Lancé en grande pompe en 2016 par Mohammed Ben Salmane (MBS), l’homme fort de Riyad, le plan Vision 2030 a pour objectif essentiel d’assurer la transition du royaume vers un nouveau modèle de développement économique, plus libéral et plus ouvert sur le monde, créateur d’emplois et de richesses.
Il faut reconnaître que MBS a très tôt compris que le royaume saoudien se trouvait à la croisée des chemins et que son modèle économique, fortement dépendant des revenus pétroliers qui représentent près de 90 % de ses recettes budgétaires, n’aurait pas pu résister à une baisse durable des cours. Le creusement du déficit budgétaire, qui a atteint 100 milliards de dollars en 2015 (20 % du PIB), et l’érosion des réserves de change, passées de 750 milliards de dollars en 2014 à moins de 500 milliards en 2017, ont été un électrochoc.
C’est donc pour mettre fin à un État rentier, paralysé par les conservatismes et la bureaucratie, que MBS a lancé sa révolution économique, d’une part en prenant des mesures d’austérité inédites (réduction des subventions et création de nouvelles taxes) tout en veillant à instaurer un « citizen account program » pour compenser leur impact sur les populations les plus fragiles ; et, d’autre part, en proposant un plan ambitieux de diversification économique et de transformation sociale, Vision 2030, afin de préparer le pays à l ’après-pétrole.
Élaboré avec le soutien de grands cabinets de conseil américains (McKinsey, BCG), ce plan s’articule autour de plusieurs axes.
Il vise d’abord à favoriser l’émergence de nouveaux pôles de développement, le but étant de générer, à l’horizon 2030, des recettes budgétaires pratiquement équivalentes à celles actuellement tirées du pétrole (environ 250 milliards de dollars), de doubler le PB et de positionner ainsi l’économie de l’Arabie saoudite au même niveau que celle de la Corée du Sud. Le secteur privé est appelé à être le moteur de ce plan : sa part dans le PIB devrait passer de 40 % à 65 %.
Le royaume ambitionne de devenir un géant mondial dans le domaine des énergies renouvelables ainsi qu’une destination touristique attractive et de se classer parmi les 25 premières industries de défense. Ce dernier secteur devrait rapporter plus de 3,7 milliards de dollars au PIB saoudien d’ici à 2030. Aujourd’hui, les dépenses militaires représentent 10 % du PIB. L’objectif est qu’à terme 50 % des équipements soient produits localement grâce à des joint-ventures avec les principaux acteurs de l’industrie internationale de la défense, ce qui permettrait de créer plus de 40 000 emplois.
Le royaume entend également porter la part des produits manufacturés non pétroliers dans les exportations à 50 % du PIB (contre 16 %). Le développement du secteur manufacturier constitue un axe majeur de cette stratégie de diversification. L’Arabie envisage de s’imposer dans le secteur minier comme l’un des plus grands producteurs d’engrais et d’aluminium en investissant massivement dans des mines de phosphate et de bauxite (plus de 35 milliards de dollars déjà investis). À l’instar des autres monarchies du Golfe, le royaume voudrait profiter de sa situation stratégique au carrefour de l’Asie, de l’Afrique et de l’Europe pour devenir un leader régional dans le domaine des transports à travers des installations portuaires et aéroportuaires aux capacités logistiques d’envergure.
Sur le plan énergétique, le royaume doit réduire fortement sa consommation intérieure. L’Arabie est, en effet, l’un des plus gros consommateurs d’or noir à des fins domestiques dans le monde (près de 3 milliards de barils, soit + 6 % par an depuis 1940). Dans cette optique, la transition vers des énergies renouvelables et propres constitue une priorité. L’objectif énergétique saoudien à l’horizon 2030 repose sur la production de plus de 58,7 GW d’énergie renouvelable combinant principalement solaire et éolien. Pour relever ce défi — et aussi pour répondre à l’augmentation prévue de plus de 300 % de la consommation électrique d’ici à 2030 —, Riyad s’est engagé à rendre ce secteur plus attractif et plus ouvert aux investisseurs étrangers, avec notamment des privatisations et la fin des monopoles.
D’autres secteurs d’activité sont mobilisés dans le cadre de ce plan de transformation nationale, en particulier l’agriculture (qui doit contribuer à l’indépendance alimentaire du pays) et l’industrie pharmaceutique. Jusqu’à présent, la plupart des médicaments sont importés, ce qui pèse lourd dans la balance commerciale.
