Les Grands de ce monde s'expriment dans

Orange et la transformation numérique de l'Afrique

Je n'ai jamais caché ma passion pour l'Afrique, qui est devenue une donnée forte de la vision internationale d'Orange. Au-delà de l'intérêt économique - réel, puisque le continent africain représente un relais de croissance décisif pour nous -, j'y trouve un intérêt personnel, humain, affectif même. Déjà présents dans plus de vingt pays africains, nous sommes en plein développement sur ce continent où nous avons défini une stratégie fondée sur une conviction - la nécessité d'accélérer la transformation numérique -, que nous avons intégrée dans une vision globale des enjeux du numérique. C'est en faisant entrer massivement le numérique dans le quotidien des populations que l'Afrique deviendra naturellement un continent de référence, et non pas en multipliant les plans prospectifs à dix ans, fondés sur des raisonnements ou des logiques datant d'avant l'ère numérique, ou inspirés par des modes de développement suivis ailleurs.

Aujourd'hui, la transformation numérique en Afrique est fulgurante, et ce n'est que le début. Orange a un rôle central à jouer dans cette révolution, qui sera particulièrement rapide et profonde. La barre symbolique du milliard de mobiles actifs a été franchie depuis 2016 et, en 2021, on comptera un milliard de smartphones, donc un milliard d'accès à Internet.

Depuis plusieurs années, je me suis forgé une conviction, qui constitue désormais le coeur de mon engagement : l'accès de tous au numérique est un droit fondamental. Le digital est devenu, en effet, un facteur essentiel d'inclusion, de croissance et de développement. Il est la clef qui permettra de renforcer les cohésions sociale et nationale, de réduire les fractures et de créer les conditions d'une croissance équilibrée, inclusive et respectueuse de l'environnement.

Or il existe une fracture numérique, qui est béante au niveau mondial : la moitié de la population du globe n'est pas connectée, comme je l'ai rappelé dans mon livre Human Web. En Afrique subsaharienne, ce sont près de 80 % des habitants qui n'ont pas accès à Internet. Et les 750 opérateurs télécoms que compte la planète ne peuvent pas, à eux seuls, lutter contre cette inégalité. J'en ai d'ailleurs fait l'un de mes leitmotivs à la présidence de la GSMA, organisation mondiale du secteur, que j'assume depuis quelques mois.

Ne pas lutter contre la fracture numérique serait une erreur dramatique : ce serait priver les pays les moins avancés d'une opportunité de décollage et d'amélioration des conditions de vie de leur population.

Nous voyons bien comment en Afrique le mobile banking, la santé connectée ou l'éducation via les MOOC (les cours en ligne ouverts à tous) sont des facteurs de progrès. Sur le terrain, dans la plupart des pays, les choses bougent, rendant l'optimisme pour l'Afrique non pas utile mais évident et nécessaire. Tous les progrès déjà réalisés donnent de la crédibilité à la confiance que nous avons en l'avenir. Dès lors, la poursuite du développement économique sur le continent africain doit s'appuyer sur le numérique, qui constitue un véritable catalyseur de croissance grâce à la connexion des territoires, à l'explosion des services et aux gains de productivité qui en résultent. Grâce au numérique, l'Afrique pourra développer des secteurs essentiels qui ont souffert historiquement d'un manque d'infrastructures physiques, soit par impossibilité technique, soit par insuffisance de financement. Le numérique permet de combler tous ces fossés qui semblaient jusqu'alors infranchissables.

Le mobile money, vecteur d'inclusion financière

L'exemple le plus avancé, et le plus flagrant, est celui du paiement mobile comme vecteur de l'inclusion financière des populations. Le mobile money a bouleversé l'économie de l'Afrique.

Jusqu'à l'arrivée du numérique, la population africaine n'avait pas accès aux moyens de paiement, parce qu'il n'existait aucun modèle économique pour la bancarisation massive du continent - la construction d'un réseau d'agences aurait nécessité un niveau d'investissement sans rapport avec un éventuel marché. Les services bancaires les plus simples (avoir un compte, effectuer un transfert d'argent, payer une facture) étaient réservés aux centres-villes, aux populations qui disposaient d'un niveau de revenus élevé. Au Cameroun, en 2016, le dépôt minimum pour ouvrir un compte dans une banque traditionnelle s'élevait à 700 dollars, alors que le salaire moyen était de 98 dollars par mois. L'Afrique semblait dès lors condamnée à voir durablement une large majorité de sa population maintenue dans une situation de non-bancarisation. Au-delà des services aux particuliers, ce handicap générait un ralentissement considérable de la croissance. C'est, en effet, la circulation monétaire qui permet de sécuriser les flux, d'accélérer les transactions et de favoriser le développement économique.

