Renaissance européenne : la solution Paris-Berlin

n° 163 - Printemps 2019

Natalia Rutkevich - La campagne des européennes se déroule dans un climat délétère : jamais l'UE n'a été autant remise en question qu'aujourd'hui - et cela, non seulement en France, mais dans de très nombreux pays de l'Union. Faut-il interpréter ce scrutin comme un référendum pour ou contre l'UE ?

Jacques Julliard - Ce qui me frappe, c'est que cette question puisse être à l'ordre du jour. Lorsqu'on a, en France, un débat politique, fût-ce un débat de fond, on ne dit pas que ce débat « remet en question la France », que je sache. On dit seulement qu'il remet en question la politique conduite par le gouvernement français. Mais, curieusement, quand il s'agit de l'Europe, on considère chaque fois que c'est l'essence même de l'Europe qui est en cause ! Il y a actuellement une confusion inquiétante entre la politique que l'UE met en oeuvre et la légitimité de l'Union.

N. R. - À qui la faute ? Qu'est-ce qui a rendu une telle confusion possible ?

J. J. - Les dirigeants européens ont une grande part de responsabilité dans cette affaire. Depuis un certain nombre d'années, ils ont identifié l'Europe à une politique économique fondée sur le libre-échange et sur la rigueur budgétaire. On peut être pour ou contre cette politique mais, de grâce, n'oublions pas qu'il est tout à fait possible de concevoir, au sein de l'UE, une autre politique qui serait plus protectionniste ou plus « identitaire », sans remettre en question l'existence de l'UE. Qu'on vote pour ou contre le libéralisme, c'est une chose ; mais qu'on vote pour ou contre l'Europe, ce n'est pas normal. D'ailleurs, il va de soi que si demain, par malheur, des dirigeants anti-européens arrivaient au pouvoir en France ou en Allemagne - comme c'est déjà le cas dans certains pays de l'Est ou en Italie - , la politique de l'UE changerait considérablement. Qu'on le veuille ou non, la ligne de l'UE, c'est celle des responsables de ses principaux États membres. Or les gens ont le sentiment que l'UE est dirigée par des instances déconnectées, des bureaucrates qui imposent leur propre vision, quelles que soient les préférences des citoyens.

N. R. - Cette vision négative des institutions bruxelloises ne viendrait-elle pas de la relative faiblesse du Parlement européen ? En tant qu'unique instance directement élue de l'UE, ce Parlement ne devrait-il pas avoir davantage de poids ?

J. J. - Il serait effectivement souhaitable que le Parlement soit plus influent. Mais, je le répète, l'UE a, à sa tête, des dirigeants qui sont l'émanation - il est vrai indirecte - des élections tenues au niveau national. Le Conseil des ministres européen est un organe parfaitement représentatif. Et il est assez paradoxal que ce soient les anti-européens qui mettent en avant le problème de la représentation au sein des instances de l'UE. À les entendre, l'Europe ne serait légitime que si tous ses responsables étaient élus au suffrage universel direct - c'est-à-dire, si l'on pousse la logique jusqu'à son …