Afin de réussir sa diversification, l’Arabie saoudite a besoin d’importer du savoir-faire. Le pays mise sur les transferts de technologies et une meilleure formation des Saoudiens pour combler son retard. De nombreux contrats imposent dorénavant de nouvelles clauses, qui incluent des transferts de technologies ainsi qu’une obligation de création d’emplois locaux.
Ce plan repose également sur les privatisations d’entreprises publiques et particulièrement celle du géant pétrolier Saudi Aramco. Cette privatisation par introduction en Bourse doit constituer l’étape majeure de la Vision 2030. Les recettes de ces privatisations devraient alimenter le fonds souverain saoudien, Public Investment Fund (PIF), qui a vocation à devenir le plus grand fonds du monde avec des actifs qui devraient atteindre 2 000 milliards de dollars. Il devra constituer, à terme, la première source de revenus du pays. Ces privatisations ainsi que l’ouverture de la Bourse de Riyad « Tadawul » aux investisseurs étrangers illustrent clairement le virage libéral assumé par la nouvelle équipe.
Le PIF, présidé par MBS, joue un rôle majeur dans la réalisation du plan Vision 2030. Il doit servir à financer des investissements à la rentabilité sûre et pérenne afin d’assurer des revenus aux générations futures qui ne pourront plus compter sur la rente pétrolière. Sa philosophie est avant tout axée sur la recherche de la performance financière. Il doit aussi contribuer à certains projets structurants de la Vision 2030. Le PIF, qui joue un rôle d’agence de participations de l’État, détient des parts dans de nombreuses entreprises nationales et privées. Ses dirigeants espèrent récupérer une partie des fonds levés par les privatisations afin de booster son développement sur le modèle des fonds souverains émirati, singapourien ou norvégien. Il constitue, de facto, le véritable bras financier du royaume et sert souvent à piloter la diplomatie financière du pays.
Féru de nouvelles technologies, MBS entend faire de l’Arabie un acteur de premier plan dans ce domaine. Le PIF est encouragé à investir massivement dans ce secteur tant sur le marché local qu’à l’international, où il noue des partenariats stratégiques avec les grands acteurs de la nouvelle économie, notamment américains. Ce programme, qui prévoit 56 milliards de dollars d’investissements sur les trois prochaines années, devrait permettre de créer 11 000 emplois hautement qualifiés.
Le PIF avait acquis 5 % des actions d’Uber pour 3,5 milliards de dollars et s’est engagé à investir 45 milliards de dollars dans Vision Fund, le fonds technologique de 100 milliards de dollars géré par le japonais Softbank. Avec ce dernier, le PIF envisage de participer activement au développement des énergies renouvelables dans le cadre de projets de production d’énergie solaire (estimés à 200 milliards de dollars) permettant d’atteindre une capacité de 120 GW d’ici à 2032. Le PIF a aussi investi dans Tesla, le constructeur de voitures électriques, et son concurrent Lucid.
C’est le PIF qui porte les trois projets phares de Vision 2030 : 1) la cité futuriste Neom, hub technologique à 500 milliards de dollars ; 2) la cité des loisirs Qiddiya, un parc d’attractions d’exception au sud de la capitale ; et 3) le projet touristique Red Sea qui prévoit de transformer une cinquantaine d’îles au large de la côte ouest du pays en destination touristique haut de gamme. Autant de méga-projets qui illustrent le désir de puissance et de modernisation du royaume.
Le nombre de touristes, en particulier religieux, devrait doubler en cinq ans, passant de 18 à 45 millions par an. L’institut BMI Research estime que les recettes liées à ces visiteurs augmenteront de 6 % par an en moyenne entre 2019 et 2022. Tout récemment, le royaume a décidé d’émettre des visas de tourisme à l’entrée pour des ressortissants européens, américains et asiatiques.
En outre, le gouvernement voudrait accroître les dépenses des ménages en matière de culture et de divertissement de 2,9 % à 6,0 % d’ici à 2030, créant ainsi un nouveau marché qui devrait frôler à cette date les 8 milliards de dollars.
Les autorités saoudiennes sont conscientes que la réussite du plan dépendra en partie de la participation active des investisseurs internationaux. L’objectif est de favoriser les investissements domestiques et étrangers (augmenter les IDE à hauteur de 5,8 % du PIB) afin d’intégrer le top 10 « Index compétitivité globale ». pour y parvenir, le gouvernement s’est engagé à renforcer l’attractivité du royaume à travers des réformes structurelles en matière de transparence et d’attribution des marchés publics. Au-delà des privatisations, le gouvernement actuel souhaite améliorer le climat des affaires (une loi sur les marchés publics et sur les PPP est en préparation), alléger les barrières à l’investissement, en finir avec l’obligation du recours aux sponsors locaux pour pénétrer le marché local et proposer un droit de pleine propriété sur des secteurs définis pour les entrepreneurs. On peut ajouter à cette liste les projets de zones de libre-échange ou les facilités dans l’octroi des visas. parallèlement, un district financier
King Abdullah est en construction à Riyad, qui permettra de doter le royaume d’une place financière solide susceptible de stimuler le secteur privé et d’accueillir les acteurs internationaux, à l’instar d’Abu Dhabi, de Dubaï ou de Singapour.
