Infrastructures et équipements sportifs : construire pour l’avenir

Dossiers spéciaux : n°169 : Paris 2024, une chance pour le sport et l'économie française

Politique Internationale — Qu’est-ce exactement que la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo) ? Quand a-t-elle été créée et quelles sont ses missions ?

Nicolas Ferrand — Il faut remonter à septembre 2017 et au choix de Paris pour accueillir les Jeux Olympiques et Paralympiques en 2024. Dans le dossier de candidature, il est prévu à la fois qu’un Comité d’organisation assume toute la dimension événementielle et qu’une structure ad hoc soit chargée de la construction des ouvrages nécessaires pour l’accueil de la compétition. À l’époque, cette structure n’existe pas encore mais, très vite, après la réunion de Lima qui a officialisé Paris 2024, les choses se mettent en place. La Solideo, qui a le statut d’établissement public industriel et commercial (Epic), est portée sur les fonts baptismaux en janvier 2018. Sa mission est très claire : livrer en temps et en heure 58 ouvrages — sous 29 maîtrises d’ouvrage — qui non seulement vont rythmer un mois d’épreuves, mais aussi s’inscrire de manière pérenne dans le paysage. 

À l’automne 2017, je suis encore seul dans les murs, à comparer aux quelque 80 personnes qui travaillent aujourd’hui au sein de la Solideo, dont 68 issues du privé. Nous avons tous le sentiment de relever un défi : un défi maîtrisé peut-être, compte tenu du nombre d’acteurs, de leur importance et des moyens mis à disposition, mais un défi quand même car il s’agit tout simplement de contribuer au rayonnement de la France à travers un événement hors norme. Pour ma part, au regard de ma formation d’ingénieur et de mon expérience des grands projets, ces enjeux me passionnent : la Solideo, créée donc ex nihilo en 2017-2018, doit construire des ouvrages, ce qui implique de concevoir une méthode de travail, d’identifier des partenaires, de chercher des leviers de financement et enfin de se projeter dans l’avenir. Autant de maillons qui renvoient plus à un espace de liberté qu’à une chaîne car nous partons d’une page blanche.

P. I. — Pendant plusieurs semaines, la pandémie de coronavirus a mis le monde entier quasiment à l’arrêt. Avec quelles conséquences pour votre planning prévisionnel ? Avez-vous craint pour les ambitions mêmes de la Solideo ? 

N. F. — Qui aurait pu prévoir cette pandémie ? Personne. Mais avant de revenir sur ses conséquences, il faut rappeler le calendrier de la Solideo, qui n’a pas bougé nonobstant cette lame de fond. Jusqu’au début de l’année, nous avons travaillé sur la première des trois phases de notre action. Cette phase initiale, relative à la définition technique des objets et à l’attribution des appels d’offres, est maintenant terminée. D’ici à la fin de l’année, nous allons boucler l’ensemble des autorisations nécessaires pour pouvoir démarrer les chantiers : c’est le deuxième temps, tout aussi indispensable. Suivra la troisième phase, à partir de début 2021, pour une livraison pleine et entière des 58 ouvrages au premier trimestre 2024. En attendant, dans le cadre d’opérations de déconstruction, quelques travaux ont déjà démarré, comme le terrassement du futur Village des athlètes pour implanter l’usine électrique de Réseau de transport d’électricité (RTE). 

Même si nous ne l’avions pas vu venir, la pandémie de coronavirus ne nous a pas totalement pris au dépourvu : notre calendrier prévisionnel intègre trois mois « blancs », c’est-à-dire une interruption totale de l’activité pendant un trimestre pour telle ou telle raison. À l’époque, nous pensions à une canicule, à une inondation comme celle de Paris en 1910 ou encore à une grève générale. En bâtissant ce scénario inaugural, nous étions loin d’imaginer l’impact du Covid-19. Toutefois, pendant cette période de confinement général, nos équipes n’ont jamais cessé de travailler. De même, nos interlocuteurs n’ont jamais relâché leur attention. Bien sûr, certains dossiers opérationnels ont été pénalisés, mais rien qui puisse durablement nous inquiéter. 

P. I. — Le budget global des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 se monte à environ 7 milliards d’euros, dont 3,2 milliards pour Solideo. Dans quelle mesure ces investissements sont-ils optimisés ? À l’heure où l’économie mondiale est en pleine reconstruction, un événement sportif peut-il réclamer un tel effort ?

N. F. — La réponse est contenue en quelques mots : nous ne construisons pas pour trente jours mais pour trente ans. Les 58 ouvrages qui font partie du périmètre de la Solideo sont destinés à s’ancrer sur le long terme. Prenez la gare Saint-Denis Pleyel (Seine-Saint-Denis) qui permettra de desservir le Village olympique et paralympique, où cohabiteront 15 000 athlètes : cette infrastructure est aussi et surtout un jalon important du Grand Paris Express, ce réseau de transport destiné à dynamiser une région tout entière. Au Bourget, l’édification du Cluster des médias — qui accueillera 25 000 journalistes à l’été 2024 — laissera la place après la compétition à un nouveau quartier de ville. On pourrait ainsi multiplier les exemples de ces aménagements qui vont permettre de transformer durablement l’environnement urbain : certains projets, depuis longtemps en gestation, auraient peut-être pu être réalisés plus tard mais, grâce aux Jeux, ils connaissent un coup d’accélérateur phénoménal.

