Frédéric de Monicault — Comment votre pays appréhende-t-il la problématique de la construction durable ?
Abdelahad Fassi Fihri — Quand on parle de la construction durable, cela suppose une approche intégrée qui permet d’embrasser toutes les dimensions du développement durable : sociale, économique et environnementale.L’appropriation de ce mode de construction reste liée au contexte, aux priorités et aux spécificités de chaque pays. Au Maroc, le secteur du bâtiment et de la construction est un secteur stratégique en plein essor : plusieurs pôles urbains ont été réalisés et sept villes nouvelles sont sorties de terre, soit une production annuelle d’environ 160 000 unités de logement. Avec 33,6 % de la consommation totale, le bâtiment est le deuxième secteur le plus gourmand en énergie. Il enregistre une forte croissance de sa demande énergétique en raison de la dynamique qu’il connaît et de l’augmentation du taux d’équipement des ménages. Cette dynamique constitue une opportunité à saisir pour orienter nos modes de construction vers des modèles plus durables et plus respectueux de l’environnement. Des modèles qui donnent la priorité à la préservation des ressources naturelles, aux économies d’énergie, à la résilience et à l’adaptation aux changements climatiques.
F. de M. — Diriez-vous que c’est une porte ouverte sur le futur ?
A. F. F. — Comme vous le savez, le Maroc s’est engagé à relever les défis du XXIe siècle en faisant du développement durable un vrai projet de société et son modèle de développement. Compte tenu du rôle moteur que joue le secteur du bâtiment dans le développement de notre pays, nous sommes convaincus que la promotion de la construction durable est l’un des leviers d’action primordiaux qui permettront de réussir notre transition vers ce nouveau modèle.
F. de M. — La construction durable peut-elle être considérée comme une priorité ? Quelles sont les administrations et les acteurs dédiés ?
A. F. F. — La construction durable occupe une place importante dans les différentes stratégies nationales.L’efficacité énergétique constitue l’une des priorités de la stratégie énergétique nationale et de la nouvelle stratégie nationale d’efficacité énergétique à l’horizon 2030. Plusieurs axes de la stratégie nationale de développement durable (SNDD) concernent le développement de l’écoconstruction, notamment l’axe relatif à la promotion de l’écoconception des bâtiments afin de garantir l’efficacité énergétique. La construction durable est aussi au cœur des objectifs climatiques du royaume. À cet égard, je tiens à préciser que la contribution déterminée au niveau national du Maroc (CDN) a fixé la part du secteur du bâtiment dans l’effort d’atténuation à 7,6 % entre 2020 et 2030 et à 8,3 % à l’horizon 2030, avec plus de 9 projets ambitieux totalisant un objectif de réduction d’environ 6 millions de tonnes de CO2 par an en 2030.
F. de M. — Vous arrivez donc à fédérer les efforts...
A. F. F. — Une multitude d’acteurs du secteur public et du secteur privé sont impliqués dans ce grand chantier, notamment les départements ministériels en charge de l’habitat, de l’énergie et du développement durable, ainsi que l’Agence marocaine pour l’efficacité énergétique dont la mission est de contribuer à la mise en œuvre de la politique énergétique nationale. Ces acteurs institutionnels travaillent en étroite collaboration avec les différents maillons de la chaîne de valeur de la construction, qui sont représentés au Maroc par plusieurs fédérations professionnelles. Il est clair que la réussite de ce grand chantier dépend de l’implication et de la mobilisation de tous. pour y parvenir, le ministère de l’Aménagement du territoire national, de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Politique de la ville a mis en place une Alliance marocaine du bâtiment pour le climat qui regroupe les différents acteurs du secteur de la construction : promoteurs immobiliers, fabricants de matériaux, architectes, bureaux d’études d’ingénierie et de conseil, entreprises de construction et de travaux publics...
F. de M. — Peut-on mettre en avant quelques grands projets ou quelques initiatives spécifiques ?
A. F. F. —Les villes nouvelles et les pôles urbains qui ont été récemment aménagés ont intégré les considérations énergétiques et environnementales en amont de leur conception. Ces villes ont fait l’objet d’études d’impact énergétique et environnemental. Par ailleurs, la prise de conscience de l’importance de l’intégration de la dimension de la durabilité dans la construction s’est traduite par un recours croissant des professionnels du secteur à la certification et à la labellisation environnementales. Aujourd’hui, plusieurs organismes internationaux de certification interviennent sur le marché national de la construction. Pour accompagner cette dynamique, un cadre réglementaire et juridique a été mis en place — la loi sur l’efficacité énergétique, la réglementation thermique des bâtiments, l’ouverture du marché des énergies renouvelables à la basse tension... — visant essentiellement à améliorer la performance énergétique des bâtiments, aussi bien l’enveloppe que les équipements.
F. de M. — Dans cette perspective, quel est le rôle du ministère que vous pilotez ?
A. F. F. — Le ministère de l’Aménagement du territoire national, de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Politique de la ville, en partenariat avec les différents acteurs concernés, œuvre pour le renforcement du cadre normatif existant pour la promotion de l’écoconstruction et la durabilité dans le secteur du bâtiment. L’objectif est de faciliter et d’accompagner l’application de la réglementation et d’améliorer la qualité et la compétitivité de l’industrie des matériaux de construction. Nous menons aussi plusieurs actions de sensibilisation au profit des professionnels et des citoyens sur les enjeux liés à la durabilité dans la construction, notamment à travers l’élaboration de référentiels techniques et de guides pour encourager les solutions économes en énergie dans les bâtiments. Je tiens à souligner que les professionnels s’impliquent, eux aussi, dans la promotion de la durabilité dans le secteur du bâtiment. Dans ce sens, l’Alliance marocaine du bâtiment pour le climat (AMBC) travaille à faire converger les efforts, renforcer l’action commune et mutualiser les initiatives lancées par l’ensemble des acteurs. Tout en s’inscrivant dans une dynamique internationale visant à atteindre les objectifs climatiques fixés par l’accord de paris.