Enfin, l’Arabie multiplie les initiatives culturelles ou sportives afin d’améliorer son image à l’étranger. Ce soft power saoudien se traduit par l’établissement de partenariats avec de grands groupes internationaux et de prestigieuses universités. L’organisation de conférences et d’événements culturels et sportifs, tels le rallye Paris-Dakar 2020 ou la Formula E s’inscrivent dans ce nouveau branding saoudien.
Vision 2030 : une révolution sociétale à l’adresse des jeunes et des femmes
La Vision 2030 est également porteuse d’une profonde transformation sociétale. MBS est convaincu que le conservatisme de la société saoudienne, son mode de gouvernance et sa bureaucratie constituent un frein majeur aux réformes. Fort du soutien indéfectible de son père qui bénéficie d’une forte légitimité auprès de la famille royale et de l’établissement religieux, le prince héritier cherche à redéfinir la place du clergé wahhabite, à limiter son emprise sur le terrain social et à faire émerger une nouvelle élite plus en phase avec sa vision réformatrice tout en réaffirmant l’attachement de l’Arabie aux valeurs de l’islam. Par ailleurs, la lutte contre la corruption, populaire dans le pays, menée au nom de l’assainissement de l’économie et de la transparence, lui a permis d’écarter ses rivaux et leurs réseaux d’affaires, ainsi que ses opposants.
Le volet social de la Vision 2030 s’adresse en priorité aux jeunes (70 % de la population a moins de 30 ans et 58 % moins de 25 ans) et aux femmes à qui il promet une nouvelle Arabie forte, prospère et moderne. Le franc-parler et le discours hyper-nationaliste de MBS, bâti autour de l’identité et de l’héritage saoudiens, séduisent cette frange de la population, les femmes entrevoyant l’espoir d’une émancipation sociale et juridique progressive. Après avoir obtenu le droit de conduire, elles sont autorisées à voyager sans l’autorisation d’un tuteur depuis cet été. De fait, le prince héritier s’est engagé à favoriser leur insertion dans le monde du travail (de 22 % à 30 % en 2030). De nombreuses femmes ont notamment été promues à de hautes responsabilités à l’instar de Reem Bint Bandar, ambassadeur à Washington, ou de Sarah Al Suhaimi, nommée à la tête de la Bourse de Riyad.
Mais, plus globalement, les réformes risquent de bousculer les fondements de la société saoudienne. En effet, cette même jeunesse aspire fortement (75 %) à des postes confortables de fonctionnaires alors qu’un des piliers de la Vision 2030 repose sur les privatisations et sur le rôle prépondérant du secteur privé et de l ’entrepreneuriat.
L’Arabie saoudite est-elle prête à renoncer à son généreux État-providence et à faire évoluer ses mentalités ? Même si la majorité des Saoudiens semble avoir pris la mesure de l’urgence économique, ils attendent avant tout du plan de modernisation des retombées concrètes, notamment en termes de créations d’emplois.
Conscient que le pays est engagé dans une course contre la montre et qu’il sera aussi jugé sur la réussite de son plan, MBS cherche à instaurer une culture de la performance et de l’efficacité dans une administration dominée par la bureaucratie. Partisan d’un État fort, il privilégie une gestion verticale du pouvoir, plus autoritaire, sans concession et sans compromis, indispensable selon lui pour mener à bien ses réformes. Il s’entoure de technocrates expérimentés, formés dans les universités américaines, et puise dans les nouvelles générations de la famille royale pour constituer son équipe, cherchant ainsi à gérer les frustrations et les divisions des clans au sein des Saoud. Il crée de nouvelles autorités publiques confiées à des proches et qui sont appelées à devenir la vitrine et le laboratoire de la Vision 2030 : Autorité pour les loisirs, Saudi Military Industries, Autorité des sports...
