Entretien avec Patrick Devedjian, Avocat et homme politique, membre des Républicains (LR) par Patrice de Méritens, Écrivain.
Politique Internationale — Votre histoire avec les Hauts-de-Seine n’est pas que politique, elle s’ancre dans votre tendre enfance...
Patrick Devedjian — Mon premier contact avec ce département se situe en effet bien avant sa création prévue par la loi du 10 juillet 1964. À l’aube des années 1950, nous habitions à La Frette-Montigny, dans le Val-d’Oise. J’avais six ans. J’avais perdu ma mère. Avec mon père, en voiture, une 15 chevaux Citroën, nous remontions en venant de Paris jusqu’au carrefour de Courbevoie où se trouvait à l’époque le monument du sculpteur Louis-Ernest Barrias représentant La Défense en mémoire des victimes tombées lors du siège de Paris, durant la guerre franco- allemande de 1870. Nous faisions le tour de la place et filions vers la patte d’oie d’Herblay... C’est ma première vision d’enfant. Mon père, ingénieur né à Sivas, en Turquie, émigré en France à cause du génocide arménien, avait une petite PME à Courbevoie spécialisée dans la fonderie d’aluminium. C’est lui qui a inventé la cocotte-minute. Malheureusement, avec l’avancée du projet de La Défense, il a été exproprié par l’EPAD, l’établissement public en charge de l’aménagement du nouveau quartier. Son entreprise a périclité, et il est mort quelques années plus tard sans avoir obtenu la nationalité française, apatride, avec un passeport Nansen. Pour ma part, c’est bien des années plus tard, en 2007, que je serai président de l’EPAD, devenu depuis Paris La Défense...
P. I. — Comme quoi, ainsi que le dit le proverbe arménien, « chaque homme a dans son cœur un lion qui sommeille ». Maire, député, puis doublement président, comment définissez-vous l’évolution des Hauts-de-Seine au fil du temps ?
P. D. — Ce territoire a été créé sur la ceinture rouge de Paris par le biais d’un savant découpage d’une partie de la Seine-et-Oise et d’une partie de la Seine qui a abouti à la constitution du plus petit département de France. Coup du destin, il a été gagné par la droite aux premières élections départementales au bénéfice de l’âge contre le parti communiste. Les gaullistes et les communistes ayant fait jeu égal avec le même nombre d’élus, la présidence est revenue au plus ancien qui se trouvait être de droite. Autrement, nous serions à cette heure l’équivalent de la Seine-Saint-Denis. Depuis plus d’un demi-siècle, les deux départements n’ont pas conduit la même politique, d’où leur disparité, à l’instar des États- Unis et de l’URSS qui, à partir de 1917, ont emprunté des voies opposées avec le résultat que l’on sait.
Ce ne sont ni mes prédécesseurs ni moi-même qui avons créé La Défense, c’est l’État, impulsé par le général de Gaulle. Mes prédécesseurs ont mené, à partir de 1992, une politique d’avant- garde en matière de rénovation urbaine. Charles Pasqua, tout particulièrement, s’est attaqué à ces cités malheureuses, insalubres, transformées en ghettos sociaux situés à la périphérie des villes et sans grande communication. Il a investi beaucoup d’argent dans la rénovation des grands ensembles, notamment au Luth à Gennevilliers, à l’époque un lieu difficile. Il a été innovant sur ce point, et lorsqu’on a créé l’ANRU — Agence nationale pour la rénovation urbaine — en 2003, on a en vérité suivi le chemin qu’il avait lui-même ouvert. Il a créé le premier tramway des Hauts-de- Seine, le T 2 qui relie Issy-les-Moulineaux à La Défense, dont la RATP ne voulait pas au motif qu’il ne serait sûrement pas rentable, alors qu’il est aujourd’hui sursaturé. Comme quoi il ne faut pas toujours écouter ce que disent les institutions étatiques. Je suis héritier de cela.
P. I. — Avec quel bilan à ce jour ?
P. D. — Depuis 2007, année où je suis devenu président du Conseil général, aujourd’hui Conseil départemental des Hauts-de-Seine, j’ai systématiquement rationalisé les dépenses de fonctionnement pour les réduire, au profit du développement des dépenses d’investissement. J’ai poursuivi la politique engagée par Charles Pasqua avec le deuxième tramway T 6, programmé pour aller de la porte de Châtillon à Vélizy ainsi que dans les Yvelines. C’est une très longue affaire que j’ai pu mener à son terme. Je me suis lancé dans de grands travaux de voirie, notamment l’aménagement des berges de la Seine, projet que je n’ai pas encore achevé. J’ai poursuivi la politique de rénovation urbaine avec l’ANRU, en vue de casser les ghettos sociaux. Pour ce qui est d’Antony, je suis fier d’avoir rénové complètement sa cité universitaire, tout comme d’avoir pu prendre au 1er janvier 2018 le contrôle de l’EPAD, jusqu’alors géré par l’État, et d’en avoir fait un établissement dont le Conseil départemental est l’actionnaire majoritaire. C’est le président Macron qui a permis de débloquer ce dossier alors que l’administration ne voulait absolument pas de cette décentralisation pourtant hautement nécessaire. Cette nouvelle gouvernance transférée de l’État aux collectivités locales répond à un enjeu de modernisation indispensable à l’attractivité de ce quartier d’affaires dont la vocation est d’être aussi un lieu de vie. Le taux de vacance y est actuellement inférieur à 5 %. C’est donc un succès. De nouvelles tours sont en cours de réalisation et les projets se multiplient. En cette période d’après-Brexit, nous offrons sur le marché international une opportunité d’accueil pour les grandes entreprises mondiales que ni Francfort, ni Amsterdam, ni Bruxelles ne permettent. Londres le pourrait mais, en termes d’attractivité, nous sommes en train de la dépasser. Peu d’entreprises quittent aujourd’hui la capitale britannique malgré le Brexit ; en revanche — et c’est cela qui est important — nombreuses sont celles qui avaient l’intention de s’y installer et qui y ont renoncé au profit de Paris La Défense.
P. I. — Pour quelles raisons précises ?
P. D. — L’attractivité, c’est ce qui décide un chef d’entreprise à venir installer son quartier général ou un établissement d’importance sur un territoire donné plutôt qu’un autre. Elle se définit en termes de desserte, d’environnement entrepreneurial, d’institutions internationales et de qualité de vie. Voyons la desserte : deux cent vingt mille personnes travaillent ou vivent à La Défense. En plus du réseau déjà existant, métro, …
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