Avec le mobile money, tout a changé : tous ceux qui possèdent un téléphone mobile - ils sont un sur deux en Afrique subsaharienne contre un sur quatre à détenir un compte bancaire - ont désormais accès à une solution de paiement universelle, un porte-monnaie électronique disponible sur tous types de mobiles, smartphones ou non. Aujourd'hui, payer avec son téléphone est devenu un geste à peu près banal. La banque n'est plus ce bâtiment situé sur un large boulevard de la métropole, mais une simple plateforme accessible par son téléphone mobile, par laquelle on peut procéder à diverses opérations à toute heure et en tout lieu. Plus besoin d'effectuer de longs allers-retours, des déplacements coûteux, ni de perdre plusieurs heures dans des files d'attente. Finies aussi les démarches administratives kafkaïennes des banques traditionnelles. Ce n'est plus l'homme qui va à la banque, c'est le service financier qui est apporté à l'homme via son téléphone. Plus besoin de se rendre à un hypothétique guichet ; le service est accessible chez soi, n'importe où.

Le modèle du mobile money allie, d'une part, l'efficacité et la sécurité du numérique - c'est-à-dire la maîtrise de la technologie mobile et de plateformes techniques permettant de convertir des espèces en une monnaie électronique traçable, sécurisée et contrôlée - et, d'autre part, un réseau de distributeurs physiques, des petits kiosques qui incarnent la proximité. Conséquence de ce succès : même parmi les populations aux revenus plus élevés, dans la classe moyenne, chacun a son compte de mobile banking pour effectuer des transferts ou simplement pour payer avec la technologie sans contact.

En une dizaine d'années, l'argent mobile est devenu incontournable pour les habitants de régions isolées, particulièrement en Afrique subsaharienne. Le mobile money a mis fin à un système archaïque qui reposait sur l'argent liquide et l'informel. Les chiffres sont éloquents : Orange Money a atteint en Afrique et au Moyen-Orient 43 millions de clients, soit un tiers de ses clients mobile dans cette zone, totalise 220 000 points de vente et réalise près de 2 milliards de transactions.

Aujourd'hui, un point de maturité a été atteint, qui ouvre la voie à de nouvelles perspectives de développement et à de nouveaux services de plus en plus innovants.

Les opérateurs de télécommunications, qui tirent ici profit de la puissance de leurs infrastructures et de leur surface financière, peuvent être légitimement fiers d'une évolution qui se déroule au plus grand bénéfice des populations africaines. Le volume d'argent qui circule actuellement dans Orange Money est supérieur à celui des circuits des banques traditionnelles. En l'absence de réseau bancaire constitué, le numérique a permis d'apporter un ensemble de services unique, sans prendre la place de personne.

L'impact positif est manifeste à l'échelle d'un pays. En RDC, par exemple, le service Orange Money comptait en 2016 plus de 500 000 utilisateurs actifs.

Au niveau individuel, le succès du paiement mobile a contribué au développement de nombreux usages. Le mobile banking a apporté aux familles une plus grande stabilité financière ; il leur a permis de mieux contrôler leur budget et d'accéder à une plus grande indépendance en assumant notamment les frais de scolarité des enfants. Des études récentes montrent qu'au Kenya 2 % des ménages ont pu sortir de l'extrême pauvreté grâce à l'argent mobile (GSMA, 2016).

On a, en particulier, mesuré la contribution du mobile money à l'autonomie des femmes et au développement de l'entrepreneuriat féminin. Grâce à cette technologie, 185 000 femmes ont pu élargir leurs choix professionnels, passant de l'agriculture de subsistance au commerce de détail ou à d'autres activités, ce qui contribue à l'égalité entre les sexes.

La constitution même du réseau de distribution d'Orange Money s'est accompagnée d'une importante création d'emplois et de valeur : une bonne part du réseau physique repose sur un ensemble de stations-essence, de chaînes de supermarchés et de commerces indépendants - épiceries, coiffeurs, pharmacies - auxquels Orange Money procure un surcroît d'activité, sans oublier les kiosques Orange Money entièrement dédiés au service. En Guinée, par exemple, ce sont plus de 3 000 kiosques Orange Money qui ont été créés, et autant d'emplois.

La réussite du mobile money, innovation d'usage pleinement mature, massivement adoptée par la population et sidérante par sa rapidité de diffusion, est due à la conjonction de plusieurs facteurs : les investissements soutenus des acteurs privés ; la maîtrise de la technologie permettant la réussite opérationnelle ; la gestion numérique d'un écosystème croissant de paiements ; et un cadre réglementaire favorable. Le nombre encore élevé de personnes qui vivent à l'écart des réseaux de haut débit mobile laisse espérer une forte marge de progression, tandis que le développement des smartphones modifiera le comportement des consommateurs qui souhaiteront avoir accès à de nouveaux services numériques.

