La république indonésienne est une géante. Avec ses 266 millions d'habitants (dont 87 % de musulmans déclarés) vivant sur près de 2 millions de km2, elle est la troisième démocratie du monde (après l'Inde et les États-Unis). Aux trente-deux années du régime autoritaire du général-président Suharto (1966-1998), dit de l'Ordre nouveau, ont succédé deux décennies de dynamique démocratique et libérale, dans le cadre d'un processus (nommé Reformasi), toujours en cours, de décentralisation politique, administrative et économique. Encore tributaire d'une culture politique largement héritée de l'ancien régime (1), le pays se trouve aujourd'hui dans une période charnière, à l'approche des élections simultanées (présidentielle et législatives) du 17 avril 2019 qui verront probablement la victoire du président sortant, le progressiste Joko Widodo, surnommé Jokowi, face à son rival conservateur, le général Prabowo Subianto. Les deux principaux candidats ont rallié derrière eux la majorité des partis ; de ce fait, l'élection ne comptera qu'un seul tour (2).
La bataille des urnes s'articule schématiquement autour des rivalités entre conservateurs et progressistes. Les premiers regroupent les oligarchies anciennes et nouvelles, les militaires issus du régime de Suharto et les mouvements islamiques conservateurs. Les seconds rassemblent un ensemble d'élites politiques et économiques, démocrates et néolibérales, qui ont émergé pour l'essentiel après la chute de Suharto en 1998. Toutefois, au cours de la campagne, des coalitions complexes ont largement minoré ces clivages.
Au coeur des antagonismes, l'islam constitue une ressource idéologique dont les deux camps rivaux cherchent à s'emparer. La religion musulmane représente un levier électoral ainsi qu'un facteur de légitimité politique. Ces dernières années, l'opposition conservatrice a cherché à l'instrumentaliser afin de déstabiliser le gouvernement (3). Une campagne de dénigrement a ainsi pris pour cible l'un des principaux alliés du président Jokowi : le gouverneur chrétien de Jakarta, Basuki Tjahaja Purnama (emprisonné pour blasphème en mai 2017, il a finalement été libéré le 24 janvier dernier). En outre, l'ancien chef de l'armée (en poste jusqu'en décembre 2017), Gatot Nurmantyo, a multiplié les critiques visant le président, assurant pêle-mêle que ce dernier était incapable de réguler l'immigration de main-d'oeuvre, de protéger le pays contre le risque d'un retour du communisme, de garantir la préservation de l'ordre moral et d'assurer la sécurité contre d'éventuelles menaces d'invasions étrangères.
Au vu des tendances autoritaires de Prabowo, l'enjeu du scrutin d'avril est celui de la consolidation de la démocratie initiée il y a deux décennies, ainsi que l'affermissement de la capacité de Jokowi à poursuivre les programmes de développement qu'il a lancés depuis son arrivée au pouvoir en 2014. D'autres questions, cruciales, restent toutefois à l'arrière-plan des préoccupations des décideurs. À commencer par celle de l'exploitation des ressources naturelles qui, conjuguée à des défaillances dans la prévention et la gestion des catastrophes qui frappent régulièrement le pays, entame le potentiel de développement de l'archipel (près de 13 500 îles, dont 6 000 habitées) - en particulier le secteur du tourisme qui pèse 5,8 % du PIB et représente 12,2 millions d'emplois. Un autre point sensible concerne les compromis périlleux dans lesquels …
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