Les Grands de ce monde s'expriment dans

Une nouvelle jeunesse pour l’Autriche

Entretien avec Sebastian Kurz, Chancelier fédéral d’Autriche de 2017 à 2019 et depuis janvier 2020 par Anne de Boismilon, Ancien grand reporter à CBS News, « 60 Minutes »

n° 169 - Automne 2020

Sa carrière a été fulgurante. Avec un parcours jusqu’à présent sans faute, on le surnomme « l’enfant prodige de la politique ». À 34 ans, Sebastian Kurz est le plus jeune chef d’État de la planète. Né à Vienne le 27 août 1987, ce fils d’un ingénieur et d’une enseignante adhère au Parti populaire autrichien (ÖVP) à l’âge de 17 ans et décide d’interrompre ses études de droit pour ne plus se consacrer qu’à sa passion, la politique.

Cette passion, conjuguée à un talent certain, une bonne dose de pragmatisme, un zeste d’opportunisme et un caractère avenant, lui a permis de gravir tous les échelons de la vie politique autrichienne pratiquement sans heurt et de jouir aujourd’hui auprès de ses compatriotes d’une popularité incontestée.

En 2009, il prend la présidence du Mouvement des jeunes du Parti populaire autrichien (ÖVP). Son slogan, « le noir, ça déchire », en référence à la couleur du parti, est une manière de se démarquer des caciques les plus conservateurs. 

À 24 ans, ce « chouchou » de la presse tabloïd et des nouveaux médias est nommé secrétaire d’État à l’Intégration des immigrés au sein du ministère des Affaires étrangères. Puis le benjamin du gouvernement hérite du portefeuille des Affaires étrangères à 27 ans, devenant ainsi le plus jeune chef de la diplomatie de toute l’Union européenne. Dans le contexte de la crise migratoire, il s’affirme comme le tenant d’une ligne dure et appelle à la fermeture des frontières autrichiennes, coupant ainsi la route des Balkans.
Il prône également la fin des négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne.

À 30 ans, en 2017, Sebastian Kurz est le chef du Parti populaire autrichien et, contrairement au président Macron qui va fonder la République en marche aux dépens des partis traditionnels, il s’emploie, lui, à remodeler le vieux parti conservateur en le modernisant : il s’entoure de jeunes militants, hommes et femmes, issus de tous les milieux sociaux, y compris de l’immigration. L’ÖVP s’impose comme le premier parti autrichien et une machine à gagner pour le candidat Kurz.

Au terme d’une campagne sans concession sur les thèmes de l’immigration, de la sécurité et de l’islam, il est nommé chancelier fédéral d’Autriche à 31 ans et forme une coalition gouvernementale entre l’ÖVP et le parti d’extrême droite FPÖ qui le talonne dans les urnes.

La démission en 2019 du vice-chancelier Heinz-Christian Strache (FPÖ) sur fond de tentative de corruption provoque de nouvelles élections en septembre 2019 : l’ÖVP arrive en tête. Kurz négocie alors avec les Verts (Die Grünen) leur entrée au gouvernement et met en place une nouvelle coalition.

Habile, capable de manier le compromis sans renoncer à ses convictions profondes, Sebastian Kurz a acquis une légitimité incontestable tant en Autriche que sur la scène européenne et internationale. Il partage avec le président Macron une vision ambitieuse de l’avenir ainsi que la volonté de « faire mais sans se laisser faire ».

A. de B.

Anne de Boismilon — Monsieur le Chancelier, lorsqu’on parle de vous on évoque toujours votre âge. À 34 ans vous êtes l’un des plus jeunes dirigeants de la planète. Cette jeunesse insuffle-t-elle à la vie politique de votre pays une nouvelle vision ?

Sebastian Kurz — Je suis entré en politique avec la volonté de « faire bouger les lignes ». Comme vous le savez, l’Autriche a dû relever de nombreux défis ces dernières années. À ces défis sont venues s’ajouter, d’abord, la crise migratoire puis, récemment, la pandémie de Covid-19. 

Au cœur de notre « vision » pour l’Autriche, pour reprendre votre expression, il y a la poursuite de notre politique en matière d’immigration et d’intégration — deux questions qui sont étroitement liées — et de transition écologique. Nous mettons également l’accent sur la sécurité, la paix sociale et le développement de la compétitivité de notre pays. Tout cela se traduit par une revalorisation du travail. Nous avons donc baissé les impôts pour les revenus faibles et intermédiaires. En ces temps difficiles, il est important aussi d’encourager les entreprises à investir. Un bonus leur a été accordé à cet effet. C’est en suivant cette voie que nous nous efforçons d’assurer la prospérité future de l’Autriche et de profiter des perspectives qui s’offrent à nous.

A. de B. — La vie politique, avec ses échecs, ses revers, parfois sa violence, forge ce que l’on appelle l’« expérience » et apporte une certaine maturité. Le président François Mitterrand, auquel on demandait son opinion à propos de Jacques Chirac, aurait répondu : « Il n’a pas assez souffert ! » Pourrait-on dire la même chose à votre sujet ? Votre carrière éclair s’est-elle construite au détriment d’une partie de votre jeunesse, de votre insouciance, voire de votre liberté ?

S. K. — Je le répète : j’avais le désir de construire et de changer les choses. Cette ambition m’a toujours procuré beaucoup de satisfaction ! J’avais 17 ans quand j’ai rejoint le Mouvement des jeunes du Parti populaire (ÖVP). Je crois que, si l’on n’est pas totalement convaincu de ce que l’on veut faire, ce n’est pas la peine de s’engager. J’ai aujourd’hui l’immense chance d’assumer la charge de chancelier fédéral d’Autriche et d’être entouré d’une équipe formidable.

A. de B. — Vos contempteurs vous reprochent de ne pas toujours prendre nettement position sur des thèmes importants. On vous a même surnommé « le chancelier silencieux ». Cette retenue correspond-elle à une conviction ou à un mode d’action diplomatique acquis au long de votre carrière ?

S. K. — J’ai comme principe de ne pas intervenir de manière impulsive dans le débat médiatique. Mon approche en politique n’est pas émotionnelle mais pragmatique. J’accorde beaucoup d’importance à l’écoute et je ne m’exprime que lorsque j’ai réellement à le faire. Je n’ai pas l’intention de changer.

A. de B. — Lors d’un sommet international, les visions des dirigeants plus âgés vous paraissent-elles parfois obsolètes, voire inadaptées face à des enjeux qui ne sont plus les mêmes qu’autrefois ? Vous sentez-vous plus proche des jeunes chefs d’État ? 

S. K. — C’est un peu réducteur ! L’âge, à mes yeux, n’a pas d’importance. Il y a des hommes politiques plus âgés que moi qui défendent des idées nouvelles avec une vision très claire, comme Mark Rutte (1) …