Entretien avec Salomé Zourabichvili, Présidente de la Géorgie par la Rédaction de Politique Internationale
Politique Internationale - Madame la Présidente, en vous lançant dans la campagne, vous avez déclaré que vous le deviez à vos parents qui vous avaient énormément parlé de la Géorgie quand vous étiez enfant. Quelle vision aviez-vous de la terre de vos ancêtres avant de vous y rendre pour la première fois en 1986 ? Aviez-vous toujours rêvé de vous y installer et d'y jouer un rôle ?
Salomé Zourabichvili - J'avais une vision un peu mythique de ce pays que je ne connaissais pas et qui m'était interdit. Un pays que mes parents et mes grands-parents avaient quitté des décennies avant ma naissance et dont ils gardaient un souvenir, si je puis dire, surdimensionné - ce qui est souvent le cas lorsqu'on a quitté sa patrie et qu'on ne peut pas y retourner... Ma famille - et pas seulement ma famille, mais aussi tous les Géorgiens que j'avais connus dans mon enfance et ma jeunesse - était persuadée que le jour viendrait où la Géorgie serait de nouveau indépendante. De même que les juifs ont coutume de dire « l'an prochain à Jérusalem », nous disions, nous, « l'an prochain à Tbilissi » ! J'ai donc toujours entretenu l'espérance que mon pays recouvrerait son indépendance, et je me suis toujours demandé comment je pourrais servir cette patrie que je n'avais jamais visitée avant mes 35 ans. Je savais que, le jour où cette indépendance serait restaurée, la Géorgie aurait besoin de toutes les forces vives, et je pensais que je pourrais alors contribuer à son essor d'une façon ou d'une autre... Mais, bien entendu, même dans mes rêves les plus fous, je n'imaginais pas pouvoir occuper le poste de ministre des Affaires étrangères ou celui de chef de l'État !
P. I. - Pour vous, personnellement, au-delà de la politique, que représente votre accession à la présidence ?
S. Z. - La fin d'un cycle. Un cycle qui a vu mes parents et mes grands-parents être forcés à l'exil sous le poids des armes et de l'occupation par la Russie. À présent, j'entends bien aider la Géorgie à accomplir son chemin vers l'Europe. Mon arrivée à la tête du pays représente, dans une certaine mesure, une revanche sur mon histoire familiale.
P. I. - À quel moment avez-vous envisagé pour la première fois de viser la présidence ? Qu'est-ce qui vous y a poussée ?
S. Z. - J'ai commencé à y penser sérieusement quand je me suis retrouvée dans l'opposition. Mais la toute première fois où cette idée a été mentionnée remonte au printemps 2004. Quand Mikheïl Saakachvili m'a présentée au ministère des Affaires étrangères, il a dit aux personnes présentes : « Celle-là, elle sera peut-être un jour la présidente de la Géorgie ! » J'ai évidemment pris ces propos pour une grande blague, et tout le monde s'est d'ailleurs esclaffé. À ce moment-là, je ne pensais guère à un tel scénario... Mais quelques années plus tard, l'idée a commencé à faire son chemin. À plusieurs reprises, l'opposition a cherché un candidat, mais je ne pouvais pas me présenter car je n'avais pas résidé assez longtemps sur le territoire national. Ce n'est finalement qu'en 2016, après avoir été élue députée, que j'ai décidé de me porter candidate à la présidentielle. Et je me suis présentée de façon indépendante, seule, avant même d'être assurée d'obtenir un quelconque soutien des forces politiques établies. Ce mandat est d'autant plus important que c'est la dernière fois que le président est élu au suffrage universel : à la suite d'une modification de la Constitution intervenue il y a quelques années, il a été décidé que, après la fin de mon mandat en 2024, le président serait désigné par le Parlement.
P. I. - Au moment où vous avez décidé de vous présenter en candidate indépendante, étiez-vous assurée d'obtenir le soutien du Rêve géorgien, qui est le premier parti du pays ?
S. Z. - Je n'en étais pas certaine, mais je savais que cette possibilité était réelle. Il y avait, au sein du parti, des discussions sur la personnalité à soutenir car la nouvelle Constitution demande que le président ne soit affilié à aucune formation politique, qu'il soit au-dessus des partis. J'ai présenté ma candidature au mois d'août et, après plusieurs débats au sein du Rêve géorgien, cette formation a décidé de m'appuyer. Sans doute mon profil offrait-il certains atouts qui ont emporté l'adhésion du parti : ma proximité naturelle avec l'Europe, mon expérience diplomatique... et le fait que je sois une femme ont aussi dû jouer en ma faveur dans la mesure où une candidature féminine représentait un certain gage de progressisme. C'est ainsi que, en septembre, le Rêve géorgien a appelé ses partisans à voter pour moi. Au début, ce soutien a été assez discret, ce qui explique en partie le résultat du premier tour : je n'y suis arrivée en tête que de justesse, avec un peu moins de 40 % des suffrages.
P. I. - Avez-vous été déçue de devoir passer par un second tour ?
S. Z. - Pas du tout. Dans une jeune démocratie comme la Géorgie, la tenue d'un scrutin concurrentiel, sur deux tours, est toujours une bonne chose.
P. I. - Certains observateurs estiment que si vous l'avez finalement emporté au second tour face à M. Vachadze, le représentant du « Mouvement national uni » de Mikheïl Saakachvili, c'est en bonne partie grâce à M. Ivanichvili. Celui-ci s'était, en effet, engagé à effacer les petites dettes bancaires de 600 000 personnes si vous remportiez la victoire. Que répondez-vous à ceux qui affirment que cette méthode s'apparente à de l'achat de voix ?
S. Z. - À l'issue du premier tour, les gens du Rêve géorgien - qui, je le répète, ne m'avaient pas offert avant le scrutin un soutien aussi franc qu'ils auraient pu le faire - se sont réveillés et, je le concède, ils sont peut-être allés un peu trop loin. Ils se sont lancés dans la bagarre de toutes leurs forces, ce …
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