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Maroc : l’heure de la succession ?

À l’été 2019, le Maroc a fêté les vingt ans de règne de Mohammed Vi, monté sur le trône le 30 juillet 1999. Le monarque alaouite, érigé à ses débuts en « roi des pauvres » et en souverain fragile — les Marocains avaient peur pour leur roi, disait-on (1) —, est devenu, à 56 ans, un homme d’âge mûr. Il est le très riche souverain — la huitième fortune royale mondiale (2) — d’un royaume auquel il a fait traverser nombre de périls inattendus : une série d’attentats meurtriers (2001, 2003, 2004, 2007, 2011, 2015 (3)...) ; la grande crise économique et financière mondiale de 2008, qui s’est traduite par des retraits de capitaux arabes puis espagnols ; les « printemps arabes » et le mouvement du 20 février 2011 (4) ; le djihad syrien et l’embrasement du djihadisme international ; la quasi-rupture des relations avec la France en 2014-2015 ; la révolte du Rif et de régions périphériques en 2017 ; puis le Hirak algérien de 2019 (5), qui pétrifie tous les acteurs régionaux dans l’attente de son issue.

Un royaume sur la brèche

Le Maroc est un royaume toujours sur la brèche. Ses dirigeants doivent s’assurer chaque matin que les 36 millions de Marocains seront nourris, une bonne partie des produits alimentaires de base étant importée. Pour financer les dépenses quotidiennes (nourriture, énergie, importations industrielles et traitements des fonctionnaires), il peut compter sur des ressources très diversifiées mais soumises aux aléas de la conjoncture internationale : phosphates, transferts des émigrés, contrebande, exportations agricoles, tourisme, industrie, etc. Si le Maroc était une entreprise, on parlerait de mouvements financiers et matériels à flux tendus, ce qui oblige ses dirigeants à une réactivité permanente. Longtemps, l’assurance vie du royaume se situait à Paris, véritable stabilisateur politique et financier du Maroc, dont la dernière étape a été la longue présidence de Jacques Chirac. Mais avec ses 2 400 milliards de dettes (soit vingt fois le PiB nominal du Maroc), la France a perdu cette fonction.

Quelques États pétroliers jouent aujourd’hui ce rôle de stabilisateur et de prêteur en dernier ressort avec, en arbitres suprêmes, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Mais autant la France, depuis l’indépendance du Maroc en 1956, n’était pas un bailleur ni un prêteur exigeant — au prétexte que rien ne doit nuire à la stabilité de « notre meilleur allié arabe » —, autant le compagnonnage des monarchies du Golfe se révèle périlleux.

Lorsque Hassan II, le défunt père de Mohammed VI, a pactisé avec ces monarchies dans les années 1980, notamment la wahhabite Arabie de la famille Saoud, il leur a octroyé — en échange de leurs investissements, prêts et dons divers — un libre droit de prédication et de diffusion de leur propagande religieuse. Tablant sur l’illettrisme et la pratique tolérante de l’islam de ses bons « berbères », comme disaient les coloniaux, Hassan II n’a jamais imaginé que la réislamisation opérée par les idéologues salafistes parviendrait à contaminer son peuple avec une telle …