Zakhar Prilépine, né en 1975 dans le petit village d’Ilinka, à quelque 250 kilomètres au sud-est de Moscou, est probablement l’écrivain russe le plus célèbre de sa génération. Ses romans, traduits dans de nombreuses langues, racontent, avec un talent reconnu — il est lauréat de plusieurs prix littéraires — la Russie post-soviétique, la destruction de l’ancien monde, les errements de la jeunesse de l’époque de la transition, la hantise du passé soviétique et des camps, les traumatismes des guerres tchétchènes. La Tchétchénie, il l ’a connue non comme simple observateur mais en tant que soldat. En 1996, étudiant à l ’école de police et membre des forces spéciales de l’OMON (la police anti-émeute), il est envoyé mater la révolte des séparatistes tchétchènes. Il passera trois ans dans le Caucase et tirera de cette expérience un premier roman très sombre qui paraîtra en 2004, Pathologies.
Du retour du front, il devient journaliste, puis rédacteur en chef du journal Delo, à Nijni Novgorod, mais aussi membre actif du Parti national-bolchévique créé et dirigé par un autre écrivain, un personnage haut en couleur, Édouard Limonov (1). Ce mouvement, qui attire des milliers des jeunes à travers tout le pays, allie les valeurs sociales-conservatrices et celles de la gauche radicale, un patriotisme assumé et un anticapitalisme extrême. Beaucoup de jeunes « natsbols » (le surnom donné aux membres du parti) sont des opposants virulents au régime de Vladimir Poutine qui organisent des protestations de grande ampleur et se retrouvent régulièrement condamnés à des peines de prison, parfois très lourdes. Reconnu comme « organisation extrémiste », le parti est interdit en 2007.
En 2010 émerge « L’Autre Russie », un parti qui vise à rassembler la très hétéroclite opposition russe. Dans ses rangs, les « natsbols », dont Prilépine, côtoient des libéraux comme l’ancien champion du monde d’échecs Garry Kasparov, l’ex- premier ministre (2000-2004) Mikhaïl Kassianov ou encore un jeune avocat spécialisé dans la lutte contre la corruption qui commence à faire parler de lui, Alexeï Navalny. Cette surprenante alliance veut mettre de côté ses différends pour venir à bout du régime poutinien. Ensemble, ces opposants issus d’horizons les plus divers prendront part aux grandes manifestations anti- gouvernementales de l’hiver 2011-2012, suscitées par la fameuse passation de pouvoir entre Dmitri Medvedev et Vladimir Poutine, jugée particulièrement cynique.
« L’Autre Russie » ne survivra pas à la crise ukrainienne qui éclate à l’hiver 2013-2014. Ce moment crucial de l’histoire récente a révélé et aggravé les profonds conflits qui traversent la Russie post-soviétique et divisent son intelligentsia et la société tout entière. D’opposant radical à Poutine, Zakhar Prilépine se mue en défenseur de sa politique, du moins de sa politique étrangère. Contrairement aux libéraux, il salue le rattachement de la Crimée à la Russie et manifeste un soutien total aux séparatistes pro-russes du Donbass qui ont pris le contrôle des territoires situés autour des villes de Donetsk et de Lougansk et qui y ont instauré deux « républiques populaires indépendantes » qu’aucun État, pas même …
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