P. I. — Par définition, vous dialoguez en permanence avec plusieurs interlocuteurs, publics et privés. On sait que la France, dans certains domaines, est championne des procédures. Entre la complexité des dossiers administratifs, le nombre de partenaires et la pression du calendrier, rencontrez-vous plus d’obstacles que d’habitude ? 

N. F. — Depuis le début, toutes nos décisions ont été prises à l’unanimité. L’intérêt supérieur de la France prévaut et permet chaque fois de trouver un consensus auquel adhèrent tous les partenaires, de sortir par le haut et d’avancer ! La composition du conseil d’administration de la Solideo donne une bonne idée de la densité des échanges : 38 personnes sont réunies autour de la table, dont 19 représentants de l’État, 12 issues des collectivités et quelques-unes du mouvement olympique et paralympique. Ce sont les principales forces en présence : on pourrait croire, compte tenu du poids des dossiers, que les discussions sont infinies, les arbitrages compliqués et les votes obtenus à une courte majorité. En réalité, comme je vous le disais, toutes les décisions prises en conseil d’administration par la Solideo depuis sa création l’ont été à l’unanimité. Certes, ces décisions sont préparées en amont et les nombreux allers-retours entre les participants favorisent ce consensus, mais, quand l’unanimité se vérifie avec une telle régularité, la qualité du travail préalable n’explique pas tout : chacun des acteurs est convaincu qu’il contribue à une tâche essentielle pour le pays et ce cap empêche de se réfugier derrière des arguties. 

La fluidité et l’efficacité de ce dialogue, je l’observe aussi dans les interactions public-privé. La Solideo est un établissement public mais dont l’essentiel des missions va pouvoir se concrétiser grâce à des partenaires privés, couvrant un vaste éventail d’activités. Il y a des géants du BTP, qui symbolisent une forme d’excellence française ; il y a aussi des groupes immobiliers, qui reprendront l’exploitation d’objets après la compétition ; il y a encore des investisseurs qui accompagnent le développement des chantiers. Ces différents partenaires ont parfaitement compris quelle est la logique de la Solideo, et nous collaborons efficacement ensemble. 

P. I. — La Solideo supervise donc 58 ouvrages. Certains sont-ils plus importants que d’autres… 

N. F. — D’abord et avant tout, la Solideo n’a pas le monopole des ouvrages liés à Paris 2024. Nous ne pilotons que les objets qui resteront implantés après les Jeux. Il y a évidemment des différences d’une infrastructure à l’autre. On peut même dire qu’il n’y a aucune comparaison possible entre l’édification du Village des athlètes, pour un budget de 1,8 milliard d’euros, et le cheminement piéton entre la gare du Bourget et la future enceinte de volley, de quelques millions d’euros. Reste qu’aucun projet n’est négligeable : tous concourent à faire des Jeux un moment inoubliable, ce qui implique des sites alliant l’innovation à la praticité. Tous contribuent également à renforcer l’attractivité au quotidien d’un gigantesque bassin de population. La présence, au sein du conseil d’administration de la Solideo, de la Région Île-de-France, de la Métropole du Grand Paris, de la Ville de Paris et du Conseil départemental de Seine-Saint-Denis montre que nous travaillons à tous les niveaux. 

P. I. — Aujourd’hui, plus aucun grand projet d’infrastructure ne peut être conduit sans tenir compte de l’urgence climatique. Comment la lutte contre le réchauffement vient-elle s’inscrire dans votre cahier des charges ? 

