Politique Internationale — Quel regard portez-vous sur la crise pandémique qui nous touche aujourd’hui ?
Daniel Rondeau — Nous traversons depuis plusieurs mois un épisode apocalyptique d’ampleur mondiale. L’histoire est une boîte à surprises sans fin et la vie est souvent plus forte que la fiction. En Europe, le Covid-19 a été un puissant révélateur de notre situation et surtout de nos faiblesses. En France, la pandémie a mis en lumière les limites de notre autonomie médicale, technologique, économique. Depuis plus de trente ans, nous avons laissé partir notre industrie et nous nous apercevons que cela entraîne une dépendance peut-être mortelle. Nous découvrons que nous risquons de manquer à terme de médicaments essentiels, que notre industrie textile ne peut pas fournir en temps voulu les protections dont nous aurions eu besoin. Ce n’est pas un hasard. Nous avions décidé de nous en remettre à la Chine sur cette question. Nous sommes par ailleurs stupéfaits de constater que notre administration, réputée non sans raison l’une des plus efficaces du monde, a peiné pour faire face à la situation. Nous avons découvert avec sidération que nos vies nous échappaient. Notre vieux pays nous est apparu bien fragile. Ce qui s’est vérifié dans le domaine de la santé se vérifierait à coup sûr dans le domaine de l’alimentation, du renseignement militaire, de certaines de nos grandes écoles ou de la haute technologie. Le président Macron a parlé de guerre contre le Covid. En cas de réel conflit militaire, nous pourrions hélas redouter le pire. Le piteux retour à Toulon du Charles-de-Gaulle, désarmé par le Covid, est le symbole de cette fragilité.
P. I. — Le Covid est-il seul responsable de cette situation ?
D. R. — Le Covid a révélé au sein de chaque pays l’œuvre de désintégration du monde commencée à Hiroshima alors que des technologies impérieuses, qui simulent et stimulent souvent le mouvement de la vie et de l’intelligence, ont mis en branle une formidable accélération de l’Histoire. Après Hiroshima, nous avons compris que l’humanité est mortelle. Puis nous l’avons oublié. La globalisation nous a laissé croire que nous pourrions accéder à une nouvelle forme d’humanité grâce à ces technologies. Même si chacun a pris conscience des vices de ces nouveaux outils (quadrillage de nos vies par les algorithmes et les mouchards du Net, surexposition et mort de l’intime, tyrannie de la transparence, délation, primat de l’instant sur le temps, de l’image sur le texte, de l’écran sur le livre, de l’émotion sur la réflexion, du plaisir sur l’amour), un clic semblait parfois suffire pour accéder à l’ivresse de la fraternité universelle. Les maîtres des algorithmes assuraient contrôler cette démesure qui divinise l’homme virtuel, qu’ils préféraient à l’homme de chair. C’était le prix à payer pour que rien n’entrave la circulation de biens manufacturés et siglés Développement durable par des esclaves chinois (ou indiens) et livrés à notre domicile par les coursiers des nouvelles routes de la soie.
La planète rétrécie, banalisée, dépoétisée a été placée sous tutelle par les rouleaux compresseurs de l’uniformité …
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