Pour des jeux responsables

Dossiers spéciaux : n°169 : Paris 2024, une chance pour le sport et l'économie française

Politique Internationale — En 2024, Paris accueillera les Jeux Olympiques pour la première fois depuis cent ans. Vous souvenez-vous de votre première réaction à l’annonce du choix de la candidature française ?

Tony Estanguet — Une réaction de joie bien sûr, d’émotion pure. Les Jeux ont tellement compté dans ma vie ! Depuis les Jeux de Barcelone (1992) auxquels j’ai assisté enfant avec mes parents, jusqu’à mes trois médailles olympiques à Sydney (2000), Athènes (2004) et Londres (2012), en passant par mon échec à Pékin (2008), qui m’a construit aussi, mon histoire est intimement liée à l’olympisme. C’était aussi et surtout une émotion collective, partagée. Parce que cette victoire venait couronner deux ans de campagne pour la candidature, dans laquelle nous avons été nombreux à nous engager avec passion, déterminés à construire le meilleur projet possible. Et parce que c’est un vrai beau projet pour la France et pour les Français. D’ailleurs, un sondage récent révèle qu’ils sont 84 % à y être favorables ! Les Jeux, c’est unique : le plus grand événement sportif de la planète, le rassemblement de toutes les nations, de tous les sports, dans une immense fête fraternelle. Les organiser chez nous, cent ans après la dernière édition, c’est l’occasion de porter un projet qui fédère, qui rend fier, qui valorise notre culture et nos savoir-faire aux yeux du monde. C’est l’occasion, aussi, de faire des Jeux qui nous ressemblent, parce qu’ils concilient ce qu’on tend à opposer : le spectacle et le sens, l’éphémère et le durable. En France, on ne choisit pas, on est tout ça à la fois ! Et puis, la France est une nation olympique. Pierre de Coubertin est le concepteur des Jeux de l’ère moderne. Avec Paris 2024, nous avons l’ambition d’écrire un nouveau chapitre de l’Histoire.

P. I. — Depuis le début, le projet que vous portez se veut en rupture avec les JO organisés précédemment. D’où vient cette volonté qu’il y ait un « avant » et un « après » Paris 2024. Comment caractériser cette décision d’inventer autre chose ?

T. E. — C’était une condition sine qua non, qui a fédéré l’ensemble des acteurs engagés dans la candidature : la volonté d’organiser des Jeux en phase avec les enjeux de notre époque, qui contribuent à apporter des réponses face à l’urgence climatique, aux fractures territoriales et aux attentes des citoyens. Nous ne voulions pas reproduire certaines erreurs du passé, en particulier l’aménagement d’infrastructures laissées à l’abandon après les compétitions. Nous avons donc imaginé un concept en rupture, qui repose sur 95 % d’infrastructures existantes ou temporaires. Là où les précédentes éditions construisaient en moyenne huit à dix équipements, nous n’en construisons que deux, et uniquement parce qu’ils répondent aux besoins des habitants de Seine-Saint-Denis : le Village des athlètes sera transformé en quartier de vie, le Centre aquatique olympique en bassins municipaux et en complexe sportif. Ce qui ne nous empêche pas de vouloir surprendre et offrir un spectacle unique, car en construisant peu, on fait le choix de valoriser le plus beau de notre patrimoine, avec des épreuves au pied de la Tour Eiffel, dans la Seine ou encore au Grand Palais. 

Nous avons aussi la volonté d’ouvrir l’expérience des Jeux au plus grand nombre. Pour la première fois de l’Histoire, le grand public pourra participer au marathon, sur le même parcours que les athlètes. Nous voulons nous adresser à tous ceux qui aimeraient faire partie de l’aventure, mais qui peuvent encore penser que les Jeux, ce n’est pas pour eux : les petites entreprises et celles de l’économie sociale et solidaire, que l’on accompagne dans l’accès à nos marchés ; les collectivités territoriales qui n’accueillent pas d’épreuves, mais que l’on associe à travers le label « Terre de Jeux 2024 » ; tous les Français, enfin, que l’on invite à rejoindre le Club Paris 2024 pour participer à des expériences sportives inoubliables dès aujourd’hui et jusqu’en 2024. Des Jeux sobres mais spectaculaires, des Jeux utiles, des Jeux populaires. Nous voulons construire un nouveau modèle, et surtout partager nos nouvelles façons de faire pour inspirer les futurs organisateurs de grands événements sportifs.

P. I. — Il y a encore quelques mois, personne n’imaginait que les JO de Tokyo 2020 pourraient être reportés. Dans l’intervalle, une crise sanitaire sans précédent a surgi et les avis convergent pour dire qu’il va encore falloir se protéger longtemps du Covid-19. Quelle est l’incidence de ce contexte sur la préparation de Paris 2024 ? Qu’est-ce que vous mettez en œuvre, qui n’était pas prévu auparavant ? 

