan Duque - Je me suis juré de donner le meilleur de moi-même pour servir le peuple colombien.
P. I. - L'état dans lequel vous avez trouvé le pays vous a-t-il surpris, en bien ou en mal ?
I. D. - Je ne m'attendais pas à devoir gérer autant de situations de crise en même temps. Par exemple, plus de trois cents leaders sociaux avaient été tués au cours des dix-huit mois précédant mon entrée en fonctions (1). Par ailleurs, nous manquions des ressources nécessaires pour aider toutes les personnes concernées par le processus de réinsertion (2). Les institutions étaient faibles. Il y avait un trou de 14 milliards de pesos dans le budget. Le gouvernement était intervenu dans le dossier Electricaribe - l'un des plus importants fournisseurs d'énergie sur la côte nord de la Colombie -, mais il n'y avat pas de stratégie de sortie de crise (3). De nombreuses concessions routières qui faisaient l'objet de litiges étaient paralysées. Le secteur de l'éducation publique était sous-financé. Et le programme alimentaire destiné aux enfants (4) était, lui aussi, insuffisamment financé. Vous le voyez : nous étions confrontés à de nombreuses crises simultanées. Quand je me suis rendu compte de l'ampleur de la tâche, je me suis dit : « Eh bien, il faut que nous utilisions nos cent premiers jours pour remettre les choses en ordre ! » Nous nous sommes donc mis à traiter chacune de ces crises en déployant nos meilleurs efforts. Et, dans le même temps, nous nous sommes efforcés de mettre en oeuvre notre vision pour le pays. Je pense pouvoir dire aujourd'hui que ces cent premiers jours ont révélé toute la détermination de notre administration.
P. I. - Y a-t-il eu, tout de même, de bonnes surprises ?
I. D. - Oui ! J'ai été très agréablement surpris par l'optimisme des forces armées. Chaque fois - ou presque - que je me suis rendu en province, j'ai choisi de passer la nuit auprès des militaires, dans leurs bataillons. J'ai aimé discuter avec les soldats, apprendre à les connaître, découvrir l'histoire de chacun d'entre eux... Plus généralement, j'ai beaucoup apprécié mes déplacements en région. Chaque samedi, nous organisons des réunions publiques d'une durée de sept à huit heures, où chaque citoyen peut s'exprimer. C'est très instructif.
P. I. - Quels sont les leaders politiques actuels dont vous vous sentez le plus proche ?
I. D. - En Amérique latine, j'ai des affinités avec plusieurs de mes homologues : le Chilien Sebastian Piñera, l'Argentin Mauricio Macri, le Paraguayen Mauricio Abdo... J'apprécie également le président du Costa Rica Carlos Alvarado. Certains appartiennent à la même génération que moi, d'autres sont un peu plus âgés, mais je m'entends très bien avec les uns et avec les autres. Pour ce qui est des autres continents, j'ai de nombreux points d'accord avec le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, le président français Emmanuel Macron, le premier ministre canadien Justin Trudeau, ainsi qu'avec la première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern. Un mot sur cette dernière : c'est la plus jeune femme à diriger un pays aujourd'hui. Elle a été la première dirigeante depuis 28 ans à accoucher pendant son mandat. Elle a marqué l'Histoire en emmenant sa fille, âgée de trois mois, à une session de l'Assemblée générale de l'ONU. Elle suit ses propres principes, ce qui n'est pas si fréquent ! Et puis elle s'est taillé la réputation d'un leader qui ne craint pas de demander à la classe politique de donner l'exemple : elle a gelé les salaires des députés pour un an et oblige ses ministres à pratiquer le covoiturage pour se rendre à divers événements ! Cette travailliste est, à mon sens, un modèle pour la gauche du monde entier.
P. I. - Un mot sur Emmanuel Macron. Estimez-vous qu'il comprend bien les problèmes auxquels l'Amérique latine est confrontée ? Au-delà, quelle analyse faites-vous de la politique qu'il a mise en oeuvre jusqu'ici ?
I. D. - Je pense que M. Macron est un excellent leader. Pour ce qui concerne les affaires internationales, il est très attaché au multilatéralisme. Nous savons qu'il s'intéresse beaucoup à l'Amérique latine. À cet égard, nous sommes ravis que le ministre français de l'Éducation, Jean-Michel Blanquer, soit un expert reconnu de notre continent et de la Colombie en particulier.
P. I. - L'élection de M. Bolsonaro au Brésil a fait couler beaucoup d'encre dans le monde entier. Que pensez-vous de lui ?
I. D. - Il a la possibilité d'impulser des changements substantiels au Brésil. De se placer en première ligne de la lutte contre la corruption. De stimuler l'économie. De favoriser le développement des entreprises. Les défis qu'il va devoir relever sont immenses. Je suis certain qu'il va mettre en place une administration déterminée à lancer un nouveau cycle de croissance économique au Brésil.
P. I. - M. Bolsonaro est très critiqué par de nombreux observateurs, notamment en Europe, qui le décrivent comme un extrémiste de droite...
I. D. - Je ne crois pas que ce soit mon rôle de porter un jugement sur la personnalité de mes homologues latino-américains. Vous savez, j'ai toujours dénoncé avec la plus grande vigueur toutes les dictatures, toutes les tyrannies. J'estime que c'est mon devoir de les combattre. Mais j'estime aussi que quand un dirigeant est élu de façon tout à fait démocratique, comme ce fut le cas de M. Bolsonaro, je me dois de travailler avec lui du mieux possible.
P. I. - En octobre dernier, vous avez rencontré le pape François. Sauf erreur, il vous a recommandé de promouvoir l'unité parmi les Colombiens...
I. D. - Je dirai plutôt qu'il m'a recommandé de poursuivre mes efforts en la matière puisque je m'étais engagé dans cette voie dès mon entrée en fonctions... Il sait que c'est mon obsession ! Il m'a simplement demandé de ne jamais renoncer.
P. I. - Comment vous y prenez-vous, concrètement …
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