Les Grands de ce monde s'expriment dans

Quand la Chine fait un rêve...

Entretien avec Liu Mingfu, Colonel de l'Armée populaire de libération par Romain Franklin, Journaliste. Ancien correspondant en Chine de Libération

n° 162 - Hiver 2019

Liu Mingfu

 

Romain Franklin - Votre ouvrage Le Rêve chinois est pratiquement devenu la doctrine officielle de la République populaire. Il est enseigné dans toutes les académies militaires de votre pays et a même inspiré le président Xi Jinping. Pourriez-vous nous présenter brièvement la genèse de ce livre ?

Liu Mingfu - J'ai commencé à écrire Le Rêve chinois en 2006 et j'ai mis le point final trois ans plus tard. Le livre a été publié en janvier 2010 à Pékin. Une traduction anglaise a été publiée en 2015 aux États-Unis et en 2016 au Royaume-Uni. Il a ensuite été traduit dans d'autres langues, notamment en vietnamien.

R. F. - Quelles en sont les thèses principales ?

L. M. - Le Rêve chinois raconte, comme son nom l'indique, le rêve que fait le peuple chinois : dépasser les États-Unis et devenir la première puissance mondiale. Autrement dit, un avenir où la Chine sera le numéro un mondial alors que les États-Unis seront le numéro deux.

R. F. - Comment réaliser ce rêve ?

L. M. - Dans mon ouvrage, j'avais décrit quatre étapes : se battre pour devenir le numéro un mondial ; le devenir effectivement ; inaugurer l'ère chinoise ; et, enfin, créer un monde sans hégémonie. Mais fin 2012, le président Xi Jinping a employé à son tour le concept de « rêve chinois ». Et je dois reconnaître que son interprétation du rêve chinois est meilleure que la mienne ! Je l'ai donc étudiée de façon approfondie. Aujourd'hui, le rêve chinois consiste avant tout à réaliser la renaissance de la nation chinoise et à faire de la Chine un pays exemplaire qui deviendra tout naturellement le « champion du monde ».

R. F. - Quand vous dites que la Chine doit devenir un pays « exemplaire », entendez-vous par là que les autres pays doivent s'inspirer d'elle ?

L. M. - Oui, les autres pays doivent apprendre de la Chine... mais la Chine a également besoin d'apprendre d'eux. D'une certaine manière, tous les pays sont les professeurs de la Chine ! Depuis 1840, la Chine est la meilleure élève du monde. Nous avons analysé la Révolution française ; la dynastie Qing a mené de grandes réformes en suivant l'exemple du Royaume-Uni ; nous avons étudié le marxisme de l'Occident, le léninisme et le stalinisme de l'Union soviétique ; nous avons également regardé de très près l'économie de marché des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France. C'est grâce à cette soif d'apprendre que, à terme, la Chine dépassera les États-Unis. Les États-Unis, eux, ne cherchent pas à s'inspirer des autres pays... et surtout pas de la Chine. Ma conviction, c'est que les États-Unis manquent d'une grande stratégie et de grands stratèges. J'ai écrit sur ce sujet, en 2017, un livre intitulé Le Crépuscule de l'hégémonie, qui a d'ailleurs été traduit en anglais (1). Le New York Times m'a interviewé à ce moment-là. Voici ce que j'ai dit au journaliste qui m'interrogeait : « Les gouverneurs, les sénateurs, les députés, le président et le vice-président américains sont les bienvenus en Chine. Je leur conseille de passer quelques années en Chine et d'assister aux cours de l'École centrale du Parti communiste chinois. Pour les dirigeants américains, il serait très utile d'apprendre à prendre en charge une province chinoise. »

R. F. - Dans quel domaine le monde devrait-il avant tout prendre exemple sur la Chine ?

L. M. - Ces domaines sont nombreux ! Commençons par le fait que la Chine n'a jamais tenté d'envahir des territoires étrangers. Depuis 1840, la Chine n'a jamais attaqué le Royaume-Uni, les États-Unis ou le Japon ; en revanche, tous trois ont lancé des guerres contre nous. Si en étudiant l'exemple que nous incarnons, les autres États apprenaient à réfréner leur impérialisme, ce serait déjà un bon début ! Ensuite, ils doivent comprendre et apprécier les ressorts de l'émergence pacifique de la Chine. La Chine ne cherche pas à établir son hégémonie ou à s'enrichir au détriment des autres. Bien au contraire, elle n'oublie pas de les aider à progresser, eux aussi, sur la voie du développement. Le projet « One Belt, One Road » joue en faveur du développement des pays voisins et de l'ensemble de l'Eurasie. L'Europe et les États-Unis peuvent aussi tirer profit du développement de la Chine grâce à la mondialisation. À l'inverse, une rupture des relations commerciales avec la Chine serait très néfaste pour les Occidentaux.

R. F. - Le président Xi a-t-il lu votre ouvrage Le Rêve chinois ?

L. M. - Vous devez lui poser la question ! Ce qui est sûr, c'est que, comme je l'ai évoqué tout à l'heure, le président Xi a prononcé pour la première fois la formule « le rêve chinois » fin 2012, lors de sa visite à une exposition intitulée « La voie de la renaissance » organisée à Pékin. Il a dit à cette occasion : « Dernièrement, tout le monde parle du rêve chinois. Je crois que le plus grand rêve des Chinois, c'est la renaissance de la nation chinoise dans un avenir proche. »

R. F. - Croyez-vous que le président Xi peut aider la Chine à réaliser ce rêve de renaissance ?

L. M. - J'en suis persuadé.

R. F. - Pourquoi en êtes-vous si sûr ?

L. M. - C'est un dirigeant compétent et fort mais, aussi, curieux, toujours attentif à ce que peuvent lui apporter ses interlocuteurs. C'est également un homme érudit : il connaît très bien la culture plusieurs fois millénaire de la Chine ainsi que les autres grandes cultures mondiales. Il est à la tête d'une population qui atteindra bientôt 1,4 milliard de personnes ; du plus grand parti politique du monde qui compte près de 90 millions de membres ; et d'une armée de 2 millions de soldats. L'Armée populaire de libération est déjà la plus grande armée du monde par ses effectifs ; dans deux ou trois décennies, elle sera l'armée la plus puissante de la planète. Oui, j'ai …