Les freins à la réforme
Ces changements ambitieux voulus par Mohammed Ben Salmane rencontrent toutefois un certain nombre de difficultés. Depuis qu’il a pris le pouvoir, MBS a imposé son agenda régional : à la tête d’une coalition arabe, il mène une guerre au Yémen ; il a ouvert avec ses alliés une crise avec le Qatar ; sans oublier les très fortes tensions avec l’Iran, dont l’expansionnisme est considéré par Riyad comme une menace existentielle.
En outre, sur le plan économique, la transformation de la société s’est heurtée à l’absence d’un cadre juridique facilitant la réforme ainsi qu’à l’obsolescence de la machine bureaucratique. Les partenariats public-privé restent malaisés à mettre en œuvre et, faute de disposer d’informations suffisantes sur les entreprises concernées, le programme de privatisation (dans l’eau, les transports, l’énergie, les télécommunications, l’éducation, la santé...) marque le pas. ce fut notamment le cas d’Aramco dont la privatisation, certes aujourd’hui relancée, avait été reportée pendant un temps, suscitant inquiétudes et interrogations chez les investisseurs. De plus, le secteur privé, habitué aux largesses de l’État-providence, souffre du ralentissement économique qui continue de peser sur ses résultats. conséquence : la productivité baisse (remplacement de la main-d’œuvre étrangère par des employés saoudiens moins productifs), le coût du travail explose (les salaires exigés par les Saoudiens sont, en moyenne, plus de deux fois supérieurs à ceux des expatriés des pays voisins) et les créations d’emplois sont moins nombreuses qu’attendu.
La Vision 2030 a également pâti de la baisse d’attractivité du royaume et du recul général de la confiance en l’économie saoudienne. En effet, les Investissements directs étrangers (IdE) ont plongé de 85 % entre 2016 et 2017 pour passer à 1,4 milliard de dollars, leur niveau le plus bas depuis 2003. Mais les investisseurs étrangers n’étaient pas les seuls à fuir le pays : l’Arabie a dû faire face à un flux sortant de capitaux émanant des résidents mêmes du royaume. Ces mouvements de capitaux auraient représenté 65 milliards en 2018. Tous ces événements étaient assez inédits dans l’histoire du pays.
Bien que ce plan soit considéré comme une opportunité majeure pour réformer ce géant régional, il suscite de nombreuses interrogations et réactions de scepticisme. Son ambition et ses objectifs sont jugés démesurés, surtout dans un contexte marqué par le poids latent des conservateurs locaux et l’instabilité régionale.
Les événements de l’année 2018 ont renforcé ces inquiétudes à la suite de l’affaire Khashoggi qui a mis l’Arabie saoudite en difficulté et terni son image. À cela s’ajoutent l’enlisement de la guerre au Yémen et la montée en puissance des tensions avec l’Iran. Tous ces facteurs ne rassurent guère les investisseurs internationaux dont le royaume a tant besoin pour réussir son plan.
2019 : le royaume à l’offensive depuis quelques mois, les autorités tentent de reprendre la main et ont lancé de nombreuses initiatives visant à insuffler une nouvelle dynamique.
Le premier élan est venu dès l’adoption du budget 2019, qui fixe un niveau record des dépenses de l’ordre de 295 milliards de dollars et s’adosse à une série de grands projets de nature à rassurer un secteur privé local en proie au doute.
La seconde impulsion est venue avec le rachat par Aramco de Sabic, leader mondial de la pétrochimie. une opération financière qui a permis de mobiliser plus de 70 milliards de dollars pour le PIF et d’assurer la promotion d’Aramco sur les marchés financiers à travers l’émission d’un emprunt obligataire de 12 milliards de dollars. Cet emprunt sur-souscrit (le carnet d’ordres a atteint 100 milliards) rappelle aux investisseurs la solidité des fondamentaux de la major pétrolière dans la perspective de sa privatisation.
Le royaume semble même avoir remédié à ses carences en acquérant les compétences nécessaires en matière de partenariats public-privé (PPP) et de conduite des grands projets. des retards ont été comblés, et deux nouveaux marchés de production d’énergie dans le cadre de PPP (un solaire et un éolien) ont été attribués.
