Depuis 2015, l’actualité a remis le royaume d’Arabie saoudite sur le devant de la scène. Il est difficile de parler de ce pays passionnant et particulièrement méconnu sans être cataloguée pour ou contre. Nous allons prendre ce risque...
On ne peut pas faire l’impasse sur les circonstances tragiques de la mort du journaliste Jamal Khashoggi qui ont réveillé le spectre d’une monarchie de droit divin. Sans entrer dans le détail de l’affaire dont nous ne minimisons pas l’impact et le choc qu’elle a suscités à juste titre, elle a eu comme multiples conséquences de faire oublier l’espoir qu’avait fait naître l’accession au trône du roi Salmane Ben Abdelaziz al Saoud et surtout le choix du nouveau prince héritier, Mohammed Ben Salmane al Saoud. Un homme jeune, ouvert et avec des idées nouvelles presque révolutionnaires dans cette partie du monde.
Pourtant, et au-delà de certaines réalités mais aussi des clichés, souvenons-nous que ce pays possède probablement le niveau de formation des femmes et de femmes diplômées parmi les plus élevés du monde arabe.
Malheureusement, l’actualité nous renvoie souvent une autre image à laquelle nous ne pouvons pas rester indifférentes en dépit de notre amitié pour ce pays si proche de la France, et qui connaît des mutations significatives.
Nous faisons partie de celles et de ceux qui déplorent certains manquements en matière de libertés individuelles et de droits humains. L’Arabie saoudite a aussi souvent été pointée du doigt pour la guerre au Yémen dont les justifications sont difficiles à comprendre même si l’argument de l’expansion de la république d’Iran est souvent évoqué.
Notre point de vue portera surtout sur les évolutions en cours et, notamment, les avancées en faveur des femmes. Nous nous sommes imposé d’observer le royaume à travers le prisme de la condition des femmes, même s’il est difficile de rester objectif s’agissant de pays aux cultures et aux traditions si différentes des nôtres. Nous allons essayer de donner notre avis sur cette situation avec un regard bienveillant mais pas nécessairement naïf, et dans le seul but de présenter les choses telles que nous les avons vues et perçues.
Pour que chacun se fasse sa propre opinion, revenons un peu en arrière et souvenons-nous que, dans l’Arabie d’hier, être femme n’a pas toujours été chose aisée. Les femmes vivaient sous un régime permanent d’interdictions : outre le phénomène de la kafala, il leur était interdit de détenir un passeport, de voyager sans un « adulte » et sans l’autorisation de leur mari, seul tuteur légal. Il leur était impossible d’accomplir des formalités administratives en lien avec leur statut personnel et de pratiquer une activité sportive. La femme n’avait pas le droit de créer une entreprise ou de participer à la vie politique ou associative. Le statut de personne « mineure » était poussé à un point tel qu’elle ne pouvait même pas posséder un permis de conduire. Nul doute que, depuis 2015, les choses ont commencé à évoluer sérieusement même si beaucoup reste à faire.
L’événement le plus marquant de cette révolution introduite depuis 2015 a été l’entrée fracassante, certes par décret, de trente femmes au Parlement saoudien (conseil de la Choura). Elles ont été autorisées à voter et à se présenter aux élections municipales, seul scrutin existant. Quatorze femmes ont ainsi été élues dans des conseils locaux.
Le 26 septembre 2017, un décret du roi Salmane Ben Abdelaziz al Saoud a autorisé les femmes à conduire une voiture à partir de juin 2018. Elles peuvent donc désormais le faire seules, sans tuteur légal, et également passer leur permis. En compagnie de plusieurs françaises établies en Arabie saoudite et de députées françaises, nous étions présentes le premier jour où les femmes ont pu prendre le volant, et nous avons été très agréablement surprises par le climat festif et bon enfant qui régnait à cette occasion.
