Les Grands de ce monde s'expriment dans

L’Arena, entre mesure et démesure

Entretien avec Christian de Portzamparc, Architecte et urbaniste, par Patrice de Méritens, Écrivain.

Dossiers spéciaux : n°168 : Les Hauts-de-Seine, un département-monde

Politique InternationaleEst-il exact que vous n’ayez pas eu envie de concourir pour le projet de Paris La Défense Arena ?

Christian de Portzamparc — Oui, j’avoue que l’idée même me fatiguait à l’avance. C’est mon équipe qui m’a convaincu « au moins de rencontrer » Jacky Lorenzetti, le président du Racing 92, qui voulait construire un stade de rugby au cœur de l’immense quartier en gestation qu’est La Défense. Lorenzetti est une personnalité hors normes, charismatique, homme d’affaires fondateur de Foncia, entreprise d’administration de biens et de transactions immobilières qu’il a revendue depuis, propriétaire de grands crus classés dans le Bordelais. Il n’y avait que lui pour concevoir un tel projet, et l’on comprend que les autorités des Hauts-de-Seine aient été vivement intéressées par l’originalité de cette proposition qu’il comptait financer lui-même. « Il faut que tu le connaisses, va le voir ! », me disait-on. Et de fait, notre entrevue a été des plus sympathiques, avec une conversation variée. Entre autres, comme nous sommes tous les deux amateurs de voile, nous avons évoqué l’exploit du navigateur Michel Desjoyeaux qui, lors du Vendée Globe 2008, avait dû retourner aux Sables-d’Olonne pour réparer une avarie électrique et de ballast avant de repartir avec quarante heures de retard, en s’exclamant : « Je gagnerai quand même ! » Et tel fut le cas... Si bien qu’en quittant Lorenzetti, je me suis dit : « Bon... bah, je vais le faire, ce concours ! » La première sélection a laissé en concurrence trois agences d’architecture, chacune attelée à un grand promoteur : Bouygues, etc. Nous avions quant à nous été mariés avec Vinci. Le choix de Lorenzetti et de son jury s’est finalement fixé sur nous, sur des critères à la fois fonctionnels et esthétiques.

P. I. Située entre quatre rues sur le grand axe de La Défense et de Nanterre, immédiatement derrière la Grande Arche, l’Arena est un objet architectural, pourrait-on dire, composite...

C. de P. — Conçu d’abord pour le sport, et tout particulièrement le rugby puisque Jacky Lorenzetti venait de prendre la direction du Racing 92, le bâtiment s’est en effet métamorphosé au fil des études en salle modulable et polyvalente inaugurée à l’automne 2017 par les Rolling Stones qui y ont donné une série de concerts. « L’Arena, c’est Bercy super-bodybuildé », ont aussitôt commenté les rockers. Trente-sept mille places contre seulement dix-sept mille à Bercy. Le stade de France, à ciel ouvert, en compte cinquante mille, quand l’Arena en version sportive couverte arrive à quarante mille. L’endroit est immense, deuxième salle fermée de sport au monde, et première pour le spectacle. Autant dire qu’elle n’a pas d’équivalent. La Défense n’est donc plus seulement un quartier d’affaires, elle est aussi un lieu de loisirs, de divertissement et d’enthousiasme sportif, un rendez-vous obligé des grandes manifestations populaires du Grand Paris.

P. I. D’où est venue l’idée de cette polyvalence ?

C. de P. — d’un souci de rentabilité. Le seul rugby ne suffisant pas, Jacky Lorenzetti a estimé qu’il fallait s’étendre au spectacle et installer 31 000 mètres carrés de bureaux comme ressource financière secondaire, mais indispensable. L’esthétique, l’unité de tout cela le préoccupait. Il s’est impliqué personnellement jusqu’au bout, jusqu’à avoir une création qui lui plaise, avec une partie travail — les bureaux sont désormais occupés par le Conseil départemental des Hauts-de-Seine — et l’espace sportif et musical culminant à 40 mètres. Pourquoi cette hauteur ? Parce qu’elle correspond au critère récemment agréé par la Fédération internationale de rugby pour pratiquer ce sport indoor que voulait Lorenzetti. C’est ainsi qu’au regard de cette initiative, si d’autres reprennent notre schéma architectural, le rugby pourra être joué même en plein hiver à Moscou ou à Stockholm !

J’ai voulu d’abord adoucir la perception de la masse du bâtiment dans le quartier. Les tribunes représentent en effet un volume considérable, et j’en ai laissé voir le haut qui forme comme un couronnement incurvé en béton blanc. Sous ce couronnement, le dessous des tribunes est occupé entièrement par les foyers, escaliers et buvettes du public dont j’ai traité la façade en coques de verre et d’aluminium bicolore qui rythment la lumière du jour à l’intérieur et composent comme un collier d’écailles.

Une charpente de très grande portée — 150 mètres sur 110 — couvre cet immense espace. On est étonné en entrant par l’ampleur de la salle que l’on ne peut soupçonner de l’extérieur, avec les volumes atténués par les courbures et la lumière réfléchie des écailles. Je ne suis pas seul à observer que la grande douceur extérieure de La Défense Arena surprend par son contraste avec l’immensité que l’on ressent en pénétrant dans la salle, sous les 40 mètres de sa voûte.

Le sol est aménageable en pelouse ou en dalle afin de recevoir tous les sports et toutes sortes de manifestations. En onze heures, en enlevant trois travées de gradins de chaque côté et en installant la scène et les décors, on dégage un monumental lieu de spectacle. L’acoustique comme la visibilité ont fait l’objet d’installations spéciales, notamment d’un écran géant de 1 400 mètres carrés. Et de nuit, la façade des coques de verre illumine le site d’une infinie variation de couleurs.

P. I. Vous qui avez conçu les formes les plus aiguës pour vos tours de Manhattan, vous voilà tout en courbes et en horizontales. Quel est le lien entre tout cela ? Y a-t-il un style Portzamparc ?

C. de P. — Le style n’étant pas univoque par définition, les gens qui me connaissent bien s’y retrouvent ! Pour une tour de 300 mètres de haut à New York, une cité de la musique de 200 mètres de long à Rio ou un opéra centre de culture sur le bord du lac de Suzhou en Chine, je tiens compte dans chaque cas des spécificités locales : à Rio on construit en béton, à New York, principalement en métal, tout comme à Suzhou. À Séoul, pour l’immeuble Dior qui se trouvait à l’angle …