Politique Internationale— Lorsque que vous avez lancé en 2007 JeChange.fr, l’un des premiers comparateurs d’offres français sur Internet, vous faisiez figure de pionnier. Aujourd’hui, le marché s’est largement développé, avec une dizaine d’opérateurs sur la place. Pourquoi cette nécessité, de plus en plus prégnante chez les consommateurs, de comparer les prix ? Le phénomène est-il complètement entré dans les mœurs ?
Gaël Duval — Internet a introduit une véritable révolution. En peu de temps, moins d’une dizaine d’années, cette technologie a apporté au consommateur un outil fiable lui permettant de jauger efficacement une large gamme de produits et de services. Bien sûr, cette démarche existait précédemment, bien avant l’essor du numérique. Chacun se souvient, chez certains distributeurs comme la Fnac, de ces fiches comparatives qui apportaient des éléments d’information objectifs. La démarche était non seulement plus empirique, mais aussi très loin d’être exhaustive. Au cours des dernières années, Internet a permis une analyse de fond d’un segment d’activité : concrètement, grâce aux comparateurs, le consommateur dispose d’une vision globale qui lui permet de sélectionner une offre en toute connaissance de cause. Une personne qui veut souscrire une assurance — assurance vie, voiture, habitation... — va réussir, en quelques clics, à se faire une idée très précise du marché.
P. I. — À se demander comment on a fait pour vivre aussi longtemps sans Internet...
G. D. — Posez la question aux jeunes générations : une société sans Internet évoque pour eux une époque antédiluvienne. Pour autant, il faut se projeter dans l’avenir car Internet va continuer d’évoluer. Tout comme l’utilisation des comparateurs : au début, seule l’audience comptait ; désormais, c’est l’usage et la transaction. À l’époque, nous étions surtout dans une logique d’information pour répondre aux besoins pédagogiques du consommateur. Aujourd’hui, pour changer de fournisseur d’énergie ou pour souscrire un produit d’assurance, les gens passent directement par nous. Une lourde responsabilité nous incombe car il s’agit d’éléments clés du quotidien des ménages. Cela va même beaucoup plus loin : non seulement nous permettons au consommateur de sélectionner un partenaire commercial mais nous l’épaulons, nous favorisons sa compréhension d’un secteur, nous lui simplifions les procédures d’accès, nous l’orientons vers des services supplémentaires...
P. I. — Au passage, qu’est-ce qui vous a conduit à créer JeChange ?
G. D. — Les choses sont assez simples et, comme souvent, elles renvoient à une expérience personnelle. En 2007, j’ai été amené à déménager et je me suis rendu compte à quel point c’était pénible et combien il était important de pouvoir être accompagné. J’ai très vite imaginé un assistant personnel capable de comparer et de souscrire l’ensemble des contrats domestiques. À travers le lancement de JeChange, j’ai voulu donner une dimension concrète à cette notion d’assistant personnel. Aujourd’hui, nous sommes une centaine de collaborateurs et nous réalisons plus de 15 millions d’euros de chiffre d’affaires.
P. I. — Énergie, télécoms, banques, assurances... Tous les secteurs sont-ils désormais couverts par les comparateurs d’offres ou reste-t-il encore des domaines à explorer ?
G. D. — Le socle des comparateurs d’offres, c’est l’ensemble des dépenses contraintes d’un ménage. Dans ce cadre, nos équipes sont multi-compétences : avec l’énergie, les télécoms et l’assurance, nous couvrons déjà un large champ de ce budget. Mais ce n’est pas fini : nous réfléchissons actuellement à bâtir un service autour de l’entertainment. Toutefois, ce secteur est tellement foisonnant, avec des offres des chaînes de télévision qui sont loin d’être finalisées, qu’il est encore difficile d’élaborer un comparateur. Quoi qu’il en soit, ce domaine du divertissement au sens large est voué lui aussi à gagner le périmètre des budgets contraints. On ne dira jamais assez combien le consommateur a besoin de rationalité dans l’agencement de ses dépenses. C’est encore plus vrai dans l ’assurance où l ’on n’a pas toujours conscience des champs couverts dans un contrat. Par exemple, quand on est titulaire d’une carte bleue, on a accès à certaines prestations qui ne nécessitent pas de prendre une assurance. Or beaucoup de gens l’ignorent : il nous appartient à nous, comparateurs, d’empêcher les consommateurs de payer pour rien.
P. I. — Précédemment, vous insistiez sur cette notion d’un Internet toujours plus performant. En matière d’innovation technologique, les services des comparateurs recèlent-ils encore une grande marge de progression ?
