Politique Internationale — Les Jeux Paralympiques de Paris 2024 auront lieu dans quatre ans, mais ils sont déjà dans la ligne de mire du Comité paralympique et sportif français (CPSF). Qu’attendez-vous de cet événement ? Comment comptez-vous l’exploiter ?
Marie-Amélie Le Fur — Les Jeux Paralympiques de Paris 2024 sont tout simplement une formidable opportunité à saisir. Voilà pourquoi il importe autant de bien les préparer. Certes, les Jeux Paralympiques de Tokyo 2020 ont dû être repoussés d’un an mais ce n’est pas ce bouleversement du calendrier qui modifie notre appréhension des grands dossiers. Ni notre ardeur à la tâche. Nous avons un objectif : faire en sorte que ces Jeux à Paris ne soient pas seulement un « one shot », une belle vitrine pour le paralympisme dont l’éclat s’estomperait rapidement. Au contraire, Paris 2024 doit laisser un héritage. Cela s’applique évidemment au domaine de la haute performance : les athlètes paralympiques qui représenteront la France à cette occasion se prépareront sans doute comme jamais. À nous de favoriser cet accompagnement et de faire en sorte que ce cran supplémentaire profite aux générations suivantes. Pour autant, les Jeux Paralympiques dépassent largement la seule chasse aux médailles et l’investissement en faveur des sportifs sélectionnés : côtoyer le haut niveau ne doit pas nous empêcher de solidifier les bases, bien au contraire. Paris 2024 doit aussi nous servir de catalyseur pour faire mieux reconnaître la place du handicap dans notre société et faire mieux admettre le rôle du sport comme levier d’insertion et d’épanouissement des personnes handicapées. On sort là du champ strictement sportif pour toucher des problématiques sociétales plus larges, mais si nous oublions cette dimension alors nous manquerons une occasion d’exploiter complètement le retentissement des Jeux Paralympiques de Paris 2024. Enfin, dans Paris 2024, il y a Paris : à cette occasion, des milliers de touristes vont vouloir découvrir la capitale. De nombreux lieux ne sont pas encore dotés d’une accessibilité handicap, ou pas suffisamment : un événement comme les Jeux est de nature à encourager le renforcement des équipements.
P. I. — Paris 2024 est une formidable opportunité, dites-vous, mais d’où part le parasport en France ? Y a-t-il déjà une feuille de route pour améliorer les conditions de la pratique ? Quel est l’état des lieux ?
M.-A. L. — Disons que nous sommes sur le bon chemin, ce qui ne veut pas dire que toutes les bases d’un système optimal soient posées. Le but est assez clair : nous voulons le maximum de considération pour le parasport. Cela implique plusieurs choses, à commencer par l’accès au sport pour les personnes handicapées. En France, en 2020, il n’est pas encore possible, pour tous ceux et toutes celles qui sont intéressés, de pratiquer une discipline sportive. Les freins sont nombreux : pas assez d’infrastructures, pas suffisamment de matériels, trop peu d’encadrants formés en conséquence, des budgets restreints… Sans oublier un frein psychologique : le monde du handicap peut faire peur ; ou, plus exactement, il interroge quand on ne le connaît pas. Or, comme il est parfois tabou d’en parler, ces craintes risquent de s’enraciner.
Face à cette nécessité d’élargir l’accès, nous devons mobiliser le plus grand nombre de partenaires. C’est le deuxième point important. L’éventail des interlocuteurs est large et s’étend jusqu’au plus haut sommet de l’État, avec bien sûr le ministère des Sports mais également celui de la Santé et de l’Éducation. S’agissant de la santé, nous devons tous être convaincus que la pratique du sport permet d’aller mieux. Je vais à dessein employer des mots forts : je connais de nombreuses personnes handicapées auxquelles le sport a littéralement sauvé la vie. Nous ne sommes pas là dans l’univers de la compétition, mais dans celui d’une pratique régulière, qui permet d’avoir un but et de vivre selon des principes sains. Concernant l’éducation, nous militons pour que les élèves handicapé(e)s ne soient pas systématiquement dispen
sé(e)s de sport, même si nous sommes conscients que certains parents peuvent être réticents à l’idée de laisser leur enfant pratiquer une activité sportive non adaptée en « milieu ordinaire ». Nous sommes aussi très attentifs aux développements promis autour de l’école inclusive (NDLR : la scolarisation des élèves en situation de handicap). Un Comité national de suivi a été institué ; c’est une première étape, qui doit déboucher sur un déploiement à l’échelle locale.