N. F. — Les projets pilotés par la Solideo ont fait de la préservation de l’environnement l’une de leurs priorités. Ce n’est pas une surprise : dans sa candidature, Paris a affiché son ambition d’organiser « les Jeux les plus durables de l’Histoire ». Ce volet responsable a pour corollaire un autre volet, dont la Solideo est aussi partie prenante, à savoir la protection du tissu social. Voilà pourquoi 25 % du montant des marchés passés par notre société (et par tous les maîtres d’ouvrage) le sont avec des TPE, des PME et des structures de l’économie sociale et solidaire. Dans la même veine, nous nous sommes engagés à réserver 10 % des heures travaillées à l’insertion professionnelle (personnes très éloignées de l’emploi, alternants ou résidents des quartiers prioritaires de la politique de la ville) et à garantir des chantiers exemplaires. Nous souhaitons que la préparation du Paris Olympique profite à des personnes depuis longtemps sur le carreau et qui pourront ainsi trouver un nouvel élan. Quant à l’environnement, je le répète, il s’agit d’un axe fort de la Solideo. Il est d’autant plus fort qu’avant Paris 2024 trois grandes manifestations vont se tenir successivement : l’Exposition universelle à Dubaï en 2020-2021, les JOP de Tokyo 2021 et les JOP (d’hiver) de Pékin 2022. Leurs comités d’organisation respectifs ont insisté sur leur volonté d’en faire des vitrines technologiques. Non pas que cette dimension « tech » soit absente de Paris 2024, bien au contraire, mais nous sommes d’abord attendus sur ce projet d’un monde plus vert. Qu’il s’agisse de la diminution de l’empreinte carbone, du sourcing vertueux des matériaux ou du respect de la biodiversité, ces grands marqueurs environnementaux font partie des indicateurs de nos chantiers, avec des objectifs précis à la clé. Par exemple, les édifices que nous nous apprêtons à construire afficheront une baisse de 40 % de leur bilan carbone (cycle du bâti, chauffage, circulation des fluides…). À titre de comparaison, le cap fixé par les instances internationales prévoit une réduction de 50 % à l’horizon de 2030. C’est-à-dire qu’une petite dizaine d’années avant cette échéance, la Solideo est capable de construire des ouvrages s’approchant au plus près de ce seuil ambitieux de performance environnementale. Nous livrerons les premiers Jeux alignés sur l’accord de Paris sur le climat.

P. I. — Entre autres conséquences, la pandémie de coronavirus a conduit au report des JO de Tokyo à l’année prochaine. Ce décalage a-t-il un impact sur la conduite des chantiers de Paris 2024 ?

N. F. — D’abord, je voudrais dire que je suis très admiratif de la rapidité avec laquelle nos camarades de Tokyo ont pris cette décision difficile. Bien sûr, ils n’ont pas eu le choix, mais il n’empêche : quand on sait toute l’énergie requise par l’organisation des Jeux — avec l’agencement au cordeau d’une pléiade d’opérations —, on mesure les difficultés engendrées par un report. Sur le strict déroulement des chantiers de Paris 2024, ce décalage n’a aucune incidence : depuis le début, nous suivons notre propre calendrier avec le début de l’année 2024 dans la ligne de mire, date à laquelle la Solideo aura fini de livrer tous les ouvrages. Reste que nos contacts ont toujours été très étroits avec Tokyo. La manière dont nos amis japonais travaillent fait partie de notre courbe d’apprentissage. Nous nous sommes déjà déplacés à deux reprises et nous devions y retourner cet été, pendant les Jeux, avant qu’ils ne soient déplacés. De tels échanges sont toujours riches d’enseignements : chacun a sa propre vision, mais confronter les approches nourrit la réflexion et permet souvent d’optimiser certains petits détails. En tout cas, je n’ai pas le sentiment d’une compétition entre nos deux villes organisatrices. 

Dans le cadre de Paris 2024, j’ai parlé du rayonnement de la France, mais cela va encore plus loin : à travers ces Jeux, il y a l’idée de présenter ce que pourrait être la ville européenne du futur. Une référence en termes de transport et de circulation notamment, mais aussi un certain modèle social. Ce dernier point recouvre la ville inclusive, avec en particulier une plus grande accessibilité dans tous les domaines aux personnes handicapées ainsi qu’une capacité à créer du lien entre les gens, à développer ce « mieux vivre ensemble » pour reprendre la terminologie utilisée. C’est pour cette raison que plusieurs aménagements de la Solideo prennent en compte les déplacements des seniors et prévoient des équipements spécifiques pour les faciliter. Une fois de plus, nous allons bien au-delà de la seule échéance olympique.

P. I. — À partir de quel moment saura-t-on si la Solideo a rempli sa mission ? Faudra-t-il attendre janvier 2024 et la livraison définitive des 58 ouvrages ? Par ailleurs, pendant la période des Jeux proprement dite, quel sera votre rôle ?

N. F. — Notre mission est double ; donc nous avons deux échéances précises à cocher pour réussir pleinement notre projet hors norme. Premier jalon : livrer les ouvrages olympiques au plus tard le 1er mars 2024 à Paris 2024, afin de pouvoir basculer dans l’organisation événementielle des Jeux, période pendant laquelle nous serons en veille, en attente de reprendre notre activité après les épreuves sportives. Puis viendra la seconde étape, qui est presque la plus importante car c’est l’étape définitive : c’est celle d’après les Jeux, celle de la reconversion des sites et des ouvrages à l’automne 2024 afin de les transformer définitivement en nouveaux quartiers de ville où il fera bon vivre. Les premiers habitants arriveront à l’été 2025 puis la Solideo disparaîtra au 1er janvier 2026, comme le prévoient les textes, mission accomplie. Et croyez-moi, je suis très attaché à réussir cet héritage, cette dernière étape qui restera comme le symbole des Jeux de Paris 2024, bien longtemps après le départ de la flamme olympique !