Or le mobile banking est porteur d'enjeux colossaux : en sécurisant les transactions, il soutient l'activité économique et l'emploi ; il donne l'élan d'une véritable révolution économique, sociale, sociétale. La nouvelle frontière est le développement des entreprises et la croissance économique. Ainsi, de même qu'il existe un lien direct entre le réseau de télécommunications et l'accès à l'énergie, de même l'accès aux services financiers constitue un moyen de développer les entreprises et d'ouvrir le continent à la modernité et au système mondial.

Déjà, le mobile money est interconnecté avec les fournisseurs d'eau, d'électricité et de bouquets de télévision. Les Africains peuvent payer leurs factures, régler leurs achats dans des magasins avec leur téléphone portable, sans avoir besoin de compte bancaire. Le mobile banking crée les conditions du passage d'une économie informelle (estimée à 70 % en Afrique, soit 55 % du PIB) à une économie formelle. Cette économie permet à ceux qui entreprennent, qui se lancent dans une activité, quel que soit le secteur, de se projeter dans l'avenir. Désormais, l'épargne, le crédit, l'assurance deviennent des services accessibles, grâce auxquels des centaines de millions d'habitants pourront concevoir et réaliser des projets au sein d'une entreprise. Enfin, l'accès de la population aux services financiers va déboucher sur une augmentation de l'épargne intérieure, ce qui permettra d'investir dans le tissu industriel et, à partir de là, d'acquérir une indépendance économique.

Avec le mobile money, c'est l'inclusion économique de tout un continent qui devient réalisable à brève échéance.

Les promesses de l'e-commerce

Autre effet économique considérable : le développement de nouvelles start-up et de nouveaux prestataires, ce qui, au moment où le commerce en ligne se développe dans les pays africains, jettera les bases d'une nouvelle vague d'innovation et de croissance. Le sujet de l'e-commerce va bien au-delà de l'accroissement du chiffre d'affaires d'un secteur d'activité : il conditionne l'accès des populations africaines à tout un ensemble de produits qui étaient jusque-là hors de portée, et l'accès des entreprises africaines au marché mondial. Un grand marché de fournitures s'ouvre soudain à l'Afrique, et tous les artisans africains ont désormais accès via Internet à une plateforme globale. Jumia, présent dans une vingtaine de pays sur le continent, constitue un exemple de réussite emblématique.

L'e-commerce est un moyen de pallier l'absence d'infrastructures commerciales de qualité. Une révolution commerciale, économique et sociologique est en marche, en particulier parce que le numérique va apporter ce qui manque aujourd'hui à l'Afrique : la confiance dans sa capacité à produire, à livrer et à exporter vers le reste du monde. Le numérique permet d'accéder à un niveau de financement suffisant pour éviter que le processus ne soit asymétrique, c'est-à-dire que les biens produits hors de l'Afrique n'inondent le continent.

Paradoxalement, le développement du mobile banking en Afrique va avoir un effet en Europe, selon le modèle de l'innovation inversée. Le continent africain est, en effet, devenu une terre d'innovation où les grandes entreprises financières créent une nouvelle façon de faire de la banque sans agence, au moyen d'une plateforme numérique. Dix ans avant l'Europe, l'Afrique a réinventé la banque, dans une version beaucoup plus souple, moins chère, adaptée aux contraintes de la population. Elle a démontré l'importance, la sécurité et la qualité de l'outil mobile. Les Africains ont déjà intégré l'idée que le téléphone mobile peut servir à effectuer des opérations financières, ce qui n'est pas encore le cas ailleurs.

L'Afrique aura été le premier continent à se saisir pleinement de la future innovation financière, à se familiariser avec la dématérialisation des paiements et à voir l'émergence de nouveaux acteurs des FinTech.

Plus globalement, le numérique est à même d'apporter une croissance plus inclusive que par le passé ; et cela, au bénéfice de pans entiers de la société et de l'économie. Il constitue la plus grande contribution à l'inclusion économique en Afrique. Grâce aux réseaux, aux plateformes et aux innovations de services, le digital permettra à une part croissante de la population d'accéder plus facilement et à moindre coût à des services essentiels, la santé et l'éducation notamment, et aux gouvernements de proposer des services répondant aux besoins des citoyens. En Afrique, Orange est en train de passer d'une activité d'opérateur de connectivité à une activité d'opérateur multiservices. D'ici vingt ans, les revenus tirés de ces nouveaux services seront équivalents, voire supérieurs à ceux de la connectivité.

L'Afrique sera demain le continent d'un développement équilibré, responsable, durable, qui la repositionnera au coeur des échanges du monde. Cette page nouvelle, c'est avant tout aux Africains qu'il revient de l'écrire, en élaborant leur propre modèle. Les opérateurs de télécommunications ont un rôle central à jouer, et ils sauront transformer leur métier en y incluant aussi une contribution efficace au développement, mais il appartient aux Africains de conduire cette transformation.