Il est rare que le livre d'un jeune chercheur étranger reçoive un tel accueil en France. Mais après avoir atteint très vite le statut de best-seller aux États-Unis, le dernier essai de Yascha Mounk, Le Peuple contre la démocratie, a suscité l'enthousiasme des journalistes et des intellectuels français. À 36 ans, ce spécialiste de la démocratie et des populismes est devenu le chouchou des médias. Les grands quotidiens américains s'arrachent ses tribunes et les cercles de réflexion se disputent ses conseils des deux côtés de l'Atlantique. L'étoile montante de Harvard, qui dirige également l'équipe « Renewing the centre » au Tony Blair Institute for Global Changes, est désormais la coqueluche de l'establishment anti-Trump.
Juif polonais né à Munich, ayant grandi en Allemagne et naturalisé américain, Yascha Mounk, qui parle couramment le français, avait annoncé le déclin des démocraties avant l'élection de Donald Trump. Mais c'est la victoire du candidat républicain qui lui sert vraiment de tremplin. Derrière son concept de « déconstruction démocratique », Yascha Mounk se livre à une analyse précise et profonde des populismes, dont il estime qu'ils se comportent de manière identique qu'ils soient de gauche ou de droite. Sans doute parce qu'il tient à distance l'idéologie, il aborde les grands défis européens sans langue de bois et sans tabou. Ainsi pense-t-il, lui qui appartient à la gauche libérale américaine, que l'Europe doit se saisir sans tarder de la question migratoire. Faute de quoi « ce sont les nationalistes qui s'en chargeront ». Pour faire échec aux populismes, les pays européens doivent donc, dans certains cas, renouer avec un nationalisme modéré. Même si son pessimisme est nourri par l'histoire de sa famille, qui a payé un lourd tribut à la Shoah, son diagnostic implacable n'en donne pas moins à réfléchir : pour Mounk, l'effondrement démocratique pourrait bien ne pas être l'exception, mais la règle de toute une époque.
I. L.
Isabelle Lasserre - Quelles sont, à vos yeux, les causes profondes du populisme ? Plonge-t-il ses racines dans l'économie, dans la société, dans la politique ?
Yascha Mounk - Ce qui me surprend, c'est que, chaque fois que je me rends dans un pays, les gens avancent toujours des explications différentes et particulières pour expliquer la montée des populismes. Aux États-Unis, on incrimine le caractère « extrême » du président. En Allemagne, on pointe du doigt la trop grande modération dont aurait fait preuve Angela Merkel. En France, on met en cause la personnalité d'Emmanuel Macron. Pourtant, si l'on assiste à l'émergence de phénomènes similaires dans de si nombreux pays, il faut chercher quels sont leurs points communs plutôt qu'invoquer leurs divergences. Il me semble que le populisme se nourrit de cinq ou six causes différentes mais qu'il en suffit de trois ou quatre pour qu'il se développe dans un pays. Sa nature exacte dépendra ensuite de la combinaison de ces différents facteurs. Les trois principales racines du populisme sont 1) la stagnation du niveau de vie des classes moyennes ; 2) la transformation de sociétés mono-ethniques en sociétés multi-ethniques ; et 3) le développement d'Internet, de la communication de masse et des mouvements sociaux.
I. L. - Tous les populismes ne se ressemblent pas. Peut-on établir une classification de ces mouvements ?
Y. M. - La principale division est économique et oppose la droite et la gauche. Il est évident qu'Hugo Chavez, l'ancien président du Venezuela, n'a pas les mêmes idées sur le capitalisme que Donald Trump ! Les groupes se définissent aussi dans leur rapport aux minorités : Donald Trump n'aime pas les musulmans et Recep Tayyip Erdogan n'aime pas ceux qui ne sont pas musulmans... Mais tous les mouvements populistes ont un point commun : ils prétendent être les seuls à représenter le peuple et considèrent que ceux qui sont en désaccord avec eux - qu'il s'agisse des minorités, des juges, des journalistes... - sont illégitimes. Ce refus du pluralisme et de la diversité les pousse à attaquer la démocratie et l'État de droit, qu'ils appartiennent à la gauche ou à la droite. Quand les responsables italiens Matteo Salvini - Ligue du Nord, extrême droite - et Luigi Di Maio - Mouvement Cinq Étoiles, extrême gauche - ont formé leur coalition après les dernières élections législatives, la plupart des observateurs politiques étaient persuadés que le nouveau gouvernement italien s'écroulerait très vite tant ces mouvements étaient différents. Mais leur caractère populiste leur a permis, malgré ces différences, de maintenir leur alliance, en tout cas pour l'instant. Un épisode récent et anecdotique illustre parfaitement la relation entre la Ligue du Nord et le Mouvement Cinq Étoiles : lors d'un vote à l'Assemblée, en décembre, deux députés, un homme et une femme, manquaient à l'appel. L'un appartenait à la Ligue, l'autre à Cinq Étoiles. On les a cherchés partout... pour finalement les retrouver dans les toilettes du Parlement en train d'avoir des relations intimes !
I. L. - Au-delà des …
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