Politique Internationale — Vous venez d’être réélue et vous serez donc en poste lors des JO 2024. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
Anne Hidalgo — Je suis très heureuse que les Parisiens et les Parisiennes m’aient à nouveau accordé leur confiance pour être maire de Paris. Je vais continuer à porter cette nouvelle vision des Jeux Olympiques et Paralympiques : plus durable, plus inclusive, plus juste. Ces Jeux sont une chance pour notre ville, un moteur des transformations à venir.
P. I. — Avec un peu de recul, qu’est-ce qui a fait la différence pour permettre à Paris d’être sélectionnée ?
A. H. — Notre volonté de proposer un nouveau modèle, plus respectueux de l’environnement et des populations, avec un impact positif et durable sur la société. Notre objectif était de montrer que la ville avait une idée forte de l’héritage des Jeux et de son utilité pour les habitants. Dès le début, nous avons positionné la candidature comme un outil de transformation de nos territoires, pour le sport mais aussi pour la santé, l’éducation, l’emploi, l’économie sociale et solidaire ou la lutte contre la pollution. Sur tous ces sujets, nous n’avons eu de cesse d’associer, de convaincre et de construire un projet crédible, rationnel mais aussi porteur d’espoirs. Cette volonté a rencontré celle du CIO. Ses responsables voulaient aborder différemment les Jeux qui commençaient à pâtir d’un regard contrasté. Paris leur est apparue comme la ville idéale pour renouveler l’olympisme et le mettre au diapason des grands enjeux du XXIe siècle.
P. I. — Depuis le début, vous insistez sur des Jeux durables ? Que recouvre cette notion ?
A. H. — Dès la candidature, nous avons posé les bases d’une stratégie environnementale exemplaire et alignée sur l’accord de Paris pour le climat dont nous célébrerons cette année, en décembre, les cinq ans. Cette stratégie s’appuie sur quelques principes : un approvisionnement en énergie renouvelable et de récupération pendant les Jeux ; de nouvelles constructions adaptées aux impacts du changement climatique ; une restauration respectant les principes de l’approvisionnement responsable, avec un engagement zéro gaspillage alimentaire et un objectif zéro déchet pendant l’événement ; le recours aux transports en commun, aux modes actifs de déplacement (vélo et marche) ainsi qu’à une flotte de véhicules décarbonés ; la réutilisation, après les Jeux, des matériaux produits pour les sites temporaires. L’objectif, c’est la neutralité carbone. Nous y parviendrons en réduisant de 55 % les émissions par rapport aux Jeux précédents et en compensant intégralement celles qui n’ont pas pu être évitées. Ces objectifs, parce qu’ils sont ambitieux, mobilisateurs et à court terme, vont nous permettre de changer en profondeur la physionomie de notre ville et de laisser un héritage à la hauteur de l’enjeu climatique. Je pense à nos engagements visant à supprimer le plastique à usage unique à Paris d’ici à 2024 ; à transformer le Périphérique en boulevard urbain ; à rendre la Seine baignable et à structurer les filières d’approvisionnement en alimentation bio et locale.
P. I. — Au-delà de la question écologique, peut-on dire que Paris va se transformer dans la perspective des JO ?
A. H. — Ces Jeux devront effectivement nous aider à accélérer la dynamique de changement que nous conduisons depuis 2014. Ce cap, nous l’avons fixé avec les habitants. Il doit nous conduire à réaménager notre espace public pour permettre à tous de cohabiter dans une ville apaisée. Notre attention se portera à la fois sur le réaménagement du quartier tour Eiffel, du Trocadéro au Champ-de-Mars, pour en faire un nouveau poumon vert, et sur le lien avec la Seine-Saint-Denis afin de favoriser les continuités urbaines, notamment à travers le canal Saint-Denis, le réseau cyclable et le renouveau de la porte de la Chapelle. L’Arena sera la figure de proue de ce quartier populaire dont je veux qu’il devienne un grand site exceptionnel à l’image des Invalides. La réalisation de voies olympiques sur le périphérique permettra enfin d’accélérer sa transformation en boulevard urbain, avec une voie qui sera, dès 2024, dédiée aux véhicules propres.