G. D. — Il y a toujours des choses à faire pour améliorer l’ergonomie d’un comparateur. Souvenons-nous des débuts de cette activité : elle était surtout articulée autour des prix des billets d’avion et chacun s’extasiait alors de voir défiler une litanie de tarifs. Sur le fond, un tel service perdure mais, dans la forme, il est largement optimisé. Chez JeChange, nous avons été les premiers à proposer au consommateur de scanner sa facture d’énergie — notre premier secteur couvert — et de nous l’envoyer de manière à analyser au plus près son mode de consommation. Grâce à ce process, nous sommes en mesure de sélectionner le fournisseur dont l’offre commerciale répond le mieux possible au profil de l’utilisateur. Il n’est pas question de s’arrêter en si bon chemin : tous secteurs confondus, avec le développement de la concurrence, les opérateurs vont redoubler d’offres ciblées et rendre complexes les marchés sur lesquels ils sont positionnés. Voilà pourquoi un service comme JeChange a clairement un rôle à jouer : nous offrons un réel éclairage et une compréhension transparente et agile afin de permettre aux ménages de faire des économies, de gagner en pouvoir d’achat et de consommer juste grâce à des contrats énergie, télécoms, assurance ou banque qui répondent à leurs besoins.
P. I. — Pour les entreprises, les compagnies d’assurance comme les fournisseurs d’énergie, les comparateurs sont-ils considérés comme des empêcheurs de tourner en rond ?
G. D. — Les comparateurs d’offres ne sont certainement pas des obstacles. Les entreprises savent bien que, pour leur développement commercial, il est indispensable d’être recensées. Même si les chiffres sont variables d’un secteur à l’autre, on estime qu’environ 20 % de la clientèle concrétise une démarche d’achat après avoir consulté un comparateur. Certes, au début, quelques très gros acteurs ont cru pouvoir se passer de cet outil. Mais ils ont changé d’avis, confrontés à la fois à l’importance du trafic sur Internet et à l’efficacité du message commercial — au sens où les entreprises ont le loisir d’exposer leurs offres à grande échelle. On peut presque dire aujourd’hui qu’un assureur, un fournisseur d’énergie ou un opérateur télécoms qui ne serait pas présent sur un comparateur serait considéré comme suspect, c’est-à-dire peu digne d’être sélectionné. Grâce à des acteurs comme JeChange, les fournisseurs ont compris que pour être lisibles sur Internet, un gros effort de simplification est requis. Une offre présentée sur un comparateur ne se limite pas à une ribambelle de chiffres aguichants : la proposition doit être calibrée, précise et surtout transparente. Ces caractéristiques sont autant de balises qui étayent efficacement la démarche marketing et commerciale d’une entreprise.
P. I. — S’il fallait résumer votre métier...
G. D. — Pour paraphraser Claude Lelouch dans L’aventure, c’est l’aventure, je dirais qu’il faut apporter « de la clarté à la confusion ». Eh bien, les comparateurs d’offres sur Internet s’inscrivent dans ce sillage : nous devons démêler un écheveau souvent complexe d’offres qui ne cessent de se multiplier. L’accès aux produits et aux services des opérateurs manque souvent de simplicité. A contrario, les vendeurs de ces produits et de ces services cherchent souvent à ajouter de la confusion à la clarté. D’où les multiples précisions dont sont régulièrement assorties les propositions commerciales : c’est un moyen pour les fournisseurs de se donner de l’importance, de noyer leurs interlocuteurs sous les détails ou de les empêcher de poser les bonnes questions. Grâce aux comparateurs, on en revient à l’essentiel. Pour nous, les professionnels, c’est d’autant plus important que nos outils ne sont pas un « one shot ». L’expérience montre que les gens qui ont pris l’habitude de se rendre sur un comparateur n’envisagent plus le moindre achat un peu engageant sans utiliser ce service. Et qu’une personne qui fait appel à un comparateur souscrit en moyenne deux contrats par ce biais.
P. I. — Mettons-nous justement à la place de ce consommateur : quelles sont ses attentes au moment de souscrire un contrat, quel que soit le secteur ?
G. D. — Il y a la règle des 3 D du moment de vie : D comme déménagement, D comme discount, D comme dispute. Cette règle résume assez bien la position du consommateur en quête d’un nouveau contrat, qu’il s’agisse de changer de fournisseur à l’occasion d’un changement de domicile, d’identifier le meilleur service au meilleur prix ou de se tourner vers une autre solution à la suite d’un contentieux. Dans ces trois cas de figure, un assistant comme JeChange se trouve être l’interlocuteur idéal pour accompagner chacun dans son parcours. D’autant plus qu’aujourd’hui nous avons clairement migré : nous ne sommes plus un simple comparateur, mais un assistant personnel du quotidien. En plus de comparer les offres et de trouver le fournisseur le plus économique qui répondra le mieux aux besoins de nos utilisateurs, nous gérons aussi l’ensemble des démarches administratives : de la résiliation des anciens contrats à la souscription des nouveaux. Là encore, notre objectif est de simplifier au maximum la vie des gens tout en leur faisant gagner du temps et de l’argent.
P. I. — Les consommateurs se plaignent régulièrement de contrats trop compliqués, avec ces astérisques que l’on ne prend pas la peine de lire et qui pourtant pèsent lourd dans le règlement d’un sinistre. En tant que comparateur, mesurez-vous cette insatisfaction ?
