Les Grands de ce monde s'expriment dans

The Link, une tour à vivre

Entretien avec Philippe Chiambaretta, Architecte, par Franck de Lavarène, Plasticien.

Dossiers spéciaux : n°168 : Les Hauts-de-Seine, un département-monde

Politique Internationale — Votre parcours atypique vous a vu devenir architecte « sur le tard », après avoir longtemps travaillé auprès d’un des plus fameux d’entre eux. En quoi ce bagage a-t-il nourri votre pratique du métier ?

Philippe Chiambaretta — Mon parcours de « bon élève » — école d’ingénieurs, conseil en stratégie... — m’avait édifié sur le « comment » des choses, mais j’en suis venu à m’interroger davantage sur le « pourquoi ». la rencontre avec ricardo Bofill, dont j’ai dirigé l’atelier pendant dix ans, m’a permis de travailler un peu partout dans le monde et d’être en première ligne face à des clients, souvent des élus de haut niveau, désireux de remodeler tel ou tel secteur de leur territoire. J’ai ainsi commencé à développer une réflexion autour des problématiques d’aménagement urbain. À titre d’exemple, nous sommes allés à lyon au milieu des années 1990, sous le mandat de raymond Barre, qui était en quête d’un programme moteur pour le développement de la ville : nos observations nous ont alors permis d’identifier, au point de rencontre du rhône et de la Saône, ce qui allait devenir le projet Confluence, avant de définir une méthodologie pour accompagner la mutation de ce quartier aux plans technique, économique, sociologique et architectural. Cette mutation est engagée depuis maintenant vingt ans avec le retentissement et le succès qu’on lui connaît...

P. I. — Doit-on parler alors d’architecture ou plutôt d’urbanisme ?

P. C. — Les deux sont indissociables. Ma collaboration avec ricardo Bofill m’a éclairé sur les mécanismes de la production, et notamment la façon dont un projet s’enchâsse dans un contexte politique, économique et social, auquel l’architecte s’efforce d’apporter une réponse transversale tout en satisfaisant un besoin de création que mon début de parcours, plus strictement scientifique, peinait à assouvir. À 33 ans, je suis donc retourné sur les bancs de l’École d’architecture, à Paris-Belleville, où j’ai obtenu mon diplôme en 2000, avant de créer ma propre agence.

P. I. — PCA-STREAM est ainsi née en 2000. Quelle marque de fabrique a-t-elle développée au fil des deux décennies écoulées ?

P. C. — Après avoir exploré les champs scientifique, économique, stratégique et la pratique à haut niveau du développement d’une agence d’architecture, je constate aujourd’hui que toutes mes expériences passées me sont utiles au quotidien : ce métier est l’un des rares nécessitant à ce point de relier l’ensemble de ces savoirs. il est aussi extrêmement chronophage et expose à une grande déperdition d’énergie, sauf à se construire un cadre, une « doctrine ». Être un simple prestataire, enchaîner les concours et les mètres carrés m’a toujours paru peu désirable. Au détour de mon parcours, j’avais aussi eu, un temps, la velléité de m’affirmer comme artiste plasticien. Cette période m’a permis de toucher du doigt une forme d’indépendance d’esprit : le doute, la difficulté et l’exaltation qu’il y a à exprimer et défendre une vision personnelle du monde, qu’elle plaise ou non, qu’elle se vende ou pas. en créant PCA-StreAM, je me suis donc efforcé de concilier l’ensemble de ces forces motrices pour faire en sorte que l’architecture devienne le biais par lequel s’affirme et se développe une pensée, une vision, puis que cette pensée se mue en force de proposition : c’est un peu la ligne éditoriale de PCA-StreAM.

P. I. — Cet épisode « plasticien » continue-t-il, comme votre expérience d’ingénieur, d’alimenter votre vison d’architecte ?

P. C. — Bien sûr ! il y a dans l’architecture une dimension esthétique revendiquée ! Si j’ai préféré le métier d’architecte, c’est parce que la création artistique « professionnelle » m’avait semblé mener vers une course aux ego un peu vaine : par tempérament, j’étais davantage attiré par la sphère collective, sociétale et politique. Mais le travail de l’architecte a également une dimension scientifique : à lui de définir l’équation à partir des enjeux parfois contradictoires posés par une problématique. Confronté à une situation nouvelle dans un contexte inconnu, il doit déterminer et dégager au plus vite les trois ou quatre facteurs essentiels à la résolution de cette équation...

P. I. — Précisément, comment s’est présentée l’équation du programme The Link, futur siège de Total à La Défense, que vous signez et qui sera d’ici à 2025 la plus haute tour de bureaux de France...

P. C. — Le département immobilier de Groupama disposait d’un terrain à la Défense et souhaitait y construire une tour de bureaux. la parcelle est située à l’extrémité est de l’esplanade, côté Puteaux. elle surplombe le bas de l’actuel boulevard Circulaire et borde le cours Michelet près de l’accès à la station de métro esplanade de la Défense. C’était en 2017 ; initialement, la surface programmée variait, selon les hypothèses, entre 50 000 et 130 000 mètres carrés. nous ne connaissions pas non plus l’identité du futur occupant. tout cela laissait un certain champ à l’interprétation. la question posée était essentiellement formelle. nous avons fait valoir que l’enjeu principal ne résidait pas dans la forme mais dans la fonction : que devait être, vue de 2017, une tour de bureaux destinée à entrer en service au milieu des années 2020 ? Qu’en exigerait l’entreprise ? Qu’en attendraient ses occupants ?

P. I. — Au train où vont les choses, peut-on prévoir à si long terme ?

P. C. — C’est tout l’objet du StreAM lab, le laboratoire de recherche intégré à notre agence (1). nos contributeurs y ont développé de nombreuses études prospectives autour de ces attentes qui sont autant d’exigences à venir. À titre d’exemple, le concept de coworking, que nous avions découvert à new York en 2010, était encore peu connu en France en 2015. Forts des travaux menés autour du numéro 02 de Stream, After office, ainsi que de la réalisation du programme #cloud.paris (2), qui témoignait de leur pertinence, nous avions une vision claire de ce que devraient être des surfaces de bureaux « années 2020 ».

P. I. — Concrètement ?

P. C. — Les grandes mutations touchant ce qu’il est …