P. I. — Le but est-il d’embarquer toute la population ?
A. H. — Nous allons développer des quartiers exemplaires basés sur le principe de l’accessibilité universelle en faveur des personnes en situation de handicap. La réduction des inégalités sera également au cœur de nos dispositifs en matière d’emploi et de raccrochage scolaire que nous avons déjà lancés et qui visent à former les publics éloignés de l’emploi aux métiers pour lesquels il existe une pénurie de main-d’œuvre. Le contexte nouveau issu de la crise du Covid nous oblige encore plus à mettre l’accent sur l’emploi et sur la formation. Il faut que les JOP soient un levier majeur de la relance économique, en offrant des emplois pérennes. Les Jeux, avec leur programme de Volontaires, leurs programmes éducatif et culturel, leurs dispositifs de célébrations seront l’occasion de favoriser l’engagement et la participation de nos habitants. Accueillir le monde est une opportunité unique pour montrer nos savoir-faire et nos solutions en faveur d’un modèle de développement durable et solidaire, et pour démontrer, s’il en était encore besoin, que ces changements emportent l’adhésion des Parisiennes et des Parisiens.
P. I. — Finalement, le sport n’est plus vraiment au cœur de l’héritage des Jeux…
A. H. — Au contraire, il en est une composante essentielle. Nous partageons avec le mouvement sportif l’idée que le sport doit être replacé au centre de nos politiques en matière de santé, d’éducation et de citoyenneté. C’est dans cet esprit que nous nous sommes fixé plusieurs objectifs : mise en place du « sport sur ordonnance », lutte contre la sédentarité, soutien scolaire dans un cadre sportif ou encore insertion des personnes en situation de grande exclusion. Chaque fois, nous travaillons avec les clubs sportifs qui doivent être confortés dans le rôle social qui est le leur. Les clubs sont un espace d’engagement et d’émancipation fondamental. Nous avons engagé avec eux un travail important en termes de formation, de recours au bénévolat et de développement de la vie sociale afin de leur donner des moyens supplémentaires pour agir.
P. I. — Avec la crise du Covid, les JO de Tokyo ont été reportés d’un an et ceux de la jeunesse, prévus à Dakar en 2022, auront lieu en 2026. Quel est l’impact de ces reports sur les JO à Paris ?
A. H. — Tout d’abord, permettez-moi de souligner l’esprit de responsabilité des autorités et des organisateurs locaux, ainsi que du CIO, face à des décisions inédites et aux conséquences particulièrement lourdes. Nous avons avec Tokyo et Dakar des relations fortes qui se sont considérablement densifiées dans le cadre des projets olympiques que nous partageons. Nous suivons donc avec la plus grande attention l’ensemble des mesures qui seront mises en œuvre l’année prochaine pour l’accueil des Jeux à Tokyo. À ce stade, pour ce qui est de Paris, nous devons réfléchir à sécuriser le projet dans un contexte économique qui nous oblige à la plus grande des vigilances. Je le redis ici, je n’entends renoncer à rien sur l’héritage et sur nos engagements environnementaux et d’inclusion. En revanche, il n’y a pas de tabou à repenser le niveau de services et l’organisation des compétitions pour ne garder que ce qui est réellement utile. La pertinence des Jeux que nous avons voulu solidaires et durables revêt encore plus de sens.
P. I. — Les JO de Paris associent également d’autres villes (Marseille, Saint-Denis, etc.), la Région, l’État et ses différentes composantes (ministères, mais aussi CDC et BPI). Quelle est la dynamique qui lie ces différentes parties prenantes ?