Un des éléments les plus prosaïques ayant milité en faveur de la levée de l’interdiction de conduire est le suivant : la limitation des déplacements était un obstacle à l’intégration économique des femmes et au développement alors même qu’elles sont un vecteur de croissance significatif pour le royaume. Aujourd'hui, dans l’ordre de priorité, les femmes placent leurs études supérieures et leurs carrières avant le mariage et la famille, contrairement à ce qui était le cas il y a une vingtaine d’années. L’Arabie saoudite est un pays très jeune : en quatre-vingts ans, il a fait ce que d’autres pays ont fait en plusieurs centaines d’années.
Plus nombreuses dans les universités, plus diplômées que les jeunes hommes saoudiens, travailleuses, assidues, modernes, les femmes saoudiennes que nous avons rencontrées à plusieurs reprises nous ont profondément séduites avec des comportements francs, des discours de grande tolérance religieuse et humaine, d’ouverture sur le monde et de grande fierté nationale.
Pour les Saoudiens et Saoudiennes de moins de 30 ans, soit 70 % de la population, ces changements sont une bénédiction, et ils en sont tous reconnaissants envers le prince héritier.
On peut également noter pour la première fois la présence de femmes saoudiennes dans un stade à Riyad à l’occasion de la fête nationale du royaume, chose impensable il y a encore peu en raison de la stricte séparation des sexes qui prévalait dans l’espace public. Deux autres stades situés à Djeddah et à Dammam sont destinés à accueillir des familles.
Nous pouvons aussi nous féliciter que les salles de cinéma aient rouvert après plus de trente-cinq ans de fermeture et que les salles de concerts soient désormais accessibles et remplies. Un ministre saoudien en visite à Paris nous a confié que c’était comme si on leur avait confisqué leur pays et leur liberté pendant trente-cinq ans !
Autre évolution à saluer, qui répond notamment à la volonté de diversification de l’économie du royaume et d’ouverture au tourisme : l’élargissement des secteurs professionnels ouverts aux femmes.
Ainsi, dans le cadre du plan « Vision 2030 », il est prévu que la part des saoudiennes dans la population active augmente de 30 %, ce qui conduira à faire baisser leur taux de chômage qui est notoirement plus élevé que celui des hommes, alors que, selon des études, elles seraient plus productives. Créer une entreprise en ligne pour une femme est désormais possible, de même que travailler dans la restauration.
La féminisation des postes, notamment à responsabilité, est également en marche. À titre d’exemple, le poste si convoité d’ambassadeur à Washington est désormais confié à une femme. Les femmes peuvent également devenir officiers de police.
De la même façon, elles sont prioritaires pour l’obtention de postes dans l’administration et les banques depuis qu’elles peuvent divorcer, et cela pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs enfants. Nous avons pu le constater nous-mêmes, lors des nombreuses réunions avec la communauté française d’Arabie saoudite, mais aussi lors de visites officielles dans des administrations.
Pendant qu’en France se déroulait le Grenelle des violences conjugales, dans lequel plusieurs députés français s’impliquent activement, il est à noter que la première campagne de lutte contre les violences faites aux femmes a été financée par la fondation du roi Khalid. Elle avait pour but d’offrir une protection légale aux femmes et aux enfants victimes de violences physiques, mais aussi d’encourager les Saoudiens à rapporter les cas dont ils peuvent être témoins.
Une loi a été votée en 2013 et, désormais, un comportement violent expose son auteur à une peine allant d’un mois à un an de prison et à une amende de 50 000 riyals saoudiens (environ 10 000 euros). Un dispositif d’accompagnement est par ailleurs offert aux victimes.
Dans le même temps, l’influence de la sphère religieuse sur la société saoudienne tend à reculer. La police des mœurs se fait plus discrète et a été très affaiblie. Nombre de religieux fondamentalistes ont été écartés par le pouvoir pour le plus grand bonheur de la jeunesse, selon des témoignages recueillis lors de la visite d’un incubateur de start-up à Riyad.
Nous avons pu constater cette inflexion positive. Lors d’un déplacement professionnel de l’une d’entre nous en 2016, les femmes rencontrées étaient toutes voilées, mais déjà très investies dans l’entrepreneuriat, souvent avec leur mari, et dans de nombreux projets de la fondation MISK, dont la directrice générale n’était autre qu’une brillante diplômée de Harvard âgée de 30 ans. À peine deux ans plus tard, en 2018, certaines de nos interlocutrices n’étaient plus voilées et elles en étaient particulièrement heureuses, surtout à Djeddah où très peu de femmes portent un foulard.
