Politique Internationale — Nombre de collectivités territoriales adhèrent au slogan « France terre de Jeux ». Quelles retombées économiques les responsables « provinciaux » des Jeux Olympiques de 2024 attendent-ils ?
François Baroin — En tant que président de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, je constate chaque jour que les maires sont au cœur du développement des pratiques sportives et qu’ils facilitent le sport de loisirs et la pratique du sport partout et par tous.
Convaincue que la candidature de la Ville de Paris pour les Jeux de 2024 devait être celle de l’ensemble des territoires, l’AMF a décidé, dès 2015, de mobiliser ses adhérents en leur demandant de prendre une motion de soutien, ce qu’avaient déjà fait plusieurs milliers de communes et intercommunalités, de métropole et d’outre-mer, de zones rurales ou urbaines.
La création du label « Terre de Jeux », pour laquelle l’AMF s’est fortement mobilisée, est une manière de reconnaître l’engagement de chaque territoire, quelle que soit sa taille, dans les actions déployées auprès des habitants autour des Jeux : événements et célébrations, programmes valorisant la pratique du sport, soutien aux athlètes locaux, investissements dans des infrastructures…
Il s’agit avant tout d’accompagner ce bel événement que seront les Jeux de 2024 et de valoriser les actions et l’engagement de chaque commune, de la plus petite à la plus grande, en faveur des valeurs portées par l’olympisme et par le sport. Il était donc important que l’AMF, maison de l’ensemble des communes de France, obtienne le label Terre de Jeux afin d’inciter chacune d’entre elles à participer.
P. I. — On prévoit plus de 11 milliards de retombées liées à l’effet JO pour la France et dans les dix années à venir. Au vu des expériences étrangères, cet objectif vous semble-t-il réaliste ? Que faudrait-il faire pour que cette promesse soit tenue ?
F. B. — Au-delà des retombées économiques, l’AMF est très attachée à la notion d’héritage des Jeux de Paris 2024, tant sur le plan sportif que sur le plan sociétal et économique. Tous les acteurs doivent être impliqués, qu’ils soient publics ou privés, associatifs ou grand public.
Pour les territoires, ces Jeux sont une occasion exceptionnelle de développer le sport pour tous, de travailler avec l’État et le mouvement sportif, de créer davantage de continuité entre le sport à l’école et les structures associatives, de proposer de nouvelles activités et d’accroître ainsi de manière significative la part de la population pratiquant une activité physique et sportive. De favoriser, aussi, l’émergence de jeunes sportifs de haut niveau qui, je le rappelle, débutent leur carrière dans des clubs locaux.
Accélérateurs de politiques publiques, les Jeux sont l’occasion de mener des travaux de réhabilitation d’équipements sportifs ou d’en construire de nouveaux, qui seront de solides leviers pour dynamiser l’économie en créant de l’activité pour les entreprises locales.
L’accueil des délégations étrangères en amont des Jeux sur tout le territoire générera une activité économique dans de nombreux domaines. Localement, les délégations accéderont à l’hébergement, à la restauration, aux différents modes de déplacement nécessaires pour les athlètes… C’est aussi une formidable occasion pour les communes de mettre en avant leur capacité à répondre à une offre touristique, avant et pendant les Jeux.
Enfin, la diffusion télévisuelle des compétitions des JOP dans le monde entier permettra aux entreprises, y compris locales, de montrer leur savoir-faire et de faire connaître leurs produits. Pour les collectivités, c’est une occasion unique de valoriser l’image de leur territoire.
P. I. — En échange de l’« offre » territoriale proposée par Paris 2024 pour le déroulement de certaines disciplines sportives — et, aussi, pour encourager la mobilisation de l’ensemble des Français derrière les JO —, que sont prêts à apporter ces territoires ?
F. B. — L’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques ne concerne pas uniquement la ville de Paris et la région Île-de-France. Elle a un impact sur l’ensemble du territoire métropolitain et de l’outre-mer. Chaque collectivité, selon qu’elle accueillera des lieux d’épreuves sportives ou des centres d’entraînement, pourra bénéficier des retombées positives de ce grand projet en termes d’accueil de visiteurs, de développement de la pratique sportive, etc.
La part du bloc communal dans le financement des équipements sportifs et dans le soutien aux clubs est très importante. Cet engagement des maires, au plus près des habitants dès leur plus jeune âge, favorise l’émergence des futurs champions dont les résultats et les performances participent au sentiment de cohésion nationale et de citoyenneté.
