Les Grands de ce monde s'expriment dans

Amérique latine : un clivage gauche-droite en trompe-l'oeil


Le 28 octobre 2018, Jair Bolsonaro a été élu président du Brésil après une campagne électorale des plus clivantes pendant laquelle il n'a cessé de clamer sa détestation des « rouges », accusant son principal adversaire, Fernando Haddad, du Parti des Travailleurs (PT), d'être un « communiste » (1). Lors de son intronisation, il a aussi annoncé que « le Brésil commence à se libérer du socialisme » (2). Pendant sa campagne, le président brésilien avait plusieurs fois affirmé son hostilité à l'« étatisme » du PT et insisté sur les « valeurs » qui l'opposent à la gauche : honnêteté (face à un PT « corrompu » dont « les dirigeants devront pourrir en prison »), renforcement de la sécurité (alors que le PT est « laxiste ») et défense des valeurs familiales et chrétiennes (contre un Haddad accusé d'avoir voulu propager un « kit gay » à l'école primaire).
Au-delà du Brésil, la poussée de gauche qu'on avait observée entre 2000 et 2015 s'est essoufflée. Élection après élection, des présidents de droite ont accédé au pouvoir : en Argentine avec Mauricio Macri en 2015 ; au Pérou avec Pedro Pablo Kuczynski en 2016 ; au Chili avec Sebastian Piñera en 2017 ; et en Colombie avec Ivan Duque en 2018. Mais, au fond, sur quels thèmes la « droite » et la « gauche » s'opposent-elles ?
Il existe des divergences profondes sur les questions sociétales, et le conflit de valeurs mis en avant par Jair Bolsonaro est bien réel. Mais au-delà des discours, les politiques mises en oeuvre sont étonnamment similaires sur des sujets sur lesquels on aurait pu s'attendre à des contrastes plus nets : sécurité, rôle de l'armée (sauf au Brésil), politique envers les minorités ethniques (à l'exception de la Bolivie et de l'Équateur) et attitude vis-à-vis des États-Unis.
Plus surprenant encore dans un continent où les inégalités et les injustices sociales sont profondes et flagrantes, les politiques économiques « de gauche » diffèrent assez peu des politiques « de droite ». Ce constat dément à la fois les accusations de « communisme » de Jair Bolsonaro et la « crainte des rouges » exprimée par une partie de la population latino-américaine. Au-delà du cas inclassable du Venezuela maduriste (3), la seule exception est l'Argentine des Kirchner. Le « consensus de Washington » (4) est accepté dans la quasi-totalité des pays latino-américains.


Un virage à droite à relativiser


Cette poussée de la droite latino-américaine doit cependant être relativisée. D'une part, le succès de la droite n'est ni général ni massif. Dans quatre pays - le Salvador, l'Uruguay, l'Équateur et le Costa Rica -, les électeurs ont reconduit la gauche lors des scrutins présidentiels (respectivement Salvador Sanchez en 2014, Tabaré Vazquez en 2015, Lenin Moreno en 2017 et Carlos Alvarado en 2018). Surtout, le Mexique a basculé à gauche avec l'élection d'Andrés Manuel Lopez Obrador le 1er juillet 2018. Enfin, même là où le candidat de droite a triomphé, sa victoire doit être nuancée. Ainsi au …