Dans le cadre de l’ouverture aux étrangers et aux touristes, l’Arabie saoudite a enfin décidé de montrer ses merveilles au monde entier. Le prince héritier ambitionne de développer le tourisme dans la région d’Alula en créant un parc naturel, touristique, archéologique et culturel d’une superficie équivalente à celle de la Belgique. Pour cela, l’Arabie saoudite a confié le développement de ce site à la France. À Mada’in Saleh (le Petra saoudien), site classé au patrimoine mondial de l’Unesco situé à 23 kilomètres au nord d’Alula, un musée d’archéologie et de patrimoine populaire ouvrira ses portes.
Autre projet pharaonique, Neom — une mégapole écologique de la taille de la Bretagne — devrait commencer à sortir du sable en 2025 pour un coût de 425 milliards de dollars. Selon les autorités saoudiennes, cette ville du futur mettra aussi l’accent sur l’égalité entre les hommes et les femmes, sans discrimination d’origine ni de religion. Nous formons le vœu que des mosquées, des églises et des synagogues soient également érigées dans le cadre des infrastructures d’accueil de ce projet gigantesque qui devrait drainer des millions de visiteurs chaque année.
Les différents témoignages recueillis auprès de nos compatriotes vivant en Arabie saoudite sont unanimes pour évoquer un climat moins pesant, la réalité d’un vent réformateur qui souffle dans le bon sens et une nette amélioration de la vie quotidienne des femmes. Cependant, certains de nos concitoyens français installés depuis très longtemps ainsi que des Saoudiennes de plus de 50 ans ont confié que le changement était peut-être trop rapide pour eux... Le pays est jeune, avec néanmoins une culture et des traditions profondément ancrées.
Les droits humains, sociaux, professionnels et politiques qui sont en vigueur dans la plupart des pays du monde sont effectivement récents et partiels en Arabie saoudite. Mais nous ne pouvons qu’encourager la volonté affichée du royaume de rapprocher les femmes d’une égalité avec les hommes et de vouloir moderniser le pays « dans le cadre d’un islam modéré ouvert au monde et à toutes les religions », comme l’a récemment rappelé le prince Ben Salmane.
Naturellement, le chemin pour tendre à une égalité « optimale » entre les sexes selon des critères occidentaux sera long. Mais nous ne devons pas systématiquement regarder ce pays du Moyen-Orient avec nos yeux d’Occidentaux. Constatons plutôt les progrès réalisés. Par exemple, la fin du tutorat des hommes sur les femmes : passée quasiment inaperçue, cette mesure est pourtant une véritable révolution. La presse saoudienne avait annoncé l’abolition du tutorat et l’abaissement de l’âge de la majorité de 21 ans à 18 ans. Dès les premiers jours du mois d’août 2019, des milliers de femmes ont voyagé. Une petite crainte nous avait été rapportée : qu’elles ne rentrent pas... Mais, finalement, elles sont bel et bien revenues chez elles !
Lors de notre dernière visite, nous avions questionné à ce sujet les membres du conseil de la Choura (parlement saoudien).
Nous leur avions dit que la fin du tutorat était l’une des dernières et des plus fortes demandes des Saoudiennes (notamment des veuves sans grand frère ni père). Les députés saoudiens nous avaient répondu à l’époque que c’était en discussion : nous n’y avions pas cru et nous sommes obligées de reconnaître que nous avions tort !
Ainsi, même si tout n’est pas parfait, nous pouvons légitimement penser que nous sommes désormais plus en présence d’une révolution sociétale, économique et religieuse accélérée que de simples évolutions politiques ou cosmétiques destinées à donner une image plus positive de l’Arabie saoudite. et les femmes sont à la pointe de cette révolution.
Nous l’espérons, nous le pensons et nous le croyons : les femmes saoudiennes sont aussi l’avenir du royaume !