Entretien avec Amihai Ayalon, Ancien chef des services de sécurité intérieure israéliens (1996-2000) par Myriam Danan, journaliste sur la chaîne d'information internationale israélienne i24 News.
Myriam Danan - Vous avez pris vos fonctions à la tête du Shabak en pleine situation de crise...
Amihai Ayalon - J'ai pris la tête des services de sécurité intérieure à la demande de Shimon Peres après le meurtre de Rabin. Je dirais même à cause de ce meurtre. Un an plus tôt, Rabin lui-même m'avait proposé le poste. J'étais depuis trois ans commandant de la marine israélienne et je n'étais absolument pas intéressé. Pour moi, le Shabak, c'était le monde des méchants...
M. D. - Pourquoi en aviez-vous une image aussi négative ?
A. A. - Vous savez, quand on sert dans les rangs de l'armée, on a une vision très binaire du monde. Nous sommes les gentils et nous combattons les méchants. Le Shabak, qui est en charge de la sécurité intérieure, a par nature une approche plus nuancée. L'assassin du premier ministre était un juif israélien qui, comme moi, avait étudié à l'université Bar Ilan. Nous nous étions sans doute croisés là-bas lorsque j'étais en second cycle de droit et lui en premier. Soudain l'ennemi n'avait plus le même visage et un nouvel Israël prenait forme sous nos yeux. Du coup, j'ai changé d'avis. J'ai quitté la marine en janvier 1996, deux semaines après que Carmi Gillon, le chef du Shabak en exercice, eut remis sa démission. Et Shimon Peres m'a appelé dans la foulée.
M. D. - Vous récupérez alors une organisation complètement déstabilisée par l'assassinat de Rabin qu'elle n'a pas su empêcher. En même temps, une série d'attentats terroristes s'abat sur le pays...
A. A. - Je n'avais pas caché à Shimon Peres que je venais d'un autre monde et que je ne connaissais rien à celui du renseignement. C'était exactement ce qui l'intéressait dans mon CV ! Il m'a dit : « Parmi les Palestiniens, il y a des terroristes ; il y a le Hamas, le Djihad islamique, le FPLP... Mais l'Autorité palestinienne, elle, n'est plus notre ennemie et nous devons changer de logiciel. C'est pour cela que j'ai besoin de toi. »
M. D. - Votre mission était donc de débusquer les terroristes...
A. A. - Notre rôle était de les identifier et de les tenir en échec, d'où qu'ils viennent et quels qu'ils soient : juifs ou musulmans, fondamentalistes, anarchistes ou messianiques. Je ne m'intéressais pas à la perception qu'avait l'opinion publique israélienne des Palestiniens ou du processus de paix ; ça, c'était le job du gouvernement. Et si, pour lutter contre le Hamas, je devais collaborer avec les services de sécurité de l'Autorité palestinienne, eh bien, je le faisais. Chaque mois, je rencontrais Jibril Rajoub (chef des forces de sécurité palestiniennes en Cisjordanie), Mohamed Dahlan (chef des forces de sécurité préventive de la bande de Gaza) ou Amin al Hindi (chef des services de renseignement palestiniens) pour faire le point sur l'étendue de la menace terroriste et établir les modalités de coopération entre nos services. C'était un défi sans précédent pour les renseignements israéliens. N'oubliez pas que nous nous étions battus contre ces gens pendant trente ou quarante ans. Jibril Rajoub a été emprisonné chez nous pendant la première Intifada ; il a personnellement commis des attentats terroristes... Brusquement, la réalité n'était plus en noir ou blanc et revêtait une infinité de nuances de gris. Nous devions examiner chaque situation au cas par cas, car, si les Palestiniens n'étaient plus tous des ennemis, ils restaient des rivaux.
M. D. - Est-ce vous qui avez initié et bâti cette collaboration sécuritaire avec l'Autorité palestinienne ?
A. A. - Je ne voudrais pas m'attribuer le mérite d'une si vaste entreprise. Disons que c'est effectivement l'objectif que nous avons cherché à atteindre sous mon mandat. Cette collaboration avait été ébauchée avant moi ; j'ai juste contribué à structurer cette méthode de travail et à la faire entrer dans les moeurs au quotidien.
Lorsque Rabin a signé son premier accord avec Arafat, les actes terroristes se sont multipliés. Sans doute parce que plusieurs groupes palestiniens ont compris qu'on avançait sur la voie d'un règlement diplomatique du conflit. Pour eux, c'était une concession gigantesque, le renoncement au rêve d'une grande Palestine, du Jourdain à la Méditerranée - le rêve sur lequel s'était construit le Fatah. En signant les accords d'Oslo, Arafat a brisé un tabou. Mais Rabin a fait une erreur. Vous connaissez sa théorie : « Il faut combattre le terrorisme comme s'il n'y avait pas de processus de paix et poursuivre le processus de paix comme s'il n'y avait pas de terrorisme. » Dès lors qu'Arafat ne subissait en rien les conséquences des attentats commis par le Hamas ou le Djihad islamique et qu'il continuait d'engranger des gains diplomatiques, pourquoi aurait-il levé le petit doigt pour endiguer la vague de terrorisme venue des territoires palestiniens ? Il n'avait aucune raison de le faire.
M. D. - À partir de quel moment cette vision des choses a-t-elle évolué ?
A. A. - Après les attentats meurtriers de février et mars 1996, il est devenu clair aux yeux de tous qu'on ne pouvait pas poursuivre le processus de paix dans ces conditions. La première fois que Shimon Peres l'a exprimé ouvertement, c'était en mars, lors d'une réunion avec Bill Clinton, le chef de la CIA, George Tenet, et moi-même.
M. D. - C'est donc aussi grâce au soutien de Bill Clinton que la pression a été accentuée sur Arafat...
A. A. - Absolument. Le transfert de quartiers arabes de Hébron sous souveraineté palestinienne, qui devait avoir lieu quelques semaines plus tard, a été suspendu tant que les attentats ne cesseraient pas. Une nouvelle équation s'est mise en place. Nous leur avons mis le marché en main : « Plus vous lutterez contre le terrorisme à nos côtés, plus nous ferons progresser le processus de paix. » Arafat a joué le jeu car il était isolé et ne voulait pas que les négociations s'arrêtent. De plus, il a vu là l'occasion de démanteler la Dawah, ce réseau associatif qui servait de couverture au Hamas et dont …
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