G. D. — Bien sûr, elle existe. Bien sûr, il y a des contrats d’assurance qu’il vaut mieux relire à deux fois avant d’y souscrire : ces astérisques sont tout sauf anodins. Mais pas de généralités pour autant : les assureurs ont intérêt à être « réglos » pour réussir à fidéliser leur clientèle. On en revient au pouvoir d’Internet : grâce à l’extraordinaire circulation des informations, les mauvaises pratiques ne restent pas inconnues très longtemps. Notre rôle est donc de prendre en considération les attentes des consommateurs pour les orienter vers le meilleur contrat et d’en mettre en lumière les points importants, conformément aux exigences de la DDA (Directive européenne sur la distribution d’assurance). Nos équipes envoient par mail le devis, assorti du contrat avec la notice d’information : les assureurs, tout comme les comparateurs, doivent vérifier que le consommateur a bien en main l’ensemble des informations relatives à son contrat d’assurance, quel qu’il soit (habitation, voiture...). Ainsi, le contrat validé traduit un réel consentement totalement éclairé et transparent sur les offres.
P. I. — Justement, quand un consommateur étudie un contrat d’assurance, que lui conseillez-vous de regarder en priorité ?
G. D. — Dans cette logique, et après avoir échangé avec lui pour comprendre ses besoins, nous examinons les risques auxquels il est exposé de manière qu’il puisse disposer d’une assurance à la hauteur de ses attentes et au prix le plus juste. Assurance habitation, auto, santé : qu’importe le secteur, il faut veiller à ce que les garanties soient compatibles avec le mode de vie du consommateur. Bien souvent, d’ailleurs, les écarts de garanties d’une compagnie à une autre sont liés à l’inclusion ou non de garanties optionnelles, et à la franchise fixée au contrat (plus elle sera élevée, plus elle impactera la cotisation à la baisse). Tout est possible pour un assureur ; encore faut-il que cela corresponde aux attentes et aux habitudes de vie des utilisateurs. C’est aussi du bon sens : une personne qui porte des lunettes, par exemple, n’aura pas forcément besoin des mêmes garanties qu’une personne qui a une vue impeccable.
P. I. — Les comparateurs sont-ils à l’origine d’une baisse des prix ?
G. D. — Ce ne sont pas les comparateurs qui sont à l’origine d’une baisse des prix, c’est le développement de la concurrence qui lui- même favorise l’émergence des comparateurs. En l’occurrence, dans la quasi-totalité des secteurs d’activité, la libéralisation du marché entraîne un recul des tarifs. C’est vrai dans les télécoms, l’assurance ou la banque. Il n’y a que dans l’énergie où l’inflation du nombre de fournisseurs ne bénéficie pas au consommateur. Nous sommes au contraire dans une logique d’augmentation des prix de l’énergie, liée en particulier à un certain nombre de facteurs macroéconomiques. Pour autant, la situation a évolué : voilà encore quelques années, il n’y avait qu’un seul opérateur, EDF, sur le marché de l’électricité. Dans l’assurance, c’est la même chose. C’est l’évolution du marché et la multiplication des garanties possibles qui fait qu’un éclairage externe et transparent est nécessaire pour comprendre de quoi chaque contrat est fait.
P. I. — Votre activité se réduit-elle à un territoire national donné ou les comparateurs peuvent-ils se développer indifféremment dans plusieurs pays ?
G. D. — Les réflexes de consommation dont je viens de vous parler ne sont pas propres à la France. À partir de là, les comparateurs sont tentés de s’exporter. Chez JeChange, en dehors de l’Hexagone, nous avons des ambitions pour d’autres pays européens, mais nous devons tenir compte des habitudes propres à chaque marché. En Grande-Bretagne en particulier, les gens ont pris le pli de faire appel à des courtiers. Cela limite d’autant la portée des comparateurs.
P. I. — Les comparateurs d’offres sur Internet n’ont pas toujours bonne presse. On vous reproche d’être juge et partie : par exemple, de mettre telle ou telle proposition commerciale en avant, étant entendu que c’est la compagnie d’assurance ou le fournisseur d’énergie qui vous rémunère quand une personne passe par vous pour souscrire un contrat. Ces reproches sont-ils fondés ?
G. D. — Nous sommes transparents sur notre modèle économique et sur qui nous rémunère. Les choses sont bien établies : nous touchons une somme forfaitaire pour chaque contrat souscrit. Nous n’avons pas intérêt à privilégier un opérateur plutôt qu’un autre. Non seulement les rémunérations sont quasi identiques, mais surtout le consommateur n’est pas dupe. Nous sommes 100 % orientés clients, ce sont eux qui nous font vivre... Si nous trichons, c’est toute la crédibilité du modèle qui s’effondre. Par ailleurs, je peux vous assurer que les entreprises sont très sourcilleuses sur la manière dont l’ensemble des offres sont présentées, et qu’elles veillent à une présentation parfaitement rigoureuse qui fait l’objet de contrôles. Enfin et surtout, croire que les comparateurs sont des outils biaisés revient à faire peu de cas du bon sens du consommateur et de sa capacité à identifier les bonnes offres en adéquation avec ses besoins.