F. de M. — La construction durable est-elle un relais pour votre économie en général et vos entreprises en particulier ?
A. F. F. — La construction durable est l’une des réponses à notre problématique énergétique. C’est aussi une réelle opportunité de création d’emplois, de stimulation du marché du travail, de promotion de l’innovation et de renforcement de la compétitivité de l’entreprise nationale. Le développement de l’écoconstruction est également un vecteur essentiel qui permettra d’atténuer la consommation nationale de gaz butane (utilisé essentiellement dans les logements pour la production d’eau chaude sanitaire et pour la cuisson), et cela grâce à la généralisation des mesures d’efficacité énergétique et des solutions d’énergies renouvelables comme les chauffe-eau solaires et les panneaux photovoltaïques.
F. de M. — Quelle est la dimension internationale d’un tel sujet ? Existe-t-il vraiment un dialogue entre les pays ? Y participez- vous ?
A. F. F. — La question du bâtiment et des villes durables est au cœur des différents agendas internationaux : les objectifs de développement durable (ODD), le Nouvel agenda urbain, l’accord de Paris... C’est un sujet majeur aussi bien des négociations intergouvernementales sur le climat que de l’agenda 2030 des Nations unies pour le développement durable. Notre pays, qui a ratifié les différents accords internationaux en matière de développement durable et de lutte contre les changements climatiques, participe activement à la dynamique internationale visant à promouvoir la transition du secteur du bâtiment vers un modèle bas carbone, durable et résilient. Nous avons régulièrement des échanges internationaux afin de partager les connaissances, les expériences et les bonnes pratiques en matière d’intégration de la durabilité dans le secteur du bâtiment, et cela à travers les programmes de coopération auxquels nous avons souscrit. Par ailleurs, notre ministère a été parmi les premiers membres à rejoindre l’Alliance mondiale des bâtiments et de la construction (GABC) dès sa création lors de la COP21. Cette alliance est un partenariat volontaire entre les gouvernements nationaux et locaux, les organisations intergouvernementales, les entreprises, les associations et les réseaux qui regroupe des initiatives et des acteurs spécialisés dans le secteur du bâtiment et de la construction autour d’une vision commune : « un secteur du bâtiment à zéro émission, efficace et résilient ».
F. de M. — Quel est le modèle le plus approprié pour le développement d’un marché pérenne de construction durable dans votre pays ? Les pouvoirs publics ont-ils pour vocation de soutenir un modèle plutôt qu’un autre ?
A. F. F. — Le développement d’un marché pérenne d’écoconstruction ne peut se faire qu’à travers une approche intégrée. Celle-ci prend en considération les liens et les synergies entre les différents acteurs. Elle combine aussi un ensemble de mesures et de réformes, parmi lesquelles des améliorations institutionnelles et réglementaires afin de réduire les obstacles et les risques. De même, des politiques spécifiques viennent soutenir le marché tout en renforçant les mécanismes de contrôle et d’évaluation des mesures engagées. Sans oublier une stratégie d’aide à l’industrie pour le développement d’une offre locale de technologies et d’équipements à haute efficacité énergétique. L’objectif est de créer un écosystème durable d’efficacité énergétique dans le bâtiment. Les pouvoirs publics, eu égard à leur rôle majeur en matière de réglementation et d’encadrement, jouent un rôle de locomotive pour fédérer et accroître l’engagement de l’ensemble de la chaîne de valeur de la construction dans le processus de développement de l’écoconstruction. Ils sont appelés, de ce fait, à conjuguer leurs efforts pour atteindre le modèle d’économie escompté.
F. de M. — Pour lutter contre le réchauffement climatique via l’écoconstruction, comment voyez-vous la mobilisation des financements internationaux ? Un financement climatique global est-il envisageable ?
A. F. F. — La mobilisation des financements climatiques, couplée à une assistance technique appropriée et adaptée au contexte national, peut jouer un rôle crucial dans la création d’un environnement favorable au développement de l’écoconstruction. Cet environnement peut créer un effet de levier permettant de mobiliser les financements du secteur privé à l’échelle nationale. Je tiens à rappeler que, selon l’accord de Paris, les ressources financières fournies aux pays en développement devraient renforcer l’application de leurs politiques contre le réchauffement. Ces politiques renvoient aux stratégies, règlements, plans d’action et mesures de lutte contre les changements climatiques. Il s’agit aussi bien de limiter les émissions de CO2 que d’adapter les activités aux nouvelles exigences, de façon à contribuer à la mise en œuvre de l’accord, à savoir la limitation de l’augmentation de la température en dessous de 2 °C. Dans le même temps, il faut insister sur la nécessité d’accroître les investissements destinés à la lutte contre le réchauffement climatique. Cependant, et afin de garantir l’accès effectif à ces ressources financières, il y a lieu de simplifier les procédures d’approbation et de renforcer l’appui à la préparation des projets en faveur des pays en développement, particulièrement dans le secteur du bâtiment.