La réunification de l’Irlande n’était plus qu’une vieille antienne dépourvue de toute résonance concrète, une curiosité diplomatique renvoyant à des temps révolus, le but de guerre d’une organisation subversive incapable de l’imposer à la pointe du fusil. En lui conférant une actualité aussi imprévue que soudaine, le Brexit a réussi là où avaient échoué les stériles protestations des gouvernements de Dublin depuis les années 1930 et les vaines campagnes terroristes de l’Irish Republican Army (IRA).
Un vieux rêve ressuscité
Le Brexit a enfoncé un coin entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord. Au référendum du 23 juin 2016, 52 % de l’ensemble des électeurs britanniques se sont prononcés en faveur d’une sortie de l’Union européenne, tandis que 55,8 % des Nord-Irlandais manifestaient la volonté d’y demeurer rattachés.
Le désir d’Europe a réinventé le désir de réunification. Cessant d’être l’expression d’un irrédentisme territorial d’un autre âge, l’aspiration unitaire coïncide désormais avec le souhait, partagé par le plus grand nombre, de continuer à faire partie de l’Union européenne. Dans un entretien récent, l’ancien premier ministre britannique Tony Blair déclara à ce sujet : « Si vous m’aviez demandé avant le référendum sur le Brexit si la réunification de l’Irlande était probable, j’aurais dit non. Maintenant, je ne sais pas… » (1).
S’inspirant du précédent de la réunification allemande, le Conseil européen du 29 avril 2017 a clairement exprimé sa volonté de jouer le rôle de facilitateur de l’exercice du droit à l’autodétermination de tout le peuple d’Irlande. Prenant acte du fait que « l’accord du Vendredi Saint prévoit expressément un mécanisme agréé suivant lequel une Irlande unie pourra être instaurée par des moyens pacifiques et démocratiques, le Conseil européen reconnaît que, conformément au droit international, le territoire tout entier d’une telle Irlande unie ferait ainsi partie de l’UE » (2).
En vertu de ce texte, l’Irlande tout entière, unifiée selon la procédure prévue par l’accord du Vendredi Saint du 10 avril 1998, fera automatiquement partie de l’Union européenne sans être contrainte de déposer une nouvelle demande d’adhésion (3).
Ces développements mettent littéralement le feu aux esprits. Des groupes de réflexion aux noms divers — Think32, Shared Ireland, Ireland Future, The Constitutional Conversations Group — multiplient les réunions au plus près de la population, au Nord comme au Sud, suscitant le débat, animant les discussions, émettant des propositions. Des personnalités éminentes alternent les déclarations, recommandations et mises en garde sur le sujet (4). Les partis politiques, relayés par les médias, Internet et les réseaux sociaux, entrent dans la danse. Des sondages, régulièrement commandés à des instituts spécialisés, contribuent à affiner les analyses. Des dizaines d’ouvrages paraissent en librairie. Plusieurs universités irlandaises et britanniques emboîtent le pas en publiant des rapports extrêmement détaillés. La British Academy et la Royal Irish Academy publient conjointement des « Brexit Briefings », des aide-mémoire sur le Brexit.
Gerry Adams, l’ancien président du Sinn Fein, somme le gouvernement irlandais d’initier un processus de consultation sur l’unification de l’île (5). Des voix s’élèvent en faveur de la constitution de « forums civiques » tant au Nord qu’au Sud (6). Le 1er novembre 2019, plus de mille représentants de la société civile envoient une lettre …
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