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Mes solutions pour Israël

Entretien avec Ehoud Olmert, Vice-premier ministre et ministre de l'Industrie et du Commerce de l'Etat d'Israël, par Myriam Danan, journaliste sur la chaîne d'information internationale israélienne i24 News.

n° 163 - Printemps 2019

Ehoud Olmert


Myriam Danan - Au moment de votre démission, en 2009, vous étiez en pleine négociation de paix avec les Palestiniens. Avez-vous le sentiment d'un travail inachevé ?
Ehoud Olmert - Bien sûr. J'étais convaincu que nous nous trouvions à un tournant historique du processus de paix, que nous étions sur le point de conclure un accord pérenne. C'était indispensable, et nous y étions prêts. D'ailleurs, le jour où un accord de paix sera signé entre Israéliens et Palestiniens, que ce soit dans cinq ans ou dans cinquante ans, il ressemblera globalement à ce que j'avais programmé. Il n'y aura pas d'autre accord parce qu'il ne peut pas y avoir d'autre forme d'entente. J'avais approuvé les frontières du futur État palestinien sur la base des frontières de 1967 avec, bien sûr, quelques échanges de territoires. J'avais accepté, également, que la partie juive de Jérusalem soit la capitale de l'État d'Israël et que la partie arabe de Jérusalem soit la capitale des Palestiniens. J'avais, enfin, accepté que la gestion des Lieux saints ne soit placée ni sous souveraineté israélienne ni sous souveraineté palestinienne mais sous souveraineté internationale (par exemple celle de l'ONU), et que la question des réfugiés soit résolue dans le cadre de la proposition de paix de la Ligue arabe (1). Évidemment, cette proposition était surtout symbolique. Sur cette question, même Mahmoud Abbas ne voulait qu'un geste symbolique (2). Concrètement, il s'agissait d'autoriser quelques milliers d'Arabes à s'installer en territoire israélien, avec un droit de veto des autorités israéliennes sur les dossiers présentés.
Jamais il n'y aura de meilleure proposition. Israël peut-il envisager des frontières qui réduiraient son territoire à une superficie inférieure à ce qu'elle était avant la guerre de 1967 ? Évidemment pas.
M. D. - Vous avez sans doute été le premier ministre israélien le plus généreux dans les négociations menées avec les Palestiniens, plus encore qu'Ehoud Barak. Pourtant, les Palestiniens vous ont dit non...
E. O. - Ils n'ont pas dit non... mais ils n'ont pas dit oui. En fait, ils n'ont pas répondu ! Et je sais qu'ils le regrettent aujourd'hui. Mahmoud Abbas a reconnu à plusieurs reprises avoir commis une erreur à l'époque. Saëb Erekat (3) a tenu des propos similaires. Je pense qu'ils sont conscients que, comme je viens de vous le dire, la proposition que je leur ai faite était la plus généreuse possible, et qu'ils n'en recevront jamais une meilleure.
M. D. - Pensez-vous que, à l'avenir, un autre premier ministre israélien sera prêt à aller aussi loin que vous en 2009 ?
E. O. - Je ne sais pas. Ce que je sais, c'est que si Israël se refuse à réitérer une telle proposition, il n'y aura pas de paix. Les Palestiniens ne pourront jamais accepter un texte qui comprendrait moins que ce j'ai déjà proposé. Mais, encore une fois, ils ne recevront pas non plus davantage, jamais. Parce qu'il est impossible de leur donner plus.
M. D. - Peut-être n'y aura-t-il pas d'accord de paix du tout. La droite, qui pèse lourd aujourd'hui, semble estimer que le statu quo est une solution durable...
E. O. - Je vais le dire très clairement : cette droite est hallucinée, irréaliste et prête à déstabiliser l'État juif et démocratique qu'est Israël au nom de fantasmes messianiques et fondamentalistes. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la conséquence directe de ce que propose la droite israélienne, c'est justement la perte de cette identité juive nationale qu'elle prétend défendre.
M. D. - Vous semblez sous-entendre que la droite propose un État binational. Or elle dit souhaiter mettre en place non pas un État binational en Israël mais une confédération palestino-jordanienne ou palestino-égyptienne, ce qui permettrait de déporter en partie le problème palestinien sur les épaules de la Jordanie et de l'Égypte. Selon vous, un tel scénario est-il envisageable ?
E. O. - Non. Pour la très simple raison que la Jordanie et l'Égypte ne seront jamais d'accord. J'ai moi-même vérifié cette option en mon temps. Et la conclusion à laquelle je suis parvenu est très nette : il n'y aura ni fédération ni confédération. Aucun pays arabe, aussi modéré soit-il, n'acceptera un accord qui ne comprend pas un État palestinien indépendant. En revanche, si après l'établissement d'un État palestinien les représentants de cet État expriment le souhait de former une confédération avec la Jordanie, alors ce sera une autre histoire - et je suis incapable de vous dire si une telle initiative a la moindre chance d'aboutir.
M. D. - Il y a quelques mois, vous avez eu à Paris un rendez-vous informel avec Mahmoud Abbas. On sait que vous entretenez à ce jour de bonnes relations avec lui. Quel est son état d'esprit ? Croit-il encore à l'établissement prochain d'un État palestinien ?
E. O. - Je pense qu'il garde espoir, mais il est conscient que cet espoir repose dans une large mesure sur un changement de gouvernement en Israël. Il n'y a absolument aucune chance pour que le gouvernement actuel ou un prochain gouvernement composé des mêmes forces politiques approuve la création d'un État palestinien. J'ai effectivement de bonnes relations avec Mahmoud Abbas. À mon avis, ce n'est pas un ennemi d'Israël. Nous commettons une très grave erreur en cherchant à l'effacer du jeu diplomatique actuel. Il ne faut pas oublier que Mahmoud Abbas est aujourd'hui notre allié dans la lutte contre le terrorisme. C'est avant tout un ennemi du Hamas mais, au lieu de le soutenir, nous cherchons à dialoguer avec le Hamas ! Quelle immense bêtise...
M. D. - Que pensez-vous de l'argument de la droite selon lequel Mahmoud Abbas, qui n'a plus organisé d'élections en Palestine depuis plus de dix ans et n'a pas su se réconcilier avec le Hamas, n'est plus un représentant légitime du peuple palestinien ?
E. O. - Je réponds : quelle est l'option alternative ? Il n'y en a aucune. Incontestablement, le fait qu'il n'y ait pas d'élections en Palestine n'est pas juste d'un point de vue démocratique et occidental. Mais imaginez que des élections …