Riyad paraît retrouver peu à peu la confiance des investisseurs étrangers. D’après la SAGIA, l’autorité en charge des IDE, ces derniers ont doublé en 2018, atteignant 3 milliards de dollars, et les créations d’entreprises par des partenaires étrangers ont bondi de 70 % au premier trimestre. Ces bons chiffres sont dus aux secteurs clés de la Vision 2030 : les industries du divertissement, l’éducation, les technologies de l’information. La Banque mondiale a récemment classé l’Arabie saoudite parmi les 20 pays du monde qui ont le plus progressé dans son rapport Doing Business 2020. Par ailleurs, le gouvernement a lancé de nombreuses initiatives destinées au logement et au marché local des capitaux. L’instauration de la TVA et la réduction progressive des subventions ont également eu un impact positif sur la restauration de l’équilibre des comptes publics. De plus, de nombreux aménagements ont été apportés au projet initial, trop influencé par les cabinets de conseil anglo-saxons et considéré comme insuffisamment en phase avec les réalités locales. Enfin, le projet de privatisation d’Aramco vient d’être relancé le 19 novembre et devrait se faire en plusieurs étapes. L’introduction en Bourse de 1,5 % des parts devrait rapporter entre 24 et 25,5 milliards de dollars, consolidant ainsi la place et la situation financières de Riyad.
Sur le plan international, MBS est conscient de la nécessité d’obtenir le soutien de l’ensemble des investisseurs étrangers. Pour cela, il a privilégié les partenariats avec l’Asie pour mener à bien son plan de diversification. Sa tournée en Inde et en Chine puis en Corée du Sud et au Japon en marge du dernier G20 d’Osaka illustre ce nouveau tropisme économique. Ces visites avaient aussi pour objectif de rassurer les clients du brut iranien dans l’hypothèse de la fin des exemptions accordées par le Trésor américain. Aramco a acheté des raffineries en Asie afin de sécuriser ses propres approvisionnements en brut saoudien et de contrôler ainsi l’amont et l’aval de la filière.
Les entreprises françaises et européennes ont été déstabilisées par la nouvelle alliance conclue entre l’Arabie saoudite et Donald Trump, habilement négociée par MBS. En échange d’un alignement de Washington sur l’agenda diplomatique saoudien, en particulier en ce qui concerne l’isolement de son grand rival iranien, Riyad a promis d’accorder près de 400 milliards de dollars de contrats aux entreprises américaines. Les entreprises européennes considèrent dès lors — et à tort — que leurs marges de manœuvre sont fortement réduites. d’autant qu’elles font face aux entreprises asiatiques, plus compétitives. Rappelons que la Chine est le premier partenaire commercial de l’Arabie saoudite (15 % du marché). Sur le terrain diplomatique, le royaume se prépare activement à assurer en 2020 la présidence du G20 sur laquelle il compte pour faire son grand retour sur la scène internationale et multiplie les initiatives pour protéger son leadership sur le monde musulman menacé tant par l’activisme de la turquie alliée au Qatar que par l’expansionnisme de Téhéran.
Riyad envisage même d’étendre son influence à travers le projet d’Organisation des États riverains de la mer Rouge, visant à une plus grande intégration économique avec la Corne de l’Afrique.
La Vision 2030 à l’épreuve de l’instabilité régionale et du risque d’escalade
Alors que, depuis le début de l’année, le pays s’est efforcé d’insuffler une nouvelle dynamique à son plan de transformation, multipliant annonces et initiatives, les attaques revendiquées par les rebelles houthis sur deux sites d’Aramco le 14 septembre dernier, réduisant de moitié la production totale saoudienne, ont révélé la vulnérabilité des installations stratégiques saoudiennes et mis au défi l’alliance saoudo-américaine. L’importante présence américaine dans le Golfe, pas plus que les équipements militaires très sophistiqués dont dispose l’Arabie (plus de 60 milliards de dollars dépensés chaque année) n’ont suffi à protéger les installations stratégiques du royaume. Les risques d’escalade et d’embrasement sont réels, lourds de menaces pour la stabilité de l’économie mondiale.
Les réticences américaines à s’engager dans ce conflit à un an de l’élection présidentielle devraient inciter Riyad à s’impliquer davantage dans le règlement des crises régionales. Mohammed Ben Salmane semble l’avoir compris, affirmant récemment son intention de privilégier le dialogue et appelant même à des négociations directes entre Washington et Téhéran. De nombreux pays, dont la France, se sont clairement engagés dans des médiations et œuvrent en faveur de la résolution des crises régionales et d’une désescalade entre les deux rivaux du Golfe. Cette dégradation de la situation est aussi un coup dur pour l’économie du royaume. Elle pourrait porter atteinte au moral des investisseurs dont le pays a tant besoin pour réussir son plan de diversification. D’ailleurs, l’agence de notation Fitch a dégradé la note souveraine du royaume à la suite des attaques des installations pétrolières. Les derniers événements révèlent clairement que la réussite de ce plan dépendra, aussi, de la capacité des autorités saoudiennes à s’engager dans la résolution des crises régionales.