La DGSE comporte inévitablement une part d'ombre, voire d'opacité. Il est rare que le voile soit levé sur cette institution qui est, sans nul doute, le plus secret des services français de renseignement et l'un des meilleurs au monde.
Pour Politique Internationale, Bernard Émié, son directeur général - diplomate de haut rang dont la carrière s'est toujours située à la frontière entre diplomatie et renseignement - a bien voulu se livrer à un exercice sans filet en s'exprimant à bâtons rompus sur les périls multiformes auxquels notre démocratie est confrontée. Mieux encore : il explique quels sont les leviers qu'il convient d'utiliser pour préserver l'influence, le rayonnement, la souveraineté et l'autonomie stratégique de notre pays.
Politique Internationale - Monsieur le directeur général, notre première question portera sur votre trajectoire personnelle. Par rapport à votre parcours antérieur de diplomate de haut rang, qu'est-ce qui vous prédestinait à prendre la tête de la DGSE ?
Bernard Émié - La différence entre un diplomate et le chef d'un service de renseignement, c'est que le premier fait du renseignement ouvert tandis que le second va chercher du renseignement qui n'est pas immédiatement accessible. Mais, au fond, l'objectif final est le même. Mon parcours m'a conduit à être très souvent en relation avec le monde du renseignement. J'ai été affecté dans de nombreux pays ayant traversé des crises, qu'il s'agisse du Liban, de la Jordanie ou de la Turquie, et où les services jouent un rôle majeur, comme en Algérie. Et puis c'est un monde que j'ai côtoyé de longue date. J'ai été nommé ambassadeur en Algérie au moment où le guide de haute montagne Hervé Gourdel a été enlevé par les soldats du califat. J'ai travaillé la main dans la main avec la DGSE pour essayer de le faire libérer, malheureusement sans succès, puisqu'il a été décapité quelques jours après son enlèvement. Tout cela pour dire que, finalement, mon itinéraire est très cohérent par rapport à ce qui m'est demandé aujourd'hui. Le DGSE doit être doté d'une expérience internationale et d'une forte capacité d'analyse politico-diplomatique et d'anticipation stratégique. C'est probablement pour cette raison que, depuis vingt ans, quatre directeurs généraux sur cinq ont été des diplomates.
P. I. - Vous avez par surcroît une vision géopolitique, ce qui a sans doute pesé dans la décision de vous nommer à ce poste...
B. É. - Je crois, en effet, qu'il faut être capable d'intégrer les dimensions géopolitiques d'une situation donnée. Il faut aussi être capable de parler à ceux auxquels les diplomates ne parlent pas. Le monde du renseignement est un monde où l'on discute aussi avec des gens qui ne sont ni fréquentables ni présentables.
P. I. - Y a-t-il une grande figure de l'espionnage - française ou étrangère - qui vous a inspiré ou, au moins, impressionné ?
B. É. - Je pense à André Dewavrin, le futur colonel Passy, qui a créé les services secrets de la France libre en juillet 1940. C'est l'inventeur d'un nouveau modèle de renseignement : le service spécial à la française, le fameux BCRA qui a vu le jour en septembre 1942. Il s'agit d'un modèle qui associe l'action et le renseignement et qui est subordonné au politique et non au militaire. Ce principe reste valable de nos jours : la DGSE dépend statutairement du ministère des Armées, mais est également un maillon d'une chaîne politique. Passy, c'est aussi la clandestinité et la DGSE est le seul service spécial de l'État qui mène des actions de nature clandestine. Il y a une dernière raison pour laquelle le nom de Passy me vient à l'esprit : cette année, nos unités militaires - qui sont regroupées au sein du 44e régiment d'infanterie et du …
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