T. E. — Quand on commence à organiser un événement sept ans à l’avance, s’adapter, ça fait partie du métier ! Depuis le début, nous sommes préparés à faire face aux aléas, mais aussi à saisir de nouvelles opportunités. Souvenons-nous que les Jeux de Londres en 2012 ont été un succès, malgré la crise financière de 2008. Je ne sous-estime pas la crise actuelle. Mais je suis confiant dans notre capacité à y faire face. Nos fondamentaux sont solides, et notre méthode est la bonne : depuis le début, elle est concertée, partagée avec l’ensemble des acteurs de ce projet : État, villes hôtes, régions, mouvement sportif, entreprises partenaires, associations, collectivités, ONG, structures de l’économie sociale et solidaire… Dans une situation complexe, c’est ensemble que nous pouvons prendre les meilleures décisions. Nous avons entamé une révision du concept afin de le « rechallenger », avec deux mots d’ordre : priorisation et efficience. Nous allons identifier toutes les pistes d’économie possibles, pour aller vers une meilleure mutualisation des moyens et des sites. Mais nous préserverons l’ADN du projet : le sport ; l’utilité ; la responsabilité environnementale. Je suis convaincu que dans un contexte de crise, les Jeux sont plus que jamais une chance pour notre pays. Ils constituent un horizon de reprise économique, puisqu’ils vont contribuer à l’attractivité de la France et générer 5 milliards d’euros de marché. Un horizon de transformation pour un territoire, la Seine-Saint-Denis, qui a particulièrement souffert dans la crise. Une opportunité, enfin, de se retrouver pour vibrer et partager autour des émotions et des valeurs du sport.

P. I. — La pandémie de coronavirus pourrait-elle remettre en cause l’une des grandes priorités de Paris 2024, à savoir des Jeux durables ? Quand les enjeux sanitaires deviennent aussi forts, les engagements au service d’une planète plus vertueuse ne sont-ils pas amenés à en pâtir ? 

T. E. — L’urgence écologique est notre affaire à tous. Elle concerne donc aussi directement le monde du sport. Parce que la nature est leur terrain de jeu, les sportifs observent au quotidien la dégradation des rivières, des montagnes, des océans. Certains sports sont d’ailleurs directement menacés par la fonte des neiges ou la hausse des températures. Mais le monde sportif dispose aussi d’une formidable ressource pour participer à la lutte contre le réchauffement climatique : son immense pouvoir de mobilisation et d’inspiration. Nous voulons faire des Jeux une tribune pour sensibiliser aux changements de comportement, en interpellant les spectateurs dans les stades, le grand public… Et en faisant des athlètes les premiers ambassadeurs de cette cause. Pour cela, nous voulons être exemplaires, prouver qu’il est possible de changer de modèle, à l’échelle d’un événement mondial comme les Jeux. Notre concept qui repose sur 95 % d’infrastructures temporaires ou existantes nous permet de diviser par deux nos émissions carbone par rapport aux éditions précédentes. Nous encourageons toutes les solutions bas carbone : 100 % d’électricité renouvelable pour alimenter les sites des épreuves ; incitation aux transports en commun ou aux mobilités douces pour les spectateurs ; promotion d’une alimentation durable ; stratégie d’achat responsable… 

Les Jeux ont toujours été une vitrine, un laboratoire pour accélérer des innovations utiles à la société. Par exemple, nous avons lancé un appel à projets pour trouver des alternatives propres à l’électricité permanente pour alimenter les sites. Nous voulons contribuer à la transition écologique du mouvement sportif en léguant des outils qui permettront aux fédérations, aux clubs, aux organisateurs d’événements, de faire autrement, d’adopter des pratiques plus responsables. Nous soutenons d’ailleurs le programme du WWF France pour accélérer la transition écologique du mouvement sportif.

P. I. — Comment fonctionne le Comité au quotidien ? Et comment travaillez-vous avec les autres acteurs engagés dans le projet ? 

T. E. — Le Comité d’organisation a pour mission de planifier, d’organiser, de financer et de livrer les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris en 2024. Mais bien évidemment un événement de cette ampleur, ça s’organise à plusieurs ! Les Jeux de Paris 2024 mobilisent un vaste écosystème : État, collectivités territoriales, entreprises, mouvement sportif, partenaires sociaux… Les représentants de chacun de ces acteurs siègent au conseil d’administration de Paris 2024. 

Il faut construire des équilibres, mais ce projet a une force fédératrice qui rend possibles des unions qui n’auraient pas eu lieu autrement. Une bonne illustration en est la Charte sociale des Jeux de Paris 2024, qui énonce nos engagements en matière de responsabilité économique et sociale : elle a été signée par les partenaires sociaux français. Ou encore la programmation culturelle de Paris 2024, qui fait travailler en transversalité des acteurs issus de toutes les disciplines artistiques. Conformément à l’esprit de l’olympisme, Paris 2024 est un projet de décloisonnement !

P. I. — Tony Estanguet, vous aurez réussi votre mission en 2024 si…

T. E. — Si l’événement en tant que tel est réussi bien sûr, s’il rend fiers les Français, s’il suscite des moments de partage et de cohésion, et des images inoubliables qui marqueront toute une génération. Mais pas seulement. J’aimerais que l’accueil des Jeux permette aussi de convaincre le grand public et nos décideurs que le sport est une machine à solutions, et qu’on a tout intérêt à mettre plus de sport dans nos programmes d’éducation, de santé, d’inclusion… J’aimerais que, grâce aux Jeux, les Français trouvent l’envie de pratiquer un sport. Juste après une grande manifestation sportive, on constate souvent une hausse des inscriptions dans les clubs ; mais, généralement, cet élan retombe peu après. À notre niveau, et avec le mouvement sportif et les acteurs publics, nous devons construire les conditions, dès aujourd’hui, pour enclencher des transformations durables.