A. H. — J’ai déjà eu l’occasion de le dire, les Jeux de Paris sont les Jeux de la France. Les relations sont fortes et déjà très construites autour du projet paralympique et olympique. La nomination du préfet Michel Cadot comme délégué interministériel est une bonne nouvelle. Il connaît parfaitement Paris, la Métropole et l’Île-de-France et c’est un grand serviteur de l’État dont il maîtrise tous les rouages, les leviers potentiels comme les freins. Au-delà des collectivités qui accueillent des compétitions, des dizaines d’autres se sont engagées aux côtés de Paris 2024 pour associer leur territoire et leurs habitants. Ce qui lie tous ces territoires, c’est à la fois la volonté de partager un moment rassembleur et porteur d’espoirs, et la conscience du caractère transformateur et mobilisateur des Jeux. C’est aussi pour Paris et les collectivités voisines l’occasion de donner un nouveau visage à la Métropole et d’agir pour le rééquilibrage territorial, particulièrement en Seine-Saint-Denis.
Aux parties prenantes que vous avez mentionnées, je voudrais ajouter les entreprises et le tissu associatif. Les premières contribueront de manière décisive à la réussite de cet événement. Ce sont des acteurs de terrain qui, au-delà de celles qui sponsoriseront les Jeux, seront en première ligne pour assurer l’accueil du public et des athlètes et veiller à la bonne organisation générale. Je pense aux professionnels du tourisme bien sûr, mais pas seulement. Les Jeux vont mobiliser une grande partie des entreprises et de leurs salariés, des PME aux grands groupes. Ils constitueront, de surcroît, une formidable vitrine de nos savoir-faire et de nos talents. Je sais déjà les entreprises très engagées en dépit du contexte économique difficile que nous traversons. Quant aux associations, elles jouent un rôle fondamental dans l’engagement des citoyens autour de cet événement. Le tissu associatif, c’est la matrice même de l’engagement. Je souhaite qu’il prenne toute sa place dans la préparation et la réussite des Jeux.
P. I. — Savez-vous déjà comment vous allez associer les Parisiens à l’événement ?
A. H. — Ils y sont déjà associés ! 10 000 Parisiennes et Parisiens ont élaboré le programme d’héritage Transformations Olympiques. Nous allons continuer avec eux ce travail jusqu’à la concrétisation des projets. Nous avons déjà formé 2 000 Parisiens éloignés de l’emploi pour les métiers des Jeux. En février dernier, 6 000 élèves de CM2 ont participé à la première édition des Jeux sportifs scolaires. Nous avons mobilisé une centaine de clubs pour mettre en place nos premières mesures d’héritage sportif. Dès 2021, nous lancerons un vaste programme culturel. Progressivement, nous allons ainsi faire participer les différents secteurs de la société civile. Je pense en particulier aux commerçants et à nos acteurs touristiques qui auront une place centrale dans la célébration des Jeux. Nous allons également lancer un programme d’engagement Volontaires qui permettra aux Parisiens qui le souhaitent d’apporter leur contribution.
P. I. — Une telle manifestation est-elle susceptible de transcender les clivages politiques traditionnels ? Tout le monde est-il derrière Paris 2024 ?
A. H. — La démonstration a été faite lors de la candidature et continue de se faire depuis trois ans. Le consensus est réel entre tous les acteurs institutionnels, quelle que soit leur couleur politique. Nous ne cherchons pas à convaincre les opposants idéologiques ; nous cherchons à construire avec les forces vives de la société. Les grandes manifestations sportives ont historiquement prouvé qu’elles étaient des moments de concorde politique.
P. I. — Au terme de la manifestation, que voudrez-vous que la planète retienne de Paris 2024 ?
A. H. — Qu’il est possible de faire autrement. Le monde ne doit pas renoncer à ce qu’il est, mais il doit changer ses manières de faire. Je voudrais que les gens voient, grâce à ces Jeux, que ces changements n’excluent ni la joie ni la fête, qu’ils sont au contraire un élan puissant pour retrouver le goût de l’essentiel, le partage de ce que nous avons en commun. Cela passe par l’innovation et l’engagement. Paris fait partie de ces villes et de ces territoires qui inventent demain. Nous nous inspirons des bonnes pratiques et des bonnes idées partout à travers le monde. Je souhaite que ce moment soit exemplaire.