P. I. — Infrastructures, matériels, encadrement : les besoins sont importants mais, en marge des ministères, qui doit prendre la main sur le suivi des dossiers ? Comment se répartissent les responsabilités pour le parasport ?
M.-A. L. — C’est comme une chaîne, avec plusieurs maillons. Le travail sur le terrain implique de s’appuyer sur des acteurs de proximité. Les collectivités sont concernées au premier chef : mairies, départements, communautés de communes… La mobilisation des territoires et de leurs acteurs est essentielle pour accélérer les politiques d’accès au sport pour les personnes en situation de handicap. La mise en place des conférences régionales du sport va en ce sens. En France, nous avons la chance de disposer d’un formidable tissu associatif, animé par des gens qui se dépensent sans relâche. Le parasport bénéficie de ce système associatif et il n’est pas question de le brider. Mais nous devons également professionnaliser davantage les sphères adjacentes en charge des sportifs handicapés.
P. I. — Pas de politique parasport sans engagement global de la société : le cap est tracé. Le CPSF a-t-il les moyens de sensibiliser les différents intervenants ?
M.-A. L. — Le sport est un projet de vie, comme les études, le logement ou les loisirs. Il mérite donc d’être encouragé au maximum. Pour un grand nombre de personnes handicapées, une activité sportive agit comme un déclic. Elle peut leur donner l’envie de se dépasser, avec des répercussions positives sur de nombreux autres domaines. On ne le dira jamais assez, pour tout le monde, le sport, c’est souvent beaucoup plus que du sport. D’où cette nécessité d’agir ensemble. L’exemple du CPSF est parlant : à ses débuts, en 1992, la structure était un peu isolée, assurant la délégation paralympique uniquement avec la fédération française handisport. Aujourd’hui, son champ d’intervention est beaucoup plus étendu. Il s’occupe du haut niveau, des liens avec les institutions internationales, des passerelles avec l’ensemble des fédérations sportives mais aussi du développement des pratiques. L’évolution du CPSF est le reflet d’une évolution plus globale de notre société où les personnes en situation de handicap sont de mieux en mieux intégrées.
P. I. — Au passage, faisons un point d’histoire : comment est né le paralympisme et comment est-il monté en puissance ?
M.-A. L. — L’année 1988 est une année importante car, pour la première fois, la ville hôte des Jeux Olympiques (NDRL : Séoul) a accueilli les Jeux Paralympiques — qui ont démarré quelques jours après les JO. Cette volonté de faire coïncider sur un même lieu ces deux événements marque un jalon. Jeux Olympiques et Jeux Paralympiques conjuguent leurs caractéristiques au service d’une grande fête du sport. Toutefois, le paralympisme est antérieur à ce rapprochement inaugural de 1988. L’impulsion a été donnée par un médecin britannique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : il s’agissait en particulier de permettre aux personnes devenues handicapées physiques pendant la guerre de s’exprimer sur le plan sportif. Finalement, la première édition des Jeux Paralympiques s’est tenue à Rome en 1960 avec quelque 400 représentants de 23 pays. À titre de comparaison, à Rio ils étaient 4 328 originaires de 159 pays — dans 22 sports. En 2001, une étape supplémentaire a été franchie après qu’un accord signé entre le Comité international paralympique et le Comité international olympique eut officialisé le principe « candidature unique, ville unique ». Concrètement, l’organisation des Jeux Paralympiques s’inscrit automatiquement dans la candidature d’une ville pour les Jeux Olympiques. Cette formule a été inaugurée lors des JO de Pékin en 2008. Je parlais d’un élan unique au service d’une fête du sport ; je n’oublie pas non plus l’aspect logistique : depuis les JO d’hiver de 2002 à Salt Lake City, le comité d’organisation pilote à la fois les Jeux Olympiques et Paralympiques. Cela implique l’utilisation des mêmes installations et d’une large gamme de services annexes (restauration, soins, transports…). Plus que jamais, nous avançons conjointement, tout en conservant notre ADN et des spécificités auxquelles nous sommes formellement attachés.
P. I. — Sans l’appui des entreprises, il est souvent impossible de mener une carrière sportive. D’une manière générale, les décideurs économiques sont-ils aux côtés des para-athlètes ?
M.-A. L. — Cette problématique économique est cruciale dans le parasport. Certains matériels sont coûteux, de même que les structures d’encadrement. S’ils ne sont pas soutenus par les entreprises, les athlètes ont du mal à progresser. Il est difficile de statuer globalement sur l’engagement du pouvoir économique : certaines entreprises vont s’intéresser, d’autres un peu moins, et d’autres encore pas du tout. L’expérience montre qu’un bon niveau de performances ne suffit pas aux athlètes pour s’entourer de sponsors. Les partenaires veulent aussi que l’intéressé(e) ait une aura et que son pouvoir d’expression dépasse la sphère sportive. En attendant, un grand nombre d’athlètes sont obligés de conjuguer activité professionnelle et entraînements pour éviter toute forme de précarité. Au-delà des décideurs économiques, l’accompagnement de nos parasportifs doit passer par une plus grande visibilité médiatique, et cela in fine pour offrir à notre mouvement une meilleure reconnaissance et en faciliter ainsi le financement et l’organisation à tous les niveaux.
P. I. — Les médias sont un outil essentiel au service du sport. Les Jeux Paralympiques et, par extension, les parasports sont-ils suffisamment bien couverts ?
M.-A. L. — En termes de couverture médiatique, les progrès sont là mais il y a encore beaucoup à faire. Les Jeux Paralympiques de Londres 2012 ont marqué un tournant, et ont permis de mieux relayer les Jeux suivants et notamment Rio 2016, auxquels France Télévisions a consacré une centaine d’heures de programmes. Au passage, à l’échelle internationale, l’audience télé cumulée à Rio s’est élevée à 4,1 milliards de personnes dans plus de 150 pays. Toutefois un problème subsiste : excepté les échéances paralympiques, le parasport peine à exister médiatiquement. Par exemple, deux championnats du monde majeurs — athlétisme et natation — sont au programme cette année et rien n’a été prévu par les télévisions françaises pour les suivre. Par ailleurs, j’ai été frappée par le silence qui a accompagné le report des Jeux Paralympiques de Tokyo 2020, comparé à l’avalanche de commentaires autour du décalage des Jeux Olympiques. Je ne dis pas que les médias sont les seuls responsables de cette exposition insuffisante : nous devons rendre nos compétitions et nos classements plus lisibles pour le téléspectateur. À cet égard, un effort de pédagogie s’impose. Cet effort sera-t-il suffisant pour que les médias s’approprient le parasport comme ils le font avec les autres univers ? Je ne crois pas qu’il faille imposer des quotas, en termes de volume de programmes par exemple. Dès lors qu’on introduit une obligation, le traitement est un peu biaisé. En revanche, je suis certaine d’une chose : nos disciplines se prêtent parfaitement à la construction d’un récit autour des exploits, comme les médias le font tous les jours avec des athlètes valides. J’ai rencontré des journalistes qui, après avoir découvert notre mouvement, ont décidé d’œuvrer pour faire connaître et reconnaître les parcours et les histoires des athlètes paralympiques. Grâce à l’appui de ces journalistes, qui prendront l’angle de la performance et non celui du misérabilisme, nous contribuerons à faire connaître nos pratiques, nos athlètes et à changer les mentalités… Car tout est une question de point de vue : il faut considérer le sportif avant tout, en tenant compte de sa spécificité, et non l’inverse…
P. I. — Vous êtes une athlète reconnue avec pas moins de huit médailles récoltées lors des Jeux Paralympiques. Que vous a apporté ce parcours de sportive de haut niveau ? Diriez-vous que les para-athlètes sont aujourd’hui mieux accompagnés que vous ne l’étiez lors de vos premières paralympiades ?
M.-A. L. — Il faudrait bien plus que quelques lignes, voire quelques pages, pour raconter les multiples apports du sport de haut niveau. Alors, je n’en retiens qu’un : la capacité à provoquer des rencontres. Dans mon parcours, j’ai eu à affronter de nombreux obstacles : le sport m’a donné un cap, et celui-ci a été étayé par la découverte de nouveaux horizons, riches de ces rencontres. Je ne suis évidemment pas la seule dans ce cas, mais j’ai pu vérifier cette richesse avec une rare intensité. Et je la vérifie toujours aujourd’hui. Pour en revenir à la performance sportive, oui, un athlète au départ des Jeux Paralympiques aujourd’hui dispose sûrement de meilleures conditions d’accompagnement qu’il y a quelques années : la compétition est bien identifiée, la couverture médiatique s’est renforcée et il y a potentiellement plus de partenaires économiques susceptibles de soutenir individuellement un sportif. C’est heureux, mais rien n’est jamais gagné : je le vois bien, car après avoir sécurisé un petit cercle de sponsors pour Tokyo 2020, le report des Jeux à l’année prochaine m’oblige à remettre l’ouvrage sur le métier. À la condition, bien sûr, que je m’aligne en 2021 !