L’obtention du label Terre de Jeux permet aux territoires de postuler pour être centre de préparation aux jeux (CPJ) et offrir aux délégations olympiques et paralympiques étrangères la possibilité de venir s’entraîner en France au cours de la période qui s’étend des Jeux de Tokyo (repoussés à 2021) à ceux de Paris 2024.
De nombreuses collectivités disposent d’ores et déjà des infrastructures nécessaires ou les réhabilitent afin de répondre aux cahiers des charges. Elles sont nombreuses à s’être portées candidates.
Par ailleurs, les communes peuvent être un bon relais pour mobiliser un réseau de volontaires indispensables en 2024 à l’organisation des activités d’animation et de logistique. Elles collaborent au quotidien avec les clubs sportifs et les associations locales qui sont autant de viviers de bénévoles pour le comité d’organisation des JOP 2024.
Enfin, je suis convaincu que le succès des Jeux reposera sur une participation populaire importante. En multipliant les animations sportives en lien avec les Jeux, les communes préparent la mobilisation des Français sportifs ou non sportifs et favorisent la diffusion des valeurs olympiques que sont l’amitié, le respect et l’excellence. Avec les écoles, elles mobilisent dès aujourd’hui la jeunesse pour participer aux événements tels que la semaine olympique.
P. I. — L’effet JO contribuera-t-il à modifier le modèle français de gouvernance du sport — en particulier celui des clubs professionnels dans leurs relations avec les municipalités concernées ?
F. B. — La perspective des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et les objectifs fixés par le président de la République quant au nombre de médaillés nécessitent des politiques sportives ambitieuses et des financements de l’État à la hauteur des enjeux.
L’organisation des Jeux en France a conduit le gouvernement à engager de profonds travaux sur la gouvernance du sport et à mettre en place l’Agence nationale du sport (ANS) dont l’un des objectifs est d’assurer une meilleure coordination entre les acteurs du secteur. L’ANS, par sa composition, consacre le rôle des collectivités, notamment le bloc local, dans le financement des politiques sportives. Cette reconnaissance est un premier pas important ; il faut maintenant faire en sorte que les collectivités aient une place éminente au sein des déclinaisons territoriales de l’Agence.
La présence de représentants du monde économique au sein de l’ANS, que ce soit au niveau central ou au niveau local, avec les conférences régionales du sport ou les conférences départementales, est un élément essentiel pour favoriser le succès de ce nouveau modèle de gouvernance. En effet, les communes et les intercommunalités ne sont plus en capacité de financer un équipement dédié au sport professionnel, sauf si cet équipement présente un intérêt en matière de sport pour tous.
L’AMF veillera à ce que l’Agence ne concentre pas tous ses moyens sur la haute performance. L’ANS a été construite sur les deux piliers de la politique sportive que sont le sport pour tous et le sport de haut niveau, et elle doit être pourvue des ressources financières nécessaires pour, d’une part, porter les ambitions de la France et, de l’autre, favoriser la pratique du sport pour tous et partout, tout au long de la vie.
P. I. — À vos yeux, que signifient les notions d’héritage olympique, d’égalité des territoires et d’inclusion sociale tant mises en avant par Paris 2024 ?
F. B. — Pour les villes, les Jeux sont une chance en termes de notoriété et d’attractivité. La construction d’infrastructures d’accueil, de réseaux de transport et de communication participent largement à leurs transformations : édification des équipements demandés, élargissement du programme sportif en projet de ville ou en projet urbain…
Pour des communes situées en zones défavorisées, comme la Seine-Saint-Denis, ces nouvelles infrastructures seront à terme de réels atouts pour leur développement économique. Dès 2025, L’Île-Saint-Denis transformera le Village olympique en logements, dont certains seront dédiés aux étudiants, afin de favoriser la mixité sociale.
La commune d’Aubervilliers, quant à elle, disposera d’un centre aquatique. Cette installation sportive, destinée à devenir l’une des bases d’entraînement des nageurs, sera ensuite mise à la disposition de la population afin de répondre au défi de l’apprentissage et de la pratique de la natation dans le département.
L’organisation d’une telle manifestation sportive, permet également de nouer des liens de partenariat à long terme, éventuellement des jumelages, de se faire connaître à l’international, de développer son économie et de favoriser la cohésion sociale…
Dans le cadre de leurs partenariats ou de leurs jumelages, les communes peuvent, au travers d’échanges, offrir aux jeunes sportifs des opportunités d’interactions sociales leur permettant d’accroître leurs connaissances, d’acquérir des capacités et des attitudes qui leur serviront plus tard dans la société civile. C’est aussi, pour ces jeunes, une occasion d’améliorer l’apprentissage d’une langue étrangère bien que le sport soit en lui-même un langage universel, partagé par tous les peuples.
