Entretien avec Annegret Kramp-Karrenbauer, Présidente de l'Union chrétienne-démocrate (CDU) depuis décembre 2018. Ministre allemande de la Défense depuis juillet 2019, par Thomas Wieder, correspondant du Monde à Berlin.
Thomas Wieder - En novembre 2018, quelques jours après avoir annoncé votre candidature à la présidence de la CDU, vous avez déclaré : « J'ai prouvé que je savais gagner des élections, même dans des conditions très difficiles. » Depuis, vous avez été élue à la tête du parti, mais celui-ci a subi de lourdes pertes électorales. Aux européennes de mai 2019, il n'a recueilli que 28,9 % des voix (-6,4 points par rapport à 2014). Aux régionales de septembre 2019, il a de nouveau fortement reculé en Saxe (32,1 %, -7,3 %) et dans le Brandebourg (15,6 %, -7,4 %). N'avez-vous pas été présomptueuse ?
Annegret Kramp-Karrenbauer - Quand j'ai prononcé cette phrase, je faisais référence à ma propre expérience en tant que tête de liste aux élections régionales de 2017 dans la Sarre. Depuis que j'ai été élue à la présidence de la CDU, il est vrai que nous avons vécu des moments compliqués. Mais aux européennes du 26 mai nous sommes arrivés en première position ; et aux élections régionales en Saxe, le 1er septembre, nous l'avons également emporté grâce à notre très bon candidat, malgré certains pronostics qui donnaient l'AfD en pole position.
T. W. - Certes, mais chaque fois la CDU perd du terrain par rapport aux scrutins précédents. Assumez-vous une part de responsabilité dans ces résultats décevants ?
A. K.-K. - La CDU se trouve dans une situation difficile depuis les législatives de 2017. D'abord, parce que le résultat de ces élections n'a pas été très bon. Ensuite, parce que la formation d'une nouvelle coalition a pris plusieurs mois. Troisièmement, parce que cette période a été marquée par de fortes tensions aussi bien à l'intérieur de la CDU qu'entre la CDU et la CSU. Enfin, parce que nous n'avons pas su répondre à toute une série de questions majeures qui préoccupent de plus en plus nos concitoyens, notamment le changement climatique.
C'est dans ce contexte que j'ai accédé à la présidence de la CDU. Et c'est la raison pour laquelle, dès mon élection, j'ai engagé un travail collectif dont l'objectif est de doter le parti d'un nouveau programme d'ici à la fin de l'année 2020. Que certains se sentent déstabilisés, c'est normal. Qu'un tel processus prenne un peu de temps, c'est également normal. On ne refonde pas le programme d'un grand parti comme la CDU en six mois. Mais je suis absolument convaincue que nous sommes sur la bonne voie.
T. W. - Près d'un an après votre arrivée à la tête du parti, que pensez-vous avoir réussi ?
A. K.-K. - J'ai fait allusion tout à l'heure aux tensions qui existaient à l'intérieur de notre famille politique avant mon élection. Sur ce point, les choses ont vraiment évolué positivement depuis un an. Les positions entre la CDU et la CSU mais aussi à l'intérieur de la CDU se sont considérablement rapprochées, en particulier sur les questions migratoires et climatiques. Pourtant, croyez-moi, ce n'était pas gagné d'avance !
T. W. - Le Parti social-démocrate (SPD), avec lequel vous gouvernez au sein de la « grande coalition » dirigée par Angela Merkel, se trouve lui aussi dans une situation préoccupante. Comment expliquez-vous que les deux Volksparteien (« partis populaires ») qui ont dominé la vie politique de l'Allemagne fédérale depuis 1949 soient aujourd'hui en crise ?
A. K.-K. - La première chose à dire est que ce phénomène dépasse les seuls partis politiques et qu'il affecte l'ensemble des grandes organisations qui structurent la société, comme les Églises ou les syndicats. Nous vivons dans une société où les opinions sont de plus en plus diverses et les divisions de plus en plus marquées. C'est un immense défi pour des organisations comme les nôtres qui ont du mal à faire cohabiter sous un même toit des positions divergentes.
Malgré cela, je suis convaincue que le système des Volksparteien a un avenir. C'est la raison pour laquelle nous nous battons avec tant d'énergie aujourd'hui au sein de la CDU pour élaborer un nouveau programme dans lequel le plus grand nombre possible de nos concitoyens pourra se reconnaître.
T. W. - Aux européennes, 30 % des moins de 30 ans ont fait confiance aux Verts, alors qu'ils n'ont été que 13 % à voter pour la CDU. Comment pouvez-vous être si confiante en l'avenir de votre parti alors que les jeunes générations s'en détournent ?
A. K.-K. - L'enjeu pour un parti comme le nôtre est de parler à toutes les générations, et pas à l'une plutôt qu'à l'autre : c'est cela, un Volkspartei. Il est exact qu'aux européennes les plus jeunes électeurs ont voté massivement pour Les Verts. Ce choix s'explique par le fait que la question de la protection du climat, qui intéresse grandement les jeunes, a dominé la campagne. Et il est exact aussi que la CDU n'a pas été capable d'apporter des réponses suffisamment précises dans ce domaine. C'est pour moi la grande leçon de ce scrutin. En tant que Volkspartei, nous devons toujours être au coeur du débat. Nous ne pouvons pas nous permettre de donner l'impression que nous n'avons pas de propositions concrètes sur des sujets qui concernent des pans entiers de la population.
T. W. - Le 1er septembre 2019, dans le Brandebourg et en Saxe, c'est-à-dire dans deux Länder qui se trouvaient jadis à l'est du rideau de fer, le parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD) a obtenu environ 25 % des voix. Trente ans après la chute du mur de Berlin, n'est-ce pas le plus grand échec de la réunification allemande ?
A. K.-K. - Non, je ne crois pas. La montée d'un parti comme l'AfD n'est pas un phénomène propre à l'ex-RDA. La France, par exemple, est confrontée de longue date à un défi analogue avec le Front national, devenu aujourd'hui Rassemblement national.
On remarque que les partis de ce type prospèrent avant tout dans les régions économiquement les plus fragiles, là où le sentiment de relégation et d'isolement est important, où la démographie décline et où …
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