P. I. — Pensez-vous que l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques en France conduira à changer le regard des Français sur les personnes en situation de handicap ?
F. B. — L’inclusion des personnes en situation de handicap est un enjeu majeur des politiques publiques pour les années à venir, et d’importants progrès restent à accomplir. Les Jeux, par les valeurs qu’ils portent, peuvent être un bon vecteur pour sensibiliser la population et susciter un élan de cohésion sociale. Cette ambition inclusive se construit dès à présent dans les territoires grâce à la mobilisation du mouvement sportif et des communes.
Lors de la semaine olympique qui s’est déroulée du 3 au 8 février dernier, de nombreuses communes ont accueilli, en lien avec leurs écoles, des athlètes paralympiques ou organisé des activités sportives en plaçant temporairement des enfants en situation de handicap afin de favoriser une prise de conscience grâce à un vécu partagé. La sensibilisation des enfants est indéniablement le meilleur canal pour parvenir à une société inclusive.
L’un des enjeux des Jeux de 2024 portera sur l’accessibilité. Outre l’accès aux lieux d’épreuves proprement dits, des aménagements seront nécessaires en termes de voirie, de transports, de services, de commerces, d’information quelle qu’en soit la forme (plateforme informatique, affichage, signalétique, plan d’orientation…), afin d’assurer l’accueil des sportifs et des visiteurs en situation de handicap.
Naturellement, les communes labellisées veilleront, selon leur taille, à garantir au minimum l’accessibilité du lieu de célébration aux personnes en situation de handicap (mobilité réduite, handicaps sensoriels…). Dans les communes CPJ, l’ensemble des installations (aires de jeu, vestiaires, WC, hébergement, etc.), des équipements sportifs, ainsi que les sites d’hébergement et de restauration doivent être accessibles aux personnes à mobilité réduite.
P. I. — Que pourriez-vous proposer de plus, au travers des JO en France, pour améliorer l’attractivité et l’image des territoires français aux yeux des investisseurs étrangers et pour favoriser les actions de décentralisation et de « réoccupation » des territoires abandonnés ?
F. B. — L’organisation d’épreuves sportives ou l’installation de camps d’entraînement dans plusieurs régions de la métropole, mais également en outre-mer seront l’occasion de valoriser une pluralité de territoires vis-à-vis d’investisseurs étrangers et d’illustrer les atouts de la décentralisation à la française.
De nombreuses communes se sont mobilisées dès 2015 pour soutenir la candidature de la Ville de Paris, puis pour obtenir le label Terre de Jeux. Il faut poursuivre cet engagement. Pour cela, il est indispensable que les financements de l’État — ceux consacrés aux Jeux aussi bien que les subventions versées par l’Agence — concernent l’ensemble des territoires et, plus particulièrement, les territoires dont les besoins sont avérés : quartiers prioritaires de la ville, zones rurales, zones carencées…
Ainsi, l’AMF et le COJOP 2024 ont fait le choix de mettre en valeur, lors du 102e congrès, la commune de Bellefosse. Située dans le Bas-Rhin, au niveau du massif vosgien, Bellefosse, 149 habitants, a été la première commune à candidater et à être labellisée Terre de Jeux. Forte de la création d’un bassin de natation de plein air et d’un pas de tir sportif, son maire, Alice Morel, a saisi l’occasion pour sa commune de participer à la belle aventure des JOP. Elle a exprimé sa fierté d’avoir obtenu ce label, qu’elle partage avec les habitants de sa commune, les enfants de son village et les villages voisins.
P. I. — En résumé, hors campagnes ciblées de communication, que faudrait-il imaginer pour que les Jeux Olympiques en 2024 soient perçus et vécus effectivement comme ceux de la France et de tous les Français ?
F. B. — Les maires sont en contact direct avec la population. En organisant à l’échelle de leur commune des événements qui font écho aux événements nationaux ou internationaux, ils permettent à leurs administrés de se les approprier et ils renforcent le sentiment d’appartenance nationale.
Il est donc indispensable que l’AMF et le COJOP 2024 poursuivent leur collaboration entamée avant même l’obtention des Jeux par la Ville de Paris. Cette attention portée aux territoires et à ses habitants est un gage de réussite des Jeux de 2024 — ce qu’a parfaitement compris le président du comité d’organisation Tony Estanguet.
L’AMF continuera à se mobiliser jusqu’en 2024 car l’engouement de la population qui commence à prendre corps est encourageant. Cette ferveur ne pourra aller que crescendo avec les compétitions internationales qui se dérouleront avant les Jeux, comme, par exemple, la Coupe du monde de rugby en